La question des hautes rémunérations (3) : Spécificité

par Pierre Bilger
mardi 14 juin 2005

Quels changements entraine pour le cadre dirigeant salarié sa nomination comme président directeur général ?
A l’évidence, il y a d’abord la satisfaction gratifiante d’assumer la responsabilité globale et ultime de l’entreprise et d’être en position de mettre en oeuvre sa vision de son avenir. En outre, s’il a l’âme bien née, il sera heureux de pouvoir contribuer à l’emploi et à l’épanouissement de ses collaborateurs directs et indirects. Enfin, pour peu que les circonstances le favorisent, il appréciera de délivrer une performance positive à ses actionnaires grâce aux initiatives qu’il aura su prendre.


Les cyniques, et il y en a parmi les chefs d’entreprise même s’ils ne sont pas de loin majoritaires, considèrent que ces éléments pèsent peu par rapport aux risques personnels qui sont associés à la fonction de président directeur général d’une grande société cotée.
D’abord, grandeur et servitude de sa position, il est effectivement révocable ad nutum pour reprendre l’expression d’Edouard Tétreau, c’est-à-dire que le conseil d’administration a la capacité juridique et pratique de mettre fin à ses fonctions sans indemnité et sans avoir à justifier sa décision par la mise en évidence d’une faute professionnelle ou d’erreurs de gestion et n’est tenu que par les engagements qu’il a pu prendre lui-même à son égard. Le fait que de telles décisions soient rarement prises sans compensation financière n’en exclut pas pour autant la possibilité.
Ensuite, pour gratifiante qu’elle puisse être, la responsabilité de diriger de manière ultime une grande entreprise, cotée en bourse, impose des exigences particulières, non seulement en termes de charge de travail, ce qui est le lot commun de beaucoup de dirigeants ou de cadres d’entreprise même s’ils n’en sont pas les chefs, mais aussi par la tension de tous les instants, qui n’aurorise aucun relâchement, qu’elle impose à l’intéressé. Les décisions sont souvent lourdes, elles peuvent porter sur des enjeux financiers considérables, elles peuvent concerner un grand nombre de personnes.
Tout dirigeant peut à un moment quelconque être sujet à l’erreur et le droit à l’erreur participe même, aux yeux de beaucoup, comme un moyen d’améliorer la performance. Dans le cas du président directeur général d’une grande société cotée, le droit à l’erreur n’existe pratiquement pas. Quand il est mis fin à ses fonctions, il est extrêmement rare qu’il puisse retrouver une position de dimension équivalente de nature à lui donner une deuxième chance alors que de telles situations sont heureusement beaucoup plus fréquentes dans le cas de dirigeants qui n’ont pas encore accédé à la fonction suprême.
En outre la judiciarisation croissante, notamment mais pas seulement en France, de la vie des entreprises expose les chefs des très grandes entreprises cotées à des risques qui ne sont pas nécessairement liés à des fautes personnelles avérées, relevant légitimement de la justice pénale. Parce qu’il s’agit de présidents-directeurs généraux, la garde à vue et la mise en examen sont pratiqués sans retenue sans qu’elles soient toujours nécessaires à la manifestation de la vérité, avec peu d’égards pour la présomption d’innocence et encore moins de délicatesse pour les proches. De pareilles mésaventures arrivent aussi à des cadres dirigeants d’entreprise. Mais l’expérience a montré que les présidents directeurs généraux constituent pour une certaine magistrature des gibiers de choix que les non lieux souvent tardifs ne consolent qu’imparfaitement. Et ceci sans parler des désagréments qu’imposent souvent les procédures de sanction, gérées par les autorités de marché en France ou ailleurs, même lorsqu’elles s’achèvent par des mises hors de cause. Sans parler aussi des class actions américaines auxquelles s’exposent ceux qui ont commis l’erreur de faire coter leur entreprise à New York et qui durent généralement de nombreuses années.
Enfin, parmi ces risques personnels, il faut mentionner l’attention, parfois trop recherchée, mais souvent involontaire, dont font l’objet ces chefs d’entreprise cotée de la part des médias. Il est vrai que l’opprobre et la condamnation qui les accablent en cas de difficultés est souvent précédée d’une période d’adulation excessive au point parfois de frôler le ridicule. Le problème est que les analyses et les jugements délivrés par les médias le sont rarement de manière compétente et informée et ne laissent généralement, au contraire de ce qui prévaut avec les autorités financières, que peu de place à la défense. La vie des entreprises est quelque chose de compliqué. Porter un jugement honnête sur une performance l’est tout autant. Seuls, en fait, les conseils d’administration disposent des éléments adéquats pour le formuler. Le journaliste, pour intelligent et avisé qu’il soit, ne peut se substituer à eux pas plus que le dineur en ville, fût-il lui-même chef d’entreprise !
Bien entendu, les risques personnels réels que prend le président directeur général d’une grande entreprise cotée en acceptant une telle fonction ne l’emportent pas sur l’attrait que représente son exercice. Ils justifient néanmoins que l’avantage financier global qu’il est susceptible d’en retirer soit suffisant non seulement pour le libérer de toute préoccupation à ce sujet, mais aussi pour l’encourager à délivrer la meilleure performance possible. Il est donc normal que cet avantage fasse apparaître un écart significatif par rapport à ce dont il aurait bénéficié s’il avait continué simplement sa carrière de cadre dirigeant.

Prochaine note : (4) Transparence


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