Le paradoxe des hypercars

par Yannick Harrel
vendredi 2 février 2024

Il a déjà été loisible de démontrer au sein de divers articles que l’action des autorités européennes, et par capillarité, nationales et locales, est désormais de faciliter la transition vers une société d’immobilité en passant par une phase transitoire de démobilité. Des individus contraints par autorisation dans leur pouvoir de déplacement est l’une des manifestations d’une société post-démocratique. Quel rapport avec les hypercars ? Celui de ne pouvoir profiter d’un bien dont l’usage de destination est dévoyé par les interdictions ou les autorisations ciblées, et de transformer volens nolens un objet circulant en un bien patrimonial statique et non mobile.

L'hypercar, paragon de la nouvelle démobilité

S’il est désormais acquis que chaque heureux détenteur d’une hypercar se doit de l’entreposer en un lieu sécurisé (ne serait-ce que par obligation assurantielle), il est désormais tout autant acquis qu’en seconde main, elle n’aura guère effectué plus d’une poignée de kilomètres, garantissant ainsi un prix de revente élevé. Ce qui devient dès lors contradictoire puisque moins un véhicule roulera, plus il augmentera sa valeur. Un véhicule qui n’aura pour seule et unique histoire que d’être resté stationnaire toute sa vie : lorsque le monde de l’hyper-richesse rejoint celui de l’hyper-écologisme.

Il suffit de feuilleter certaines revues spécialisées ou bien de compulser les pages d’ouvrages de collection pour découvrir des noms et des chiffres à faire tourner les têtes. Petit inventaire à la Prévert :

Et cette liste ne saurait être exhaustive au regard – toujours paradoxal – de l’inflation des modèles d’exception. De même que le prix est le plus souvent approximatif puisqu’il ne comprend pas les options sur-mesure qui peuvent faire conséquemment gonfler la note, de même que les taxes locales (douanières et/ou écologiques).

La vraie problématique n’est pas que des individus disposant de moyens financiers suffisants (souvent plus que largement) les autorisent à acquérir de tels biens mais que ces derniers rejoignent, sitôt leur livraison effectuée, un garage d’où ils ne sortiront que pour se dégourdir très superficiellement les jantes.

Car si dans les années 1950 puis 1960, des propriétaires aisés pouvaient s’adonner à la conduite de ces engins sportifs, parfois avec une passion mortellement effrénée (comme le démontre les destins tragiques de James Dean, Roger Nimier, Jean-René Huguenin ou Jayne Mansfield), ceux-ci filaient sur les routes ordinaires et ne sommeillaient pas dans un écrin fortifié et aseptisé. Peut-on aujourd’hui s’imaginer que des Ferrari 250 GTO, des Porsche 911 Carrera RS, des Mercedes-Benz 190 SL ou encore des Maserati 3500 GT étaient employés de façon quotidienne par leur possesseur et ce dans un rayon dépassant allègrement les ghettos de riches ? Impensable à ce jour tant les restrictions légales sont pléthoriques, les polices d’assurance draconiennes et les ouvrages d’art sur les voies de circulation destructeurs. Sans omettre le cas des acheteurs de plus en plus incultes, n’ayant ni respect pour la marque ni même intérêt pour le monde automobile, et de ce fait focalisant leur intérêt d’achat par une démonstration ostentatoirement maladroite de richesse. Et pourtant, combien d’enfants dans les villes et les campagnes ont été émerveillés dans le passé du passage d’une Ferrari, d’une Porsche, d’une Maserati ou d’une Aston Martin, déclenchant même parfois une vocation de pilote, de mécanicien, d’ingénieur ou d’entrepreneur ?

Mention spéciale à cette déviance avec la pourtant mécaniquement fabuleuse Lykan de chez l’émirati W Motors (la base de travail découle de la musculeuse RUF CTR3 et d’une étude de style de chez Studio Torino). Le prix de cette beauté ? 3,4 millions de dollars qui se justifient par… l’incrustation dans les phares de 440 diamants avec la possibilité d’insérer au sein de l’habitacle les pierres précieuses de son choix ! Seulement sept exemplaires au monde dont une unité acquise par… la police d’Abu Dhabi.

La liberté de circuler : la vraie richesse

La problématique de fond est que plus les fortunes grandissent, plus elles s’entichent d’objets dont elles n’auront jamais l’usage plaisir et l’attachement sentimental. Des collectionneurs comme les regrettés Pierre Bardinon ou Michel Hommell en France ont œuvré afin que chaque pièce de leur collection soit en mesure de pouvoir circuler : il ne s’agissait pas que de les admirer statiquement mais de les sentir vivre au contact de l’asphalte. Cette génération de collectionneurs est en passe de disparaître au profit d’une autre génération qui n’a que peu d’égard à la fois pour l’histoire de l’automobilité et aucune pour la liberté de circuler sur route (hélicoptères et jets palliant ce besoin).

L’automobile à ses extrêmes est devenue soit un objet anonyme de pure valorisation patrimoniale soit un « déplaçoir » anonyme. C’est à la fois la conséquence d’un raidissement légal fondée philosophiquement sur l’éleuthérophobie et l’avènement d’une génération d’hyper-riches mais hyper-creux sans affect pour les biens possédés. Reste fort heureusement des personnalités qui tentent sur divers réseaux sociaux de sensibiliser les jeunes générations quant à cette vraie richesse qu’est la liberté, et notamment de circuler. Pour terminer sur une note positive : une pensée pour l’émission Vilebrequin animée par Sylvain Lévy et Pierre Chabrier qui a énormément contribué à populariser les mécaniques nouvelles et anciennes auprès des plus jeunes, et cela continue avec d’autres passionnés, chacun avec leur style, comme POA, GMK ou Thierry Vigneau Boiserie. Car une fois encore, thermique ou électrique, l’automobile doit rester au nom de la liberté modale une possibilité offerte à tous, selon ses moyens et ses envies.

La liberté de circuler, telle est la vraie richesse.


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