Quel avenir pour la culture populaire face à l’influence des GAFAM ?

par Pauline Gavrilov
jeudi 30 novembre 2023

L’avenir de la culture populaire agite le landerneau politique, notamment à gauche. N’a-t-on pas vu récemment le campus 2023 des socialistes à Blois lui consacrer un atelier. A l’ère numérique, il eût été difficile de ne pas interroger l’avenir de la culture populaire au prisme des GAFAM. Ces GAFAM sont-ils une chance pour notre culture populaire ou au contraire en sont-ils la malédiction ?

14 juillet au champs de mars

 

Alors que les définitions de la culture populaire foisonnent, l’emprise des GAFAM est connue. Confronter le devenir de la culture populaire à ce nouveau contexte met en exergue l’exigence à repenser les politiques culturelles.

 

Quelle Culture Populaire face à quels géants du numérique ?

De quoi parlons-nous ? Définir la culture populaire est un exercice ardu, tant il existe de définitions ; presque autant que de champs d’étude. Les études historiques apportent leur définition, selon laquelle la culture populaire est la culture du peuple. Autrement dit, la culture populaire est notre culture. Elle est celle que nous partageons toutes et tous. Elle est la culture qui permet de faire nation. Elle celle qui permet le vivre ensemble. Elle éveille notre imaginaire collectif à partir d’une affirmation individuelle. Richard Méméteau dans son ouvrage Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités définit la culture populaire, comme un ogre qui dévorerait tout sur son passage. Difficile d’évacuer aussi vite la définition sociologique, selon laquelle la culture populaire se déterminerait par opposition à une autre culture ; par exemple, la culture populaire contre la culture bourgeoise, la culture populaire contre la culture savante. La culture populaire serait celle du dominé à l’inverse de la culture élitiste qui serait celle du dominant. Cependant, en ce début du XXIème siècle, la rupture technologique est telle qu’aux yeux de nombreux observateurs la culture populaire se définirait avant tout, comme étant la culture geek : elle serait même devenue la nouvelle culture générale. Que signifient les mots culture générale et érudition, quand les offres de contenus en ligne se bousculent derrière l’écran de nos Smartphones et que l’intelligence artificielle met en péril la profession cinématographique.

GAFAM est comme chacun sait l’acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Or, ces firmes ont des recettes financières considérables, parfois avoisinant celles d’un Etat. Pour la capitalisation boursière, Microsoft et Apple caracolent en tête avec un montant qui varie entre le PIB de la France et celui de l’Allemagne ; puis vient Google, qui se situe entre l’Espagne et l’Italie : le tout avec un chiffre d’affaires de l’ordre du trillion et un bénéfice de 250 milliards de dollars. En décembre 2022, Facebook comptait deux milliards d’utilisateurs actifs quotidiens, sans compter WhatsApp, ni Instagram. En janvier 2023, Google engrangeait 93 % du trafic des recherches. En termes d’influence, la comparaison ne fait plus guère sens ; du moins dans nos démocraties occidentales, où la liberté d’expression est un principe fondamental. La majorité des sites d’information sont consultés à travers ces deux plateformes et la propagation des œuvres artistiques est entre leurs mains.

 

Quelles politiques culturelles face au pouvoir d’influence des GAFAM ?

Les GAFAM sont toutes des entreprises américaines, situées dans la Silicon Valley ou encore à Seattle. Dès lors, comment miser sur l’identité culturelle française, plus connue sous le nom d’exception culturelle française pour favoriser la diversité dans la création artistique ? Comment atténuer le risque de standardisation des productions culturelles ? Comment préserver la liberté dans l’accès à la culture, alors que ce sont les réseaux sociaux qui dictent l’air du temps. Qui donnent le ton. Qui donnent le la. Qui sont passés maîtres dans l’art de susciter l’intérêt. Dans la nouvelle économie de l’attention, les concepteurs de ces réseaux connaissent sur le bout de leurs doigts les modèles cognitifs et comportementaux qui guident le cerveau humain. Ils sont ainsi en mesure de placer presque immanquablement leurs produits culturels, et pas toujours sans arrière-pensées financières. Ce design de l’attention a d’ailleurs été théorisé et il est enseigné à l’université de Stanford, sous le nom de captologie persuasive. Tout n’est évidemment pas à jeter dans cette numérisation de la culture populaire. Cependant, après l’enchantement des débuts qui faisait croire à une démocratisation, la complexité du sujet a ensuite induit un certain désenchantement.

Ces plateformes numériques utilisent, en effet, des techniques connues, comme le nudge (coup de coude), qui leur permettent d’appuyer nos décisions et nos choix sur la toile. Comme le souligne Laurence Devillers, professeure en informatique appliquée aux sciences sociales, nous allons parler de plus en plus aux machines, qui vont nous répondre. Nous allons dialoguer avec des objets connectées. Pourtant, ces objets ne sont pas des êtres humains, ce sont des machines et bien avisé celui qui en aura conscience ! Une expérience conduite à l’école polytechnique sur l’interface verbale homme-machine décrit bien l’exigence à fabriquer des objets éthique dans le design, afin de respecter la déontologie. L’open source et les systèmes décentralisés : blockchain, pair à pair sont à creuser. En vérité, la réponse à cette interrogation fondamentale qui est celle de la liberté dans les choix et la création culturelle ne pourra être uniquement technologique. Elle sera à trouver, notamment dans la réflexion politique. Les politiques de droite, comme de gauche se sont saisis du sujet, qui de Bruno Lemaire et de son projet de taxe GAFAM, d’Arnaud Montebourg et de son combat pour la technologie made in France, ou encore d’Emmanuel Macron qui promettait de faire contribuer les GAFAM au financement de son pass Culture.

 

Lancer une réflexion prospective s’impose, afin de repenser les politiques culturelles. En ces temps troublés dans lesquels le multilatéralisme peine à se réinventer, promouvoir les cultures locales, ainsi que le matrimoine local pourrait avoir du sens. En ce début de siècle ensanglanté, qui pourrait prétendre régler les problèmes nationaux, sans privilégier l’intérêt global ? Nous ne pouvons plus remettre à demain la conception de nouvelles manières de se cultiver ou encore de créer sur internet. Et de faire ainsi société commune.


Lire l'article complet, et les commentaires