« Entre deux mondes » d’Olivier Norek : une plongée glaçante dans la Jungle de Calais

par Fergus
lundi 22 janvier 2024

Publié en 2017 par les Éditions Michel Lafon, Entre deux mondes assène aux lecteurs un nouveau coup de poing après les précédents opus de l’auteur : Code 93, Territoires et Surtensions. L’action ne se déroule plus dans la Seine-Saint-Denis gangrenée par la violence, les trafics et les magouilles politiques, mais à Calais, au cœur et aux abords de cette Jungle où l’on viole et où l’on tue sans provoquer la moindre réaction des autorités françaises…

Photo Franck Dubray / Ouest-France

« Partout dans le monde, quels que soit le niveau de pauvreté ou de détresse, tu trouveras toujours un homme sans cœur pour tenter d’en profiter. » (Olivier Norek)

D’emblée, Olivier Norek, petit-fils d’un immigré de Silésie, annonce la couleur dans un encadré précédant le début de son livre : «  Face à la violence de la réalité, je n’ose pas inventer. Seule l’enquête de police, basée sur des faits réels, a été romancée. Je remercie les flics de Calais, ceux des Renseignements, les Calaisiens, les journalistes, (...) les bénévoles humanitaires, mais par-dessus tout, ces hommes et ces femmes qui, fuyant l’horreur des guerres, ont accepté de se livrer. » Se livrer sous la forme de récits abominables qui, croisés avec les témoignages des policiers locaux et des habitants, ont nourri ce roman glaçant mais ô combien nécessaire.

Dès les premières pages, le livre nous plonge dans l’ambiance sordide des geôles du pouvoir syrien de Bachar el-Assad. Vient ensuite l’horreur d’une périlleuse traversée de migrants sur un rafiot délabré entre la Libye et la Sicile. Puis l’on découvre l’hallucinante réalité de la Jungle de Calais telle qu’elle existait avant le démantèlement de 2016, avec ses 10 000 migrants entassés dans le plus grand bidonville d’Europe. Telle sans doute qu’elle a été en partie reconstituée sur place ou en divers lieux de la côte d’Opale par des migrants prêts à risquer leur vie pour atteindre Youké*, l’Eldorado britannique rêvé par tant d’Afghans, d’Africains, d’Irakiens et de Syriens chassés par les guerres ou les régimes criminels.

Une zone de non-droit

Olivier Norek sait de quoi il parle : ancien militant humanitaire engagé en ex-Yougoslavie, puis officier de police judiciaire en Seine-Saint-Denis (au SDPJ 93), il a lui-même été confronté à la violence, aux rivalités ethniques, à la criminalité, à la détresse. Ses contacts avec la BAC de Calais et un flic de « l’ombre », avec également des journalistes locaux, et bien sûr avec des migrants, lui ont permis de construire, autour de la personnalité de deux policiers – un lieutenant français fraîchement nommé à Calais et un ex-capitaine syrien – cette histoire criante d’une vérité cruelle. Une histoire qui met à mal les idées reçues, et plus encore les visions manichéennes que l’on a trop souvent de l’existence des autres.

Le titre, Entre deux mondes, résume parfaitement le malaise que l’on ressent à la lecture de ce roman tout à la fois puissant, humain et dérangeant : « Les migrants fuient un pays en guerre vers lequel on ne peut décemment pas les renvoyer, mais de l’autre côté, on les empêche d’aller où ils veulent », constate, désabusé, l’un des flics au vu des conséquences du calamiteux Traité du Touquet. Résultat : des hommes, des femmes, mais aussi des adolescents isolés, se trouvent en situation de survie dans une zone de non-droit, aux allures de cloaque par endroits, où les faibles sont soumis par la violence aux exactions des plus forts, et parfois à des actes criminels. Une « jungle » inhospitalière, dangereuse, insalubre, et tellement illusoire.

L’origine du nom de ce camp de misère et d’exclusion est pourtant poétique : la Jungle était implantée en bordure d’un bois ; les premiers migrants iraniens l’ont nommé Jangal, ce qui signifie « petite forêt » en perse.

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