La laïcité est née en Cévennes

par CHALOT
lundi 8 avril 2024

étude d'un laïque des Cévennes

 

 

J’ai souhaité proposer ce petit travail à caractère humblement historique car, comme l’a écrit le philosophe étatsunien athée George SANTAYAN dans le volume I de « Vie de Raison » (1905), « Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter. », citation souvent reprise sous la forme : « Quiconque oublie son passé est condamné à le revivre. ».

Ainsi, nous sommes, que nous le voulions ou pas, éternellement porteurs de ce principe constitutionnel de notre République : la Laïcité.

 

Encore faut-il se rappeler où et comment est née la Laïcité.

 

1°) La Laïcité est née en Cévennes.

Les terribles guerres de Religion(s) qui opposent les huguenots aux papiste commencent en 1559 et se poursuivent, entrecoupées de périodes de paix, jusqu'en 1598 stricto sensu (signature de l’Édit de Nantes) mais en fait les premières persécutions entre le catholicisme et le protestantisme commencent réellement dans les années 1520.

L’épisode le plus tragique de cette période sont les massacres de la St-Barthélemy perpétrés à Paris dans la nuit du 23 au 24 août 1572 ; il s’agit de l’épisode le plus sanglant de cet affrontement interreligieux entre catholiques et protestants. Le 24 août de chaque année, j’ai toujours mal de savoir que c’est aussi le jour de la foire d’Alès et je vis cela comme une offense à la mémoire des parpaillots !!!. Le nombre de victimes s’établit autour de 30.000 protestants massacrés par les ligueurs catholiques dans les rues de Paris.

La Saint-Barthélemy de 1572 procède d’un cheminement complexe en France qui conclut les démarches tortueuses de la famille royale, des Grands, des deux clergés, des notables provinciaux …

Ce cheminement s’insère aussi dans le jeu européen des puissances.

La France peine à trouver sa place entre une Espagne hégémonique, victorieuse des Turcs à Lépante en 1571 et se préparant à châtier « ses » Pays-Bas rebelles, l’« hérétique » Élisabeth Ière d’Angleterre et un empire germanique déchiré par les affrontements confessionnels et tout cela sous l’œil des papes Pie V puis Grégoire XIII, élu le 14 mai 1572, lesquels pensent la France toujours comme le bras armé de la papauté contre l’hérésie !!

L’Édit de Nantes du 13 avril 1598 est l’acte de pacification signé par Henri IV, acte qui définit les droits des protestants en France et met fin, temporairement, aux guerres de Religion.

En 1629Alès, haut lieu de la résistance protestante, est assiégée.

Par l’Édit de Grâce signé par Louis XIII le 28 juin 1629 à Lédignan, près d’Alès, les huguenots sont alors autorisés à partir vers Anduze contre la promesse expresse de ne plus porter les armes contre le roi. Le cadastre de Lédignan porte la marque de cet événement puisqu’en contrebas du village y est mentionné un quartier dénommé le « Camp du Roy ».

L’Édit de Fontainebleau du 17 octobre 1685 signé par Louis XIV révoque l’Édit de Nantes, interdit le protestantisme et contraint les protestants à la clandestinité ou à l’exil. Ceux-ci perdent ainsi leur identité sociale. Les protestants, déjà réduits en nombre depuis un siècle, sont obligés de se convertir ou de s'exiler. Suite à la révocation de l’édit de Nantes, la question protestante ne sera réglée qu’un siècle plus tard par l’Édit de tolérance de 1787.

Une des conséquences de la révocation de l’Édit de Nantes est la révolte des camisards dans les Cévennes car ils n’ont pas les moyens de s’exiler à la différence des bourgeois protestants. La guerres des camisards débute le 24 juillet 1702 par l’assassinat de l’abbé Du Chayla au Pont-de-Montvert et se termine le 13 septembre 1704 à la bataille de St-Bénezet. Cependant, des troubles perdurent jusqu’en 1710.

D’autre part, nombre de têtes de chefs camisards ont été exposées sur le garde-corps du pont d’Anduze ; de nombreux parpaillots ont été massacrés et leurs femmes violées à l’occasion des dragonnades !! (Cf. le film de René ALLIO « Les camisards 1972).

Les peines douces étaient les galères pour les hommes et l’enfermement pour les femmes sauf à renier leur foi !!!. Marie DURAND est restée enfermée pendant 38 ans à la Tour de Constance à Aigues-Mortes et a eu le temps de graver sur la pierre de la margelle « REGISTER ». Le musée du Désert à MIALET au-dessus d’ANDUZE retrace cette pugnacité.

L'Édit de Versailles (aussi appelé « Édit de tolérance ») du 7 novembre 1787, moins de 2 ans avant la révolution, est signé par Louis XVI sur la base d’un mémoire du pasteur Rabaut Saint-Étienne de 1786 favorable à une évolution législative en faveur des protestants.

 

 

2°) Ensuite, la Laïcité a gagné le territoire de France par des textes généraux

L’Édit de tolérance met définitivement fin aux persécutions contre les protestants et leur accorde un état-civil sans devoir se convertir au catholicisme, ce qui instaure le mariage civil en France.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 intègre pleinement les protestants dans leurs droits civiques.

Rédigé notamment par le pasteur Paul Rabaut Saint-Etienne de NÎMES, l’article 10 de la Déclaration proclame que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. ».

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 est un texte à valeur constitutionnelle reconnue par le Conseil constitutionnel français depuis 1971 : c’est le préambule de notre constitution de 1958.

Enfin, la loi de séparation des Églises et de l'État du 09 décembre 1905 votée à l'initiative du député républicain-socialiste Aristide Briand, loi qui remplace le régime du concordat de 1801, vient parachever l’œuvre de Laïcité.

Aristide Briand (né le 28 mars 1862 à Nantes et mort le 7 mars 1932 à Paris), issu d’une famille modeste, devient avocat.

En tant que militant socialiste, puis comme journaliste, notamment dans le journal anticlérical La Lanterne, il se fait une réputation de révolutionnaire. Député de la Loire, initiateur et rapporteur de la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 qui codifie la laïcité en France, il est onze fois président du Conseil et vingt-six fois ministre sous la IIIème République.

La loi du 09 décembre 1905 précise, dans son titre 1er intitulé « principes », les articles 1er et 2 qui disposent :

Article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »

Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes…

... »

 

Ainsi, la RÉPUBLIQUE s’appuie sur son socle des principes fondamentaux : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ces trois principes constitutionnels peuvent être rassemblés en un seul plus fort encore, celui de Laïcité, essence même du FAIRE SOCIÉTÉ (terme qui doit, à mon sens, se substituer à celui du « vivre ensemble » inapproprié car traduisant le fait que des communautés se côtoient sans jamais avoir un objectif et un dessein communs).

En droit, la laïcité est le « principe de séparation dans l'État de la société civile et de la société religieuse » et « d'impartialité ou de neutralité de l'État à l'égard des confessions religieuses ». Le mot désigne par extension le caractère des « institutions, publiques ou privées, qui sont indépendantes du clergé et des Églises ».

La LAÏCITÉ implique donc la séparation du politique temporel et du religieux intemporel car la Loi ne saurait trouver sa source dans aucun autre dogme que le dogme républicain.

In concreto, qu’apporte la Laïcité à notre société actuelle ? Ni plus ni moins que la Liberté, l’Égalité et la Fraternité.

 

C’est l’application pure et simple de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui dispose que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. ».

La Laïcité garantit le libre exercice des cultes et des convictions car elle assure la liberté absolue des consciences. C’est aussi la liberté vestimentaire (burkini ou nudisme !), liberté de choix des modalités d’obsèques (religieuses ou républicaines), dépénalisation de l’avortement et à sa libéralisation au nom d’un principe de libre disposition de son corps.

Constatons tout de même que les dernières lois sociétales (IVG, mariage pour tous, fin de vie dans la dignité) n’enlèvent rien, n’enlèvent aucun droit à ceux dont les convictions religieuses sont différentes et ne constituent aucunement une atteinte au principe de Liberté.

 

 

C’est aussi l’Égalité entre les citoyens, égalité devant la légalisation complète des unions de même sexe en vertu du principe républicain d’égalité devant la loi (cf. mariage pour tous), égalité salariale entre citoyens (égalité de salaire homme-femme), lutte contre les discriminations afférentes au genre (prix des rasoirs en supermarché différents pour homme ou pour femme), égalité des croyants et des non croyants devant l’impôt (inégalitaire avec le régime concordataire en Alsace-Moselle, Guyane et TOM).

 

Chaque individu est un citoyen qui fait société au sens de l’École historique française.

 

 

La Laïcité s'oppose à la reconnaissance d'une religion d'État. Toutefois, le principe de séparation entre l'État et les religions peut trouver des applications différentes selon les pays, de la laïcité proprement dite à la simple sécularisation, à l’autonomisation des sociétés modernes par rapport aux autorités religieuses.

«  Penser la laïcité » écrit par Catherine KINTZLER, agrégée de philosophie, professeur honoraire à l’université de Lille III et vice-présidente de la société de philosophie, est un ouvrage de référence sur le concept de laïcité.

Dans son introduction elle écrit que « le lieu naturel de la laïcité est la pensée des Lumières relayée par la pensée républicaine. » et elle affirme que « la laïcité a produit plus de libertés que ne l'a fait aucune religion investie du pouvoir politique ».

Catherine KINTZLER rappelle aussi que la laïcité entendue comme régime politique ne commence pas avec la loi de 1905, ni avec l’apparition du terme « laïcité » dans le vocabulaire politique. Nombre de lois laïques préexistaient avant : l’institution du mariage civil en 1792, les lois scolaires de la IIIe République, la loi de 1881 « sur la liberté des funérailles ».

 

 

3°) Le concept de Laïcité progresse encore en France …

Roger-Gérard SCHWARTZENBERG et 12 autres députés (Jésus et ses 12 apôtres ?) ont déposé le 6 janvier 2016 sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi constitutionnelle relative à la devise nationale de la France, dans laquelle il souhaite que soit ajouté le terme « Laïcité ». « Dans les circonstances présentes, la laïcité est plus que jamais nécessaire », estime-t-il car « la Laïcité est à la fois un principe de liberté et un principe de fraternité » et aussi d’égalité !!!

 

 

4°) Enfin, contrairement à des idées préconçues, la Laïcité a déjà gagné le monde !!!

Nombreux sont ceux qui, pour dénigrer la Laïcité, affirment, péremptoirement et sans avoir vérifier leurs sources que ce principe n’existe qu’en France !!

Le 05 novembre 2017, Valérie BOYER, députée Les Républicains des Bouches-du-Rhône et ancienne maire du 6ème arrondissement de Marseille, a pris, dans un tweet, quelques libertés avec la réalité historique et géopolitique en affirmant que « Oui, la laïcité n’existe que dans les pays aux racines chrétiennes. Qui peut dire le contraire ? ».

 

Non, la laïcité n’existe pas que dans les pays aux racines chrétiennes.

 

Quelques rapides recherches et de nombreux contre-exemples permettent de répondre par la négative à son interrogation.

 

L’exemple de la Turquie est le plus parlant : avant l’ère Erdogan, la laïcité était inscrite dans la Constitution depuis 1928. Dès 1924, les tribunaux religieux y étaient abolis et deux ans plus tard, la charia était à son tour abolie, pour être remplacée par une adaptation du code civil suisse.

Plus récemment, en 2008, la Cour constitutionnelle turque annulait un amendement autorisant le port du voile musulman à l’université.

La laïcité est toutefois compromise avec la montée en puissance de l’AKP, le Parti de la justice et du développement, islamo-conservateur, au pouvoir. Le 25 avril 2016, Ismail Kahraman, président de l’Assemblée nationale, déclenchait une vive polémique en déclarant que la Turquie était un pays musulman.

 

En Europe, 8 états appliquent le principe de séparation des Églises et de l'Etat (Hongrie, Lettonie, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Suède et France) mais l'Hexagone est le seul Etat à avoir inscrit ce principe de Laïcité dans sa Constitution.

 

En Afrique, de nombreux États se réclament de la laïcité. Le Togo, la République démocratique du Congo, le Cameroun, le Gabon, la Côte d'Ivoire, le Burkina Faso, le Tchad, la République centrafricaine, la Tanzanie et la Namibie ont inscrit la laïcité dans leur Constitution. La Laïcité est inscrite dans la Constitution du Mali dès son préambule. La Constitution du Sénégal dispose, dès son article 1er que « La République du Sénégal est laïque ». En Guinée, dès 1958, le 1er article de la Constitution dispose que « la Guinée est une République démocratique, laïque et sociale ».

 

En Asie, la Constitution du Japon de 1946, prévoit une séparation des organismes religieux et de l’Etat. Son article 20 garantit la liberté de religion à tous, tout en disposant que « l’Etat et ses organes s’abstiendront de l’enseignement religieux ou de toutes autres activités religieuses ».

 

En Inde, la Laïcité est également inscrite dans la Constitution« C’est toutefois une laïcité très différente de la conception française, notamment à cause du système de castes », tempère le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité.

 

Cependant, « Certains de ces États ont une attitude paradoxale : ils sont laïques, mais avec une très forte religiosité. »

 

La Laïcité n’est pas qu’un concept. Que faisons-nous pour rendre concrète cette belle idée encore plus magnifique ? L’actualité immédiate et douloureuse nous commande de faire de la Laïcité un combat de tous les jours.

 

Philippe FOUSSIER a écrit que la LAÏCITÉ est « une idée ancienne mais un combat moderne » et j’ajoute « universel ».

 

 

Il était donc important de savoir comment est née la Laïcité en Cévennes pour « ne pas oublier notre passé et ne pas être condamné à le revivre [les guerres civiles]. »

 

Lédignan, le 15 mars 2024

 

Lionel Ch. BOURGOIS,

Avocat honoraire.

 


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