« Bob Marley : One Love », bon biopic ou pas ?

par Vincent Delaury
lundi 26 février 2024

« Pour la première fois sur grand écran, nous dit-on pour la promo du film, découvrez l'histoire puissante de Bob Marley, sa résilience face à l’adversité, le chemin qui l’a amené à sa musique révolutionnaire. » Ainsi, Bob Marley : One Love, faisant référence au concert culte éponyme du chanteur (One Love Peace Concert du 22 avril 1978 au stade de Kingston en Jamaïque) dont on voit un vrai extrait à la fin du film, se propose, histoire de célébrer en beauté la vie et la musique d'une icône – qui n’aime pas Bob Marley aujourd’hui ? – ayant inspiré moult générations à travers son message d'amour et d'unité, de faire découvrir, avec de gros moyens (un budget de 70 millions de dollars !), en salle obscure, l’histoire puissante de Bob Marley (1945-1981), véritable prophète rastafari à la gloire universelle (musicien disparu bien trop tôt à l’âge de 36 ans des suites d’un cancer - mélanome - diagnostiqué hélas trop tardivement, lui qui venait au départ de rien ou de si peu, aux yeux des dominants, rejeton d’un colon blanc et d’une petite paysanne noire), sa résilience face à l’adversité, puis le chemin mouvementé qui l’a amené à sa musique révolutionnaire, sachant que ses chansons, telles Get Up, Stand Up, I Shot the Sheriff, No Woman, No cry, figurant toujours parmi les plus diffusées avec des disques parmi les plus vendus au monde, en font un symbole fort de la contestation, au même titre que Nelson Mandela, Martin Luther King, Gandhi ou encore Robin des Bois. 

Ainsi, quarante-trois ans après sa mort, le « Lion » du rasta rugit encore et plus que jamais : en France, le biopic lui étant consacré, One Love (principalement centré sur la fin des années 1970), cartonne, avec déjà 1 million d’entrées, et il est actuellement en tête du box-office nord-américain, avec, pour son premier week-end d’exploitation, 27,7 millions de dollars (25,6 millions d’euros) récoltés selon les chiffres du cabinet Exhibitor Relations. « C’est un excellent départ pour un biopic musical », relève l’analyste David Gross (propos rapporté par l’AFP), ajoutant que le long-métrage « rencontre du succès en dépit de mauvaises critiques. » En France aussi, les critiques presse, dans leur grande majorité, comme guidées par un réflexe pavlovien panurgique (ne surtout pas dire du bien d’une production hollywoodienne pharaonique), ne sont pas bonnes, concernant ce film biographique, il est vrai, à caractère officiel (même adoubé par le pouvoir politique actuellement en place en Jamaïque, il s’agit, dixit Andrew Holness, le Premier ministre jamaïcain, « d’un bel hommage rendu à la culture jamaïcaine et à la vie de Bob »), car produit à la fois, en grande pompe, par Brad Pitt et par la famille Marley qui a, dit-on, pour celle-ci, bien verrouillé le projet, ce sont deux de ses enfants, à savoir son fils aîné Ziggy et sa fille Cedella qui le produisent, sans oublier la veuve de l’auteur-compositeur-interprète Rita, se donnant ici le beau rôle ; du coup, elle est omniprésente à l’écran !

Le légendaire Bob Marley, auteur-compositeur-interprète jamaïcain (6 février 1945, Nine Miles, Jamaïque - 11 mai 1981, Miami, Floride, États-Unis)

C’est donc, oui, la première fois, sur grand écran, que la vie et la carrière du roi du reggae sont adaptées au cinéma. Pour autant, on n’oubliera pas au passage le formidable documentaire-fleuve repassé vendredi 16 février dernier sur Arte, Marley (GB/USA, 2012, 140 mn, suivi d’un concert remarquable à Dortmund en 1980 de Bob Marley and the Wailers), qui retraçait brillamment sa vie de métis, de musicien reggae puis de star musicale iconique tout en explorant son charisme phénoménal nourri de ses diverses sources d’inspiration : de l’histoire de la Jamaïque à la musique noire américaine et caribéenne via ces terreaux profonds que sont le panafracanisme et l’Eglise orthodoxe éthiopienne.

Monsieur Marley, pape du reggae 

Kingsley Ben-Adir est Bob Marley dans « Bob Marley : One Love » (2024) de Reinaldo Marcus Green

Pour interpréter Bob Marley, tâche épineuse car on a tous SON Bob Marley en tête !, on retrouve l’acteur britannique Kinglsey Ben-Adir (37 ans, on l’a vu précédemment camper, tel un tour de chauffe, Malcom X dans One Night In Miami), ayant modestement déclaré, afin de parvenir à se glisser, comme il se doit, c’est-à-dire avec respect et sérieux, dans la peau du personnage légendaire : « Il m'a fallu beaucoup de temps [pour rechercher des séquences d'interviews de lui] pour comprendre tout ce que Bob disait. Il était un poète dans sa façon de communiquer. Nous avons réussi à trouver le flux de Bob de manière organique, après plus d'un an de préparation », ajoutant : « Incarner Bob, ce n’est pas facile, mais c’est la même chose à chaque fois que je prends un rôle. Il faut travailler. Et quand on commence à étudier Bob, on réalise qu’il était très travailleur. » Quant au rôle de sa femme, il est joué par Lishana Lynch.

Partir de ses racines pour semer les graines de l’espérance dans le monde entier, ici : Paris, février 2024, ©photo V. D.

L’équipe du film a pris le parti de s'intéresser à une période charnière précise de la vie de Bob Marley, à savoir les années 1976-1978, depuis les turbulences politiques et sociétales en Jamaïque, en passant par son agression de laquelle il réchappe comme par magie en apparaissant désormais comme un héros immortel, jusqu’à son « exode » à Londres qui lui apportera le succès planétaire. Ce film-somme brasse large (on y croise tour à tour misère, faim, résilience, survie, échecs, gangstérisme, gloire, argent, foot, amour, luxure, maladie et mort), l’idée-force de l’arc narratif déployé ici étant de partir de la souffrance des plus démunis pour alimenter l'espoir d’une vie meilleure en misant sur la force mystique du reggae, Bob Marley faisant alors office de dernier prophète, via des chansons dansantes pénétrantes adoptées par autant de gens différents résonnant, dans le monde entier, tels des hymnes d’un combat juste et urgentissime pour s’émanciper, cri contagieux de soif de liberté, ainsi que pour s’arracher d’une condition intolérable tout en recherchant une paix universelle entre les hommes, quelle que soit leur couleur de peau : « Reggae music comes to unify the people » (« La musique reggae vient unifier le peuple  »), dixit Bob Marley. On peut aussi alors penser à Ludwig van Beethoven (in lettre à Maria von Erdödy, sa principale confidente), qui écrivait comme en écho à un Marley à venir : « Nous, êtres limités à l’esprit infini, sommes uniquement nés pour la joie et pour la souffrance. Et l’on pourrait presque dire que les plus éminents d’entre nous s’emparent de la joie par la souffrance.  »

Kingsley Ben-Adir, de dos, dans « Bob Marley : One Love »

Après Freddy Mercury dans Bohemian Rhapsody, Elton John avec Rocketman, Whitney Houston avec I Wanna Dance with Somebody, Elvis dans le film éponyme de Baz Luhrmann puis, tout dernièrement sa femme Priscilla par l’intermédiaire de Sofia Coppola, Leonard Bernstein avec Maestro sur Netflix et en attendant - accrochez-vous, ça sent le filon ! -, Amy Winehouse qui débarquera sur les écrans le 24 avril prochain dans Back To Black, avec Marisa Abela dans le rôle-titre de la déjantée chanteuse avinée au talent monstre (ne voix à la Sarah Vaughan), le King of Pop controversé Michael Jackson annoncé en avril 2025, Angelina Jolie en Maria Callas dans Maria, Tahar Rahim en Charles Aznavour dans Monsieur Aznavour, coréalisé par Mehdi Idir et Grand Corps Malade, suivi de Timothée Chalamet, la coqueluche des jeunes spectatrices, en Bob Dylan dans A Complete Unknown de James Mangold (auteur déjà d’un solide biopic sur l’homme en noir Johnny Cash, Walk the Line, 2005, avec Joaquin Phoenix) et de Selena Gomez qui sera la star country-rock Linda Ronstadt dans le biopic musical inspiré de ses mémoires, Simple Dreams, sans oublier, last but not least, les Beatles, inoxydables Fab Four qui eux, chanceux !, vont carrément bénéficier de chacun un film (c’est le magazine professionnel américain Variety qui a annoncé, mardi 20 février dernier, que le cinéaste Sam Mendes (Skyfall, 2012) va réaliser quatre films consacrés à chacun des Beatles, John Lennon (1940-1980), Paul McCartney, George Harrison (1943-2001) et Ringo Starr ; un accord a été trouvé avec Macca, Starr et les ayants droit de Lennon et Harrison pour l’utilisation d’éléments biographiques et des hits du groupe anglais, Sony Pictures Entertainment, qui produira et distribuera ces quatre longs, ayant prévu une sortie sur les écrans en 2027), c’est désormais, avec One Love (©photos V. D.) au tour de la star planétaire Bob Marley au fort capital sympathie, mélodiste hors pair, rasta fumeur de ganja et homme de paix, de faire l’objet d’un biopic, autrement dit film biographique retraçant la vie d’un personnage célèbre, avec un long, de durée somme toute idoine (1h50, on ne s’y ennuie pas, ouf, sa musique top, enjouée et bouleversante, aidant, du 3 sur 5 pour moi), platement mais tout de même correctement réalisé, tel un artisan honnête investi d’une mission louable pour polir et porter un message de paix en ces temps on ne peut plus troublés (cf. les conflits fratricides russo-ukrainien et israélo-palestinien), par Reinaldo Marcus Green (La Méthode Williams), cinéaste qui s’est senti comme prédestiné pour faire ce film-hommage, car son nombre préféré, comme par hasard !, est le 42, or Bob Marley vivait au 42 Oakley Street lorsqu'il résidait à Chelsea (Londres) pour écrire son album mythique Exodus (1977, dans lequel figure le tube génial Jamming), élu en 1999 par le magazine Time comme meilleur album du XXe siècle.

Le fédérateur Bob Marley réussissant l’exploit de réunir, le 22 avril 1978, les frères ennemis de la politique, Michael Manley et Edward Seaga, lors du mythique « One Love Peace Concert » au stade de Kingston en Jamaïque
Bob Marley (Kingsley Ben-Adir), artiste révolutionnaire militant pour la paix : « Bob Marley : One Love »

Et, de plus, il faut savoir que ce réalisateur afro-américain, né en 1981 dans le Bronx, tient son nom de Marcus Garvey, militant panafricaniste jamaïcain dont un discours de 1921 (The Work That Has Been Done (« Le travail qui a été fait  ») a inspiré à Bob Marley & ses Wailers – « ceux qui gémissent », parce qu’ils n’ont cessé de se plaindre légitimement des injustices subies par les Noirs et les pauvres - les puissantes paroles « Emancipate yourself from mental slavery  » (« Émancipez-vous de l'esclavage mental ») de sa cultissime Redemption Song (octobre 1980) : « Le fait que je réalise ce film était peut-être écrit. Comme pour beaucoup d'entre nous, Bob était un élément essentiel dans notre maison en grandissant. Sa musique est une musique de rebelles. C'est une musique de guerrier. C'est la voix du peuple. Bob chante tout ce que j'essaie de défendre dans ma vie. Cette intégrité est le fondement de ce film. J'ai l'impression que j'étais fait pour le faire. »

Le Tuff Gong, pas assez présent

Que lui reproche-t-on au juste à ce biopic focalisant sur le « soleil noir » irradiant Marley ? D’être, au fond, si peu du cinéma et davantage un bon gros téléfilm un poil convenu, pas faux, recherchant tout compte fait, via une sorte de béatification cinématographique attendue prenant malgré tout la forme d’une hagiographie quelque peu gênante (même si son fiston Ziggy, impliqué dans la production et la bande-son en compagnie de son frère Stephen Marley au chant, a déclaré le contraire, « Je me suis assuré que la spiritualité était forte et que les différentes facettes de sa personnalité étaient montrées. Son côté humain, son côté craintif, son côté violent et aussi son côté jaloux »), à en faire un saint (ce qu’il n’était pas, sa vie sentimentale complexe étant juste effleurée dans ce biopic, parsemé de flashbacks, égrenant des chromos et autres vignettes décoratives de cartes postales trop lisses, focalisant grandement sur sa blessure d’enfant métis rejeté par son paternel sévère et sa découverte du mouvement rastafari via le leitmotiv insistant, en tant qu’image récurrente, d’un môme esseulé fuyant un immense incendie agissant comme un rideau de feu d’où émerge un certain Haïlé Sélassié, héraut du rastafarisme, apparaissant ici à la manière d’un fantôme à cheval emmenant le petit Bob vers l’horizon surnaturel de beaux pâturages émancipateurs).

Infidèle à sa femme, on prête au Marley adulte, homme à femmes, de nombreuses conquêtes parmi des avocates, des actrices, des héritières de pétrole et autres chanteuses mettant leur carrière en stand-by pour s’occuper du roi « rastaman », « produit de Babylone », ainsi se définissait-il. On dit même que le grand amour de sa vie n’était pas Rita Marley (musicienne), Sorry Angel, mais une certaine Cindy Breakspeare, comme effacée par le film – sa femme Rita, gardienne du temple et de la belle image conjugale, produit ! -, même si curieusement présente au générique en tant que coproductrice exécutive ; cette ex-Miss Monde, mannequin aux yeux verts et maîtresse (blanche) de Bob Marley de 1976 à 1981, est la mère de Damian « Junior Gong » Marley. En outre, l’affiche promotionnelle du film, certes des plus efficaces, nous le survend, trop facilement, comme « icône, rebelle, légende. »

Autres reproches de taille : notamment le manque de charisme de l’acteur principal (Kingsley Ben-Adir) jugé trop mou (pâle copie du chanteur fumeur de cannabis), avec un visage poupon et un air hilare systématique, d’être trop dans le faux (trop de joints de cannabis mal roulés, affirme L'Obs !, trop de playbacks et ses dreadlocks sont en plastique – bref il porte une perruque !) et, surtout, de ne pas aborder suffisamment les zones d’ombre du chanteur vénéré : c’est vrai que Bob Marley, même si, dans ce film, capable d’accès de colère notamment lorsqu’il tabasse son manager Don Taylor qui l’arnaque eu surfacturant des concerts prévus en Afrique dont au Gabon en 1980), y est montré sous un bon jour, on y voit surtout le Bob Marley superstar, boule d’énergie sur scène, et l’homme humble qu’il était, de son vrai nom Robert Nesta Marley, compréhensif et doux, tant avec les hommes qu’avec les femmes, et largement moins le « Tuff Gong » qui était en lui également (« Dur comme le gong », avec ce surnom Bob Marley aimait se référer à Leonard "The Gong" Howell, l’un des quatre premiers prêcheurs du mouvement rastafari en Jamaïque). Bob voulait s'affirmer comme le révolutionnaire dur de son ghetto (cf. le quartier malfamé de Trench Town d'où il vient, dans Kingston, aux rues numérotées) : être tourmenté, au visage parfois sombre comme s'il renfermait tous les soucis du monde ; ce « réfractaire lumineux » (Jean-Philippe de Tonnac, in Bob Marley, 2011, chez Folio), assurait ne jamais prendre de congés « parce que ceux qui s’emploient à rendre le monde encore plus mauvais ne sont jamais en vacances. » Ce chanteur révolté, ô combien marqué au fer rouge par la dureté de son enfance (abandon de son père, issu d’une riche famille de riches planteurs blancs, coups répétés de son beau-père, déceptions de sa famille, racisme qu’il subit en tant qu’enfant métis dans un pays divisé entre deux mondes qui ne se mélangent sous aucun prétexte – « Je ne suis du côté de personne, précisait Bob, je suis du côté de Dieu, je suis ni blanc ni noir, je suis blanc et noir »), pouvait même, par moments, se montrer féroce avec un regard noir aux sourcils froncés et une force physique imposante lui conférant, même jeune, une autorité naturelle.

Ce qui devrait être la base de la politique 

Malgré certains défauts indéniables (mais bon, pour rappel, un film de fiction n’est pas un documentaire !), le film One Love reste globalement accrocheur, attachant et édifiant, d’une part parce que c’est un plaisir de revoir et de revisiter Bob Marley : entendre sa musique exaltante en découvrant les séquences d’enregistrement en groupe, avec ses musiciens les Wailers qui rigolent en répétition même si Marley était hyper exigeant en studio, pour fabriquer l’album crossover parfait, à la pochette mystique minimaliste très travaillée, destiné à séduire, en s’appuyant sur le savoir-faire du producteur de musique londonien Chris Blackwell, non seulement les Jamaïcains mais également le marché américain, Exodus, les flegmatiques Wailers intégrant dans leur formation un transfuge funky de chez Stevie Wonder, l’excellent guitariste Junior Marvin, tout en appréciant la musique de film épique et enveloppante du film Exodus (1960, Otto Preminger) signée Ernest Gold, puis on y croise en Jamaïque Clement "Coxsone" Dodd, le producteur de Studio One, avec un flingue, ainsi que The Clash à Londres, observé par un Marley amusé parmi des Iroquoises et des punks énervés se la jouant bad boys, en live avec White Riot.

Kingsley Ben-Adir, incarnant fidèlement (trop ?) Bob Marley dans « One Love », signé Reinaldo Marcus Green

Et, d’autre part, parce que le contexte d’une Jamaïque fin des années 70 alors plongée dans une guerre civile au bord du chaos total est pas mal traité (cette île des Caraïbes, en 1976, est confrontée tant à la misère qu’à l’état d’urgence sur fond de conflit ouvert entre deux leaders politiques, frères ennemis pendant les seventies, Michael Manley (de gauche, lorgnant vers le communisme) et Edward Seaga (bien à droite) ; Bob Marley, à la musique salvatrice politiquement progressiste, dérange : le 3 décembre 1976, des tireurs sont entrés chez lui, dans son « QG », à Kingston, capitale de la Jamaïque, visant le chanteur et sa femme, qui s’en sortiront miraculeusement), et que le message de paix, in fine, en tenant à distance les puissances de l’argent et le racisme larvé (on le sait, pour le généreux Bob, l'amour était la force la plus puissante de l'univers, capable de transcender les barrières sociales, culturelles et raciales, sa musique haute en couleur n'étant pas seulement un moyen d'expression mais un moteur de changement social), est redoutablement emballant et éclairant.

Bob Marley jouant au foot

Avec, à la toute fin, des images émouvantes du vrai Bob Marley (au charisme XXL par rapport à celui du « gentillet » Kingsley Ben-Adir), répondant aussitôt, suite à la question d’une journaliste lui demandant - « Vous êtes riche ? » : « Si être riche, c’est posséder, cumuler des biens matériels, alors je suis pauvre, ma seule richesse, c’est la vie ! », poursuivant, non sans raison : « Ma vie, c’est les autres, je sers le peuple, ma propre personne importe peu, je ne me vis pas en superstar. » Jah ! Le roi du reggae est grand, respect. Fin du film, on reste. Applaudissements nourris (c’était dans une salle pleine de l'UGC Ciné Cité Les Halles, Paris, le jour de sa sortie nationale), émotion palpable dans la salle 10, les spectateurs que nous étions écoutant la musique, tous ensemble, en tant que « transport en commun » misant, sur fond de spiritualité rastafari et d’engagement politique, sur l’importance de l'amour et de l'unité. Et ça, franchement, toutes ces ondes positives que ce long parvient à envoyer, au-delà des critiques établis du genre plumitifs professionnels de la profession aux avis fort mitigés se doublant d'une tendance moutonnière, ça n’a pas de prix ! Argument de taille par exemple, le trop souvent consensuel Télérama, pouvant souvent rimer avec snobinard, n’a pas aimé, c’est plutôt bon signe, non ?

L’éternel Bob Marley, icône reggae luttant pour un monde plus juste, plus respirable

Allez-y, en courant ou en dansant (que cette musique reggae, qui a émergé à a fin des années 1960 en Jamaïque avant d’envahir le monde, faite d’échos et de contretemps, est forte mais difficile à définir et ce d’autant plus, qu’avec son tempo si particulier, à la fois lent et rapide, la batterie y agissant comme un cœur qui bat, elle mélange savamment plusieurs genres musicaux : ska, rocksteady, funk, soul, jazz, pop, musique de film et rhythm and blues), afin de vous faire votre propre idée concernant non seulement ce film, tout à fait acceptable dans sa forme, mais également pour le beau message humaniste de Marley qu’il véhicule : « La musique peut rendre les hommes libres ». Bref, au sujet de ce One Love, à vous de juger librement sur pièce, sans se soucier du qu’en dira-t-on à tendance blasé. Ainsi, selon moi, One Love, vu le gros morceau qu'est Marley à évoquer dans ses grandes lignes, est un biopic tout à fait convenable, et distrayant. 

Serge Gainsbourg (1928-1991), cette vieille canaille, en terre jamaïcaine pour l’enregistrement de son album reggae « Aux armes et cætera » (1979), contenant sa fameuse « Marseillaise » rastaquouère

Petit bémol final pour ma part, si Jimmy Cliff, l’autre grand du reggae (cf. Reggae Night, 1983) avec Bob Marley, y est évoqué, via notamment des concerts calés pour le continent africain, nulle mention ici n’est faite du Gainsbarre reggae, notre gloire nationale pourtant fort reconnue, nous dit-on souvent, des Anglo-Saxons, avec son album picaresque Aux armes et cætera, sorti en 1979. Dommage, car ça aurait pu ajouter une touche plus personnelle et originale à ce biopic Bob Marley : One Love, certes plaisant, mais tout de même trop formaté.

Histoire de finir sur une note positive, ces mots de Ziggy Marley, le fils aîné de Bob (recueillis par Fabrice Leclerc, in Paris Match n°3902, 15/21 février 2024, p. 14) : « Bob n’était pas un politique à proprement parler. C’est sa foi qui l’a amené à se confronter à la violence ou à l’injustice. C’était un homme plein d’idéaux. Il se souciait des autres et tentait de les aider, ce qui devrait être la base de la politique. Quand il chante "stand up for your rights", ce n’est pas un acte de rébellion, c’est une volonté humaniste. Mon père n’était pas du genre à se laisser utiliser par qui que ce soit. Mais il a réussi ce que d’autres n’avaient jamais fait, comme réunir sur scène les deux opposants jamaïcains Michael Manley et Edward Seaga lors du One Love Peace Concert, en 1978, alors qu’ils s’affrontaient.  » Oui, Give Peace a Chance, chantait aussi l’utopiste John Lennon. Allez, on y croit, One More Time, la musique adoucissant les mœurs et, qui sait, les brutes épaisses qui, ces derniers temps, pullulent, hélas, en ce bas monde.  

Bob Marley : One Love (2024 – 1h50). Couleur. Drame musical biographique. États-Unis. Couleur. Tuff Gong Pictures/Paramount Pictures. De Reinaldo Marcus Green. Scénario : Zach Baylin, Frank E. Flowers et Terence Winter. Avec Kingsley Ben-Adir, Lashana Lynch, James Norton, Michael Gandolfini, Tosin Cole, Nadine Marshall, Anthony Welsh, Sevana, Wilfred Chambers, Hector Lewis. En salles depuis le 14 février 2024.


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