Terre débatue

par C’est Nabum
vendredi 2 juin 2023

 

De la poudre aux yeux.

 

Quelle faute a-t-elle commise, cette malheureuse petite surface, pour mériter pareil traitement ? La pauvrette, composée savamment de cinq couches habilement superposées. La brique pilée sur 1 à 2 mm atteste que l'argent est au cœur de la chose puis le calcaire pilé est à cran sur 6 à 7 cm précédant un résidu de houille qui se prenant pour du mâchefer sur 7 à 8 cm précédait des cailloux concassés sur au moins 30 cm rappellent qu'il existe bien des damnés de la terre avant que les drains canalisent l'argent là où il convient.

Du matin au soir, la terre ainsi composée est battue, foulée, scrutée, piétinée, frappée, peignée, ratissée sous les yeux de tout un pays qui espère voir quelqu'un mordre sa poussière. L'absurde est au rendez-vous dans ce combat sans pitié pour lequel il a fallu séparer les adversaires par une frontière, une barrière de fils même pas barbelés.

Des voyeurs se massent autour de l’arène, indifférents semble-t-il à cette couleur ocre qui provient à n'en point douter du sang des pauvres victimes. Les spectateurs vocifèrent à la moindre balle perdue, se délectent de la glissade d'un gladiateur, réclament la tête de l'un, ceignent d'une auréole l'autre dans une hystérie des plus préoccupantes pour leur état mental.

D'autres, les mieux placés, curieusement, ne sont présents que dans l'espoir d'être vus, de se trouver sous le balayage de caméras qui sont à l'affût des têtes couronnées, connues, grimées, célèbres. La foire aux vanités durant une quinzaine annonciatrice de l'été avant que ceux-là, n'aillent préférer le sable à la terre poussiéreuse.

Les lignes blanches rappellent à ceux-là, la petite substance qui égaie les soirées de ces mondains, gens au-dessus de la mêlée alors qu'ici, leurs loges sont au ras du terrain. Pour d'autres spectacles, paradoxalement, c'est tout en haut des tribunes qu'ils se goinfrent de petits fours et de champagne tandis qu'il est interdit à la masse populeuse de boire la moindre goutte d'alcool.

La société à plusieurs vitesses, démontre à tous, qu'elle n'est pas prête à mordre la poussière dans la nation des privilèges sans cesse réactivés. Pendant ce temps, des journalistes complices exaltent les mérites de millionnaires en short qui sillonnent une planète ignorante des tourments climatiques et énergétiques pour faire rebondir une malheureuse petite balle.

Il y a un trou dans la raquette dans cette farce du fric roi tandis que des gamins, exemptés de cours servent de larbins à des gens incapables de ramasser la balle ou bien d'aller quérir leur serviette. Des adultes passent leur temps à surveiller une ligne sans pour autant y avoir accroché un bouchon alors qu'ils sont supervisés par un curieux surveillant de baignade qui a besoin d'un micro pour égrainer le score.

La terre est débattue, commentée, analysée tandis que les yeux au ciel, chacun croise les doigts dans l'espoir que nul nuage ne viendra obscurcir cette grande et fastueuse quinzaine commerciale. Les bonnes affaires se font à l'écart dans des carrés VIP, la forme la plus élaborée de la ségrégation sociale, qui est l'essence même de cette parodie sportive.

Qui porte le chapeau au bout du compte aura son quart de seconde de célébrité pourvu qu'il soit ou surtout qu'elle soit fort agréable à regarder. La télévision publique donnant ainsi la preuve que ses écrans sont ouverts essentiellement à la beauté et à la richesse, à une forme élaborée d'eugénisme esthétique et économique.

Tout ce fatras, guère démocratique est à l'image d'une société qui n'a jamais pensé la mixité sociale. Le stade Rolland Garros démontre que les inégalités, loin de battre de l'aile, ne cessent de planer au-dessus d'une terre abattue devant tant de morgue et de prétention. Tout ce cirque n'est pas bien net avouons-le, mais que faire si ce n'est prendre patience, en attendant que les prochains Jeux Olympiques poussent à leur paroxysme, cette foire aux vanités et aux inégalités.

À contre-volée.

Illustrations

Lucie LLONG


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