L’école des Bavards

par C’est Nabum
mercredi 21 février 2024

Ils voulurent placer la barre trop haute.

Il advint que dans ce charmant village on érigea une école toute neuve à l'emplacement d'un lieu-dit qui ne manquait pas de souffle. En effet, sans être à cheval sur l'origine de cette toponymie, Les Bayards avaient de quoi satisfaire tout à chacun sans qu'il fût besoin de déclencher une polémique avec un glorieux ancien qui n'aurait peut-être jamais mis les pieds ou le cartable dans la place.

Ce pluriel évitait du reste de faire allusion à un chevalier sans peur et sans reproche qui relève beaucoup plus à l'hagiographie qu'à l'histoire véritable. Il est d'usage de célébrer un seul en lui donnant toutes les qualités afin sans doute de frapper les esprits en faisant de lui un modèle. Un tel individu eut alors placé la barre fort haute en une époque beaucoup moins chevaleresque.

C'est donc ainsi que fut baptisé le groupe scolaire flambant neuf avec accolée la devise républicaine ce « Bayards » au pluriel qui avait belle allure. Hélas, les aléas du fer forgé firent grand désordre dans la désignation de cette école. La barre du « Y » qui se perd on ne sait comment et voilà soudain un tout autre programme qui s'impose à tous.

Les mauvaises langues de se gausser d'une nouvelle dénomination qui fait beaucoup parler et pas seulement les enfants de la place, assignés à une nouvelle obligation. Bavards ils doivent être puisque tel est le choix du hasard et d'une mauvaise soudure pour les qualifier ainsi au vu et au sus de tous les adultes passant dans le secteur.

Les enseignants de s'interroger sur les conséquences d'une telle dénomination. Leur faudra-t-il mettre l'accent sur l'expression orale, inscrire leurs élèves dans une dynamique d'éloquence afin d'en faire de fins bretteurs, des discoureurs, des tribuns ou des chantres de la parole ? Avoir la langue bien pendue n'est pas donné à tout le monde, il suffit d'écouter les débats du parlement pour se rendre compte que même ceux qui font profession du discours ont bien du mal à tenir la dragée haute à leurs glorieux anciens.

À l'école des bavards, le défi a été relevé. Les crayons ont été soigneusement remisés dans les sacs pour laisser toute la place à la langue orale, à l'expression, à la diction, aux exercices de virelangue, aux grandes tirades du répertoire classique. La cour de récréation devenant un forum, une agora sur laquelle ne cessent de débattre des élèves juchés sur des tonneaux.

Le microphone a bouté le stylo plume tandis que s'envolent des paroles qui touchent au sublime. Il y a de l'expression et de l'intonation dans ce petit univers qui a dressé une tribune pour qu'à chaque instant, un locuteur de talent ne vienne tenir le crachoir sur un sujet tiré au sort. Parfois, tout ceci prend des allures de cour du roi Pétaud, les querelles ne se passent plus à grandes bousculades ou algarades mais d'arguments et de contre-arguments, de thèse et d'antithèses, de saillies verbales qui parfois coupent la chique à l'adversaire.

Nous devons rendre honneur à ce Y qui se fit V, il a provoqué une véritable révolution pédagogique. La controverse de l'orthographe n'a plus de raison d'être dans ce temple de l'oralité. Chacun y allant de son discours sans jamais se soucier de la manière d'écrire des mots qui roulent sous la langue, se télescopent sans se soucier de s'accorder autrement qu'au thème développé.

Les mots passent de bouche à oreille, ils s'habillent de toutes les subtilités de la rhétorique, de l'argumentaire, de la péroraison, du slam pour les prosateurs comme les versificateurs en culotte courte. Ce fut une parenthèse enchantée, un pur bonheur pédagogique jusqu'à ce qu'un ferronnier ne vînt effectuer une soudure qui leur coupa tous la chique. Les Bavards durent se rendre à l'évidence, ils devaient se taire pour retourner aux formes classiques d'un apprentissage qui fait la part trop belle à l'écrit. Certains à l'école des Bayards voulurent monter sur leurs grands chevaux pour rétablir l’erreur enchantée. On les pria de se taire comme dans toutes les autres écoles du royaume. Puis l’uniforme vint définitivement couper toute rébellion, l'école ne sera plus jamais un lieu d'émancipation et d'expression libre.


Lire l'article complet, et les commentaires