L’IVG dans la Constitution (1) : l’émotion en Congrès

par Sylvain Rakotoarison
jeudi 7 mars 2024

« Les moments d’unité en politique sont rares, ce moment, d’une haute importance, le rappelle. C’est donc avec fierté et beaucoup d’émotion que nous voterons nous aussi le texte qui inscrit le droit à l’IVG dans la Constitution. (…) La liberté de recourir à l'IVG est souvent prise pour cible. L'actualité internationale nous rappelle la fragilité inouïe de cette liberté fondamentale, alors même que le "contrôle de la procréation entre les mains des femmes elles-mêmes est, comme l'écrivait Françoise Héritier, la première marche vers l’égalité". » (François Patriat, le 4 mars 2024 à Versailles).

Ça y est, l'inscription de l'IVG a été actée dans la Constitution. Cette après-midi du lundi 4 mars 2024, les parlementaires ont été mobilisés à Versailles, réunis en Congrès sur convocation du Président de la République, pour voter définitivement la révision de la Constitution. À 18 heures 50, la Présidente du Congrès Yaël Braun-Pivet a lu les résultats des votes avec un majestueux sourire : 780 voix pour, 72 voix contre, et 50 abstentions sur 902 votants. La majorité des trois cinquièmes (60%) nécessaires a été largement dépassée : près de 92% des parlementaires ont voté la réforme ! Bien plus que toutes les prévisions dont les premières excluaient même la convocation au Congrès il y a encore quelques semaines.

Quasiment tout le monde, y compris le RN, a admis que cette journée était une journée de concorde nationale. J'y reviendrai. Et personne n'avait de raison très sérieuse, à part s'opposer à l'IVG elle-même, de ne pas voter la révision. Je voudrais exprimer sentiments et réflexions personnels à ce sujet.

D'abord, je dois dire que je suis mal à l'aise avec les déclarations habituellement entendues : on parle de droits des femmes, de liberté de disposer de leur corps. Soit. Mais le problème n'était pas là. Quand Simone Veil a fait adopter sa loi, il y a un peu plus de quarante-neuf ans (on remarquera au passage le bon timing de cette révision, à quatre jours de la journée internationale de la femme), ce n'était pas pour parler de la liberté des femmes mais pour parler de leur vie, de leur existence et de leur santé. Et en insistant toujours sur le fait qu'un avortement, c'est avant tout un drame, un traumatisme, qu'il soit autorisé ou interdit (plus traumatisant s'il est interdit, évidemment). L'abolition de la peine de mort, oui, on aurait pu se satisfaire de ce genre de discours triomphaliste à la limite de l'arrogance sur la France éclairant le monde de ses Lumières (mais comme la France l'a fait très tardivement, on s'en est gardé), alors que l'IVG, c'est autre chose. C'est d'abord une amputation.

Je suis aussi mal à l'aise car je ne sais pas ce que j'aurais voté si j'étais parlementaire. Sans doute j'aurais voté pour, après réflexion et sans pression, mais sans passion et sans enthousiasme, plus par raison que par incarnation. Je comprends ainsi que certains parlementaires aient voté contre, ou, moins courageux, se soient abstenus (je suis désolé de le dire car il y en a de grande valeur qui se sont abstenus). C'est la principale raison de la réticence à cette initiative : l'IVG avait été actée il y a un demi-siècle, l'affaire était classée, et certains parlementaires ne voulaient pas se retrouver dans la même situation que ceux de 1974-1975 à devoir faire un choix public, entre ce que leur dicterait leur conscience et que la société leur demanderait, car pour ce sujet, c'est l'évolution de la société que le législateur a dû suivre.

Ce n'est pas ma foi catholique qui me déterminerait mes choix politiques et je regrette que l'Église catholique ait voulu faire pression sur la société à ce sujet, même si elle reste dans son rôle de rappeler que la vie est sacrée et qu'il faut précieusement la protéger. Je suis croyant parce que j'ai une certaine idée de la vie (sacrée) plus que l'inverse. Au final, cela ne change pas grand-chose, mais le principe de l'IVG me heurte personnellement, en ce sens qu'après fécondation, je crois fortement que l'embryon est déjà une personne en devenir, c'est d'ailleurs pour cette raison que le statut de l'embryon est très défini et protégé (malheureusement, de moins en moins).

Mais ma morale personnelle ne doit pas intervenir dans la morale publique. Pour une société comme la France, la loi Veil était une nécessité et cela faisait plusieurs années que les ministres savaient qu'il fallait la faire. La loi Veil a sauvé de nombreuses vies. C'est cela qu'il faut retenir, au lieu d'imaginer tous ces embryons voire fœtus (car à partir de combien de semaines ce ne serait plus convenable ?) tués, il faut rappeler la très forte mortalité des femmes enceintes qui voulaient avorter dans la clandestinité. Donc, oui, et elles ont été souvent citées au cours de cette journée, Gisèle Halimi (qui a amorcé les prises de conscience), Simone Veil (avec sa loi très mesurée et équilibrée) et Yvette Roudy (qui a rendu gratuite l'IVG, gratuité sans laquelle il n'y a pas de liberté pour toutes).

Une petite parenthèse : la question n'est pas similaire à la question de l'euthanasie car je considère que la morale publique doit absolument s'opposer à l'euthanasie, pour de nombreuses raisons. Je me réjouis d'ailleurs que la plupart des parlementaires n'ont fait aucun parallèle avec ces deux graves sujets, préférant mettre l'inscription de l'IVG dans la Constitution comme un élément de victoire de la lutte des femmes voire comme une Lumière supplémentaire ajoutée à celles de la Révolution française ! Mais cela n'est pas le sujet ici.

Donc, le principe de réalité impose au législateur d'autoriser et d'encadrer dans un strict cadre médical l'avortement pour éviter l'hécatombe des femmes. Du reste, l'autorisation de l'avortement n'a pas fait augmenter le nombre d'avortements, qui se situe autour de 240 000, c'est resté stable depuis cinquante ans alors que la population français a progressé énormément. C'est sûr qu'avant l'avortement, la contraception, autorisée depuis le 29 décembre 1967 par la loi défendue par Lucien Neuwirth (lui aussi souvent cité pendant cette journée), permet souvent d'éviter ce drame.

À ceux qui ne sont pas convaincus par cet argument de santé publique, je leur recommande d'entendre le docteur Claude Malhuret, également sénateur, qui est intervenu au débat public. Son témoignage était émouvant et ni politique ni idéologique, juste une leçon de vie à faire frémir (j'y reviendrai comme je reviendrai à la plupart des interventions de la journée).

Les évolutions de la loi Veil n'ont pas été heureuses et visent à faire de l'avortement un acte banal alors qu'il ne l'est pas. En augmentant le nombre de semaines, de 10 à 12, puis de 12 à 14 semaines (jusqu'où ira-t-on ?) et en supprimant l'entretien préalable. Néanmoins, cela n'a pas semblé faire croître le nombre d'avortements et si je suis favorable à la clause de conscience des médecins, il faut aussi se préoccuper de la capacité concrète de se faire avorter, remise en cause dans certains territoires ce qui met au péril cette liberté de se faire avorter pour toutes.

La réaction de la ministre déléguée Aurore Bergé lors du vote, sur Twitter, m'a un peu gêné : « Pour toi, maman. Pour toi, ma fille. Pour toutes nos mères. Pour toutes nos filles. Pour toujours ! Liberté ! ». Parce que je me dis que l'avortement empêche la mère d'être mère, la fille d'être fille. Mais pour bien comprendre ce tweet, il fallait l'écouter le 24 janvier 2024 : « Je suis la fille d'une mère qui a risqué la prison et la mort pour avorter dans la clandestinité. Et la mère d'une fille que je souhaite voir grandir libre. Libre de disposer de son corps. Soyons à la hauteur de nos mères. À la hauteur de nos filles. ».

Évoquons maintenant cette révision constitutionnelle. L'inscription dans la Constitution, et tout le monde l'admet, ne fera aucun changement par rapport à l'existant. Les femmes auront toujours la liberté de se faire avorter, mais elles pourront toujours avoir des difficultés à le faire dans certains endroits de France, faute de médecins ou d'hôpitaux qui les accueillent le cas échéant.

On pourrait même suggérer que la loi Veil fasse déjà partie du Bloc de constitutionnalité reconnu par le Conseil Constitutionnel, comme c'est explicitement le cas pour la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité (qui n'est pourtant qu'une simple loi et qu'on a voulu constitutionnaliser mais c'était très compliqué car le statut de l'Alsace-Moselle reste soumis au Concordat dans le droit français), et donc, que cette liberté de l'IVG était déjà protégée comme faisant partie des libertés fondamentales. D'autant plus qu'on pourrait interpréter cette liberté du "bon côté", qui serait la liberté de faire ou pas des enfants, la liberté de ne pas faire d'enfant signifiant la possibilité de la contraception et de l'avortement.
 

Alors pourquoi la Constitution ? Pour sa valeur symbolique, pour des considérations de politique étrangère (la France est le premier pays au monde à constitutionnaliser la liberté de faire une IVG), et, bien sûr, pour des considérations de politique intérieure. Dans le monde, il y a certains pays qui ont remis en cause cette liberté, et cela a été souvent dit par les orateurs, notamment les États-Unis mais il y a l'inquiétude pour l'Argentine (bientôt remis en cause) et un peu moins d'angoisse pour la Pologne (c'était remis en cause mais la nouvelle majorité va revenir sur celle-ci).

Pour les considérations de politique intérieure, je laisse chacun libre de ses jugements avec ses propres opinions partisanes. Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, peu suspect de macronisme, a expliqué dans "L'Obs" du 4 mars 2024 : « Peu importe qu’il ait récupéré une initiative amorcée par la gauche, notamment par les insoumis de l’Assemblée Nationale : l’histoire retiendra que c’est Emmanuel Macron qui a inscrit l’IVG dans la Constitution française. Or c’est précisément ce que la majorité sénatoriale souhaitait éviter. ». En effet, ni la sénatrice communiste Laurence Cohen, auteure de la première proposition de loi allant dans ce sens, ni (encore moins) la députée FI Mathilde Panot ou encore la sénatrice écologiste Mélanie Vogel (toutes les deux auteures de propositions de loi récentes allant dans ce sens) n'auraient cette "paternité" (si je puis dire pour des femmes) car c'est finalement le gouvernement qui a déposé le projet de loi qui a abouti à cette révision.


La raison était double et politiquement et institutionnellement très habile. D'une part, cela a évité un référendum qui n'aurait pas lieu d'être car le sujet ne clive pas la société française et aurait donc été inutile (le risque d'une abstention massive est dissuasif). Il faut rappeler que les propositions de loi constitutionnelle ne peuvent aboutir qu'après un référendum et la voie du Congrès n'est réservée qu'aux projets de loi constitutionnelle (donc initiés par le gouvernement). Cela a aussi l'intérêt préalable de pouvoir faire étudier le texte par le Conseil d'État. D'autre part, cela a permis cette grande victoire de 92% des parlementaires qui l'ont adopté, et là, ce n'était pas du tout gagné, notamment du côté des sénateurs.

En déposant un projet de loi constitutionnel lui-même, le gouvernement a pu maîtriser exactement les mots employés, et le débat était double. D'une part, entre "droit" (voulu par l'extrême gauche) et "liberté garantie" (introduite par les sénateurs). En adoptant le mot liberté au lieu de droit, le gouvernement a pu convertir une large majorité des élus LR et centristes à ce projet (et même RN !), ce qui était indispensable pour son adoption. D'autre part, il s'agissait pour le gouvernement de ne pas refaire le débat de l'IVG, et rouvrir la boîte de Pandore, mais seulement de l'inscrire dans le texte fondamental. Pour cela, il ne fallait parler d'aucune condition d'application de l'IVG qui restera dans le domaine de la simple loi (entre autres, sur la clause de conscience demandée par la droite sénatoriale, et sur la durée du délai pour l'IVG, la gauche aurait souhaité y mettre au moins un délai minimal). Tous ces éléments sont renvoyés à la simple loi, que le législateur pourrait éventuellement modifier (ou pas).
 

Dans sa formulation, cette révision constitutionnelle est donc bien celle du gouvernement et du Président Emmanuel Macron qui était pourtant au début plutôt hostile à cette idée. Jean-Philippe Durosier a donc raison quand il rend la paternité à Emmanuel Macron lui-même et ce n'est pas anodin que ce dernier veuille faire une grande cérémonie place Vendôme (siège du Ministère de la Justice) le vendredi 8 mars 2024 vers midi, car il était absent de cette journée purement parlementaire à Versailles, comme l'a imposé la Constitution.

Maintenant, évoquons la caractère émouvant de l'événement. À l'origine, le passage au Congrès ne laissant pas de doute sur son issue favorable, cela n'était qu'une journée de formalisme constitutionnel, de formalités avec pompes et protocole (et sceau !).

J'ai ressenti un drôle de trouble. Je suis désolé de parler de moi-même, mais l'analogie me paraît pertinente. Lorsque je me suis marié (événement relativement ordinaire dans notre société mais exceptionnel dans ma vie), nous avions choisi de séparer le mariage civil du mariage religieux. De deux semaines, parce que l'un se faisait dans une ville et l'autre à plus de trois cents kilomètres de là. Mais nous avions décidé que la véritable fête était le mariage religieux, celle qui avait le plus de sens pour nous, où toute notre famille et nos amis étaient invités et rassemblés. Pour le mariage civil, en très petit comité, nous avions fait on ne peut plus sobre, les quinze minutes (à peine) dans la salle (prestigieuse, il faut le reconnaître) de la mairie et ensuite, une petite réception chez mes beaux-parents l'après-midi. Nous pensions que ce n'était qu'un acte administratif, et que la grande fête était réservée deux semaines plus tard. Rentrés le soir tout seuls chez nous, cela nous faisait tout drôle : devant la République, nous étions déjà officiellement mariés, le livret de famille en main. Et une énorme émotion nous a submergés...

Eh bien, c'est ce type d'émotion que j'ai ressentie chez les parlementaires ce 4 mars 2024 à Versailles. Au départ, une lettre à la poste, et au fil des interventions des orateurs, la conscience aiguë que se jouait en direct un morceau d'histoire républicaine. Mais cette journée était-elle vraiment si historique que cela ?

La réponse est assurément oui, et pour plusieurs raisons.
 

La première raison a l'air de rien mais c'est essentiel. La personnalité qui préside le Congrès est celle qui préside l'Assemblée Nationale. Pour la première fois de l'histoire de la République, cette personne est une femme, Yaël Braun-Pivet, et elle a dû se préparer à cela car elle était dans un état d'esprit extraordinairement positif et déterminé. C'était elle la chef de toute la journée, du début à la fin. Aux côtés du Président du Sénat, Gérard Larcher, qui devait faire bonne figure, lui qui était opposé jusqu'à la tenue du Congrès (il s'est abstenu), mais aussi du Premier Ministre Gabriel Attal qui a fait le discours du gouvernement, et des trois ministres concernés Éric Dupond-Moretti (Justice), Aurore Bergé (Égalité entre les femmes et les hommes) et Marie Lebec (Relations avec le Parlement). Une majorité de femmes !

La deuxième raison est le principe même de la révision de la Constitution. On critique souvent le grand nombre de révisions constitutionnelles, mais la dernière (la vingt-quatrième) a eu lieu il y a près de seize ans déjà, le 23 juillet 2008. Depuis cette date, aucune révision n'a pu aboutir, et on peut même dire heureusement la plupart du temps ! L'idée que chaque Président de la République veuille ou puisse faire un toilettage complet de la Constitution au début de chaque mandat (comme en 2008) est insupportable. Désormais, des révisions constitutionnelles très ciblées auront plus de chance d'aboutir. C'est donc historique en ce sens qu'on révise de plus en plus difficilement la Constitution dans un paysage politique éclaté (il faut une majorité de trois cinquièmes ou un référendum). Emmanuel Macron a d'autres projets de révisions ciblées, en particulier les statuts de la Nouvelle-Calédonie, de la Corse et de Mayotte, mais il n'est pas sûr qu'il ait cette possibilité politique d'aller jusqu'au bout.

L'autre émotion, c'est le sceau à mettre sur la loi. Cette grosse machine mécanique qui était de même sorte que celle que De Gaulle et Michel Debré ont maniée pour promulguer la Constitution du 4 octobre 1958. Une image historique qui est restée dans les mémoires.

La troisième raison, c'est que, comme c'est proclamé par beaucoup de parlementaires, la France est le premier pays à avoir inscrit l'IVG dans sa Constitution. Du moins, avec cette formulation, comme l'a précisé Jean-Philippe Durosier : « La Constitution française devient la première Constitution démocratique au monde à reconnaître expressément l’interruption volontaire de grossesse. Ces dernières précisions sont importantes car d’autres Constitutions de régimes démocratiques ou non l’ont déjà indirectement évoquée, telle la Constitution de la Yougoslavie de Tito, en 1974, dont l’article 191 consacrait le droit humain de décider librement de son organisation familiale. Aujourd’hui, l’article 55 de la Constitution de Slovénie garantit que "chacun est libre de décider s’il souhaite avoir des enfants", en précisant que "l’État garantit les possibilités d'exercice de cette liberté et crée les conditions permettant aux parents de décider d'avoir des enfants". ». Nul doute que dans l'avenir, la France sera imitée. Il est aussi question d'inscrire l'IVG dans la Charte des valeurs de l'Union Européennes.

La quatrième raison, c'est la personnalité qui a défendu ce projet devant le Congrès : Gabriel Attal, le plus jeune Premier Ministre de l'histoire, dont la mère était trop jeune pour avoir participé aux combats pour les femmes. Il n'est pas une femme et il est d'une génération très éloignée de ces luttes féministes, mais il est aussi l'avenir, et sa présence comme premier défenseur de cette révision constitutionnelle peut faire prendre conscience auprès des jeunes générations de l'importance du sujet. En outre, il a affirmé le 29 juin 2021 être né d'une PMA, dans le même hôpital qu'Amandine, le premier bébé éprouvette français. C'est un représentant de la modernité sociétale dans sa propre chair.

Il y a un côté surréaliste d'entendre ce jeune homme né le 16 mars 1989 (il aura 35 ans dans la semaine prochaine) dire : « Mesdames et messieurs les parlementaires, nous étions en 1972, nous sommes en 2024 : qu’il est long le chemin de la liberté ! Alors que nous vous proposons de faire un pas de plus, c'est avec la plus grande humilité que je m’adresse à vous. Mesdames, et je dis bien mesdames, l'homme que je suis ne peut imaginer vraiment la détresse qu’ont pu connaître ces femmes, privées de la liberté de disposer de leur corps des décennies durant. L’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la souffrance physique d'alors, quand l’avortement était synonyme de clandestinité honteuse, de douleurs innommables et de risques fatals. L’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la souffrance morale, causée par une société pesante, qui préférait taire et condamner. Mais le frère, le fils, l'ami et le Premier Ministre que je suis retiendra toute sa vie la fierté d’avoir été présent à cette tribune en ce jour où, je l'espère, sera consacré le combat de femmes et d'hommes de tous bords et de toutes sensibilités confondus. Ils font honneur à la nation des droits qu'est la France en ayant rendu possible cet instant, ce jour où nous pouvons ensemble, unis et pleins d’émotion, modifier notre loi fondamentale pour enfin y inscrire la liberté des femmes. ». De plus, il y a un côté presque insolent qu'en moins de deux mois, il fasse adopter une révision constitutionnelle devenue si rare, avec un consensus si éclatant (92%) alors que sa prédécesseure Élisabeth Borne avait du mal à rassembler des majorités pour des lois importantes.
 

La cinquième raison, c'est en effet l'évident consensus qui transcende les querelles partisanes. Pour une fois, surtout depuis le début de cette législature au climat détestable, en particulier lors de l'examen de la réforme des retraites et celui de la loi Immigration, tous les parlementaires allaient dans le même sens, y compris le RN qui a certes émis quelques réticences mais a voté majoritairement pour cette inscription. Et au-delà du consensus, c'est bien de la grande joie qu'on pouvait ressentir chez certaines parlementaires, je mets ici au féminin. La joie de Yaël Braun-Pivet qui n'a pas quitté son grand sourire, on peut la comprendre en tant que grande ordonnatrice. La joie de l'ancienne ministre socialiste Laurence Rossignol qui a voulu savourer sa joie et la faire partager. Aussi celle de Mathilde Panot et de Mélanie Vogel. Remonter le temps pour retrouver un climat aussi positif parmi les parlementaires, j'ai des difficultés pour me souvenir d'une date, tant les débats parlementaires ont été ponctués d'invectives, de simplismes, de postures, d'hypocrisies, etc. Au risque de devenir bisounours, on a retrouvé une classe politique que je dirais responsable, c'est-à-dire qui a laissé au vestiaire ses intérêts partisans (et la question : est-ce que ça va me profiter ?) et qui construit ensemble le bien commun.

Du coup, la sixième raison, que je développerai dans un article suivant, c'est la très haute tenue des interventions des orateurs, comme l'a dit le sénateur macroniste François Patriat qui a commencé son intervention aussi en s'excusant des redites, car c'est le risque de ce genre de grande intervention, redire ce que le collègue venait de dire, d'où la prime à l'originalité : « Je salue les nombreux propos de haute tenue que j'ai entendus. Je les ai applaudis. Au risque de vous faire subir quelques répétitions, je souhaite, à mon tour, insister sur plusieurs points. ».

Eh oui, j'ai trouvé les orateurs très bons, leurs interventions intelligentes, pertinentes, venues du cœur, passionnées et passionnantes... même celle de Mathilde Panot qui, pourtant, ne brille pas par son esprit consensuel ni une finesse intellectuelle, mais là, elle a eu la lumière et elle voudrait même se comparer à Simone Veil (une affiche FI risible la montre aux côtés de la grande dame avec ce slogan : "On l'a fait !"). Oui, nous croyions avoir la classe politique la plus bête au monde, et voici que nous observons qu'elle est capable du meilleur, d'être au rendez-vous de l'histoire, et finalement, d'être au rendez-vous des Français. Bravo à elle ! Mais qu'elle persévère !


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (04 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L'IVG dans la Constitution (1) : l'émotion en Congrès.
La convocation du Parlement en Congrès pour l'IVG.
L'inscription de l'IVG dans la Constitution ?
Simone Veil, l’avortement, hier et aujourd’hui…
L’avortement et Simone Veil.
Le fœtus est-il une personne à part entière ?
Le mariage pour tous, 10 ans plus tard.
Rapport 2023 de SOS Homophobie (à télécharger).
Six ans plus tard.
Mariage lesbien à Nancy.
Mariage posthume, mariage "nécrophile" ? et pourquoi pas entre homosexuels ?
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Ciel gris sur les mariages.
Les 20 ans du PACS.
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