Lą oł les poissons passent …

par C’est Nabum
lundi 11 septembre 2023

 

Obstination marinière !

 

S'ils vont à rebours des pratiques ancestrales qui imposaient un chômage d'été au cœur de l'étiage, nos stakhanovistes de la bourde et de la corde se font un malin plaisir à défier toute logique pour rallier Nantes à Orléans, en dépit d'une cote ridiculement basse. Naviguant sur une rivière de sable, ils cherchent sur leur carte au trésor, les infimes passages qui leur permettront de réussir leur pari.

Ils ne cessent de se répéter comme une rengaine qui efface les efforts et les obstacles : « Là où les poissons passent, la Grande Remontée continuera son chemin ! » Ils n'ont pas tort puisque les bancs de mulets sont présents au rendez-vous, manière halieutique sans doute, de les conforter dans leur merveilleuse déraison.

Comparaison n'est pas vraiment raison, le mulet se contente de bien moins que ces bourriques qui s'acharnent à décrocher la Lune. C'est pourtant ce qui fait leur charme. Ils deviennent l'espace d'une fin d'été, les forçats de la Loire, allant nus pieds dans les hauts fonds pour tirer, haler, pousser sans ménager leur peine ni leurs efforts.

Le temps n'a plus de prise sur ceux que les riverains attendent vainement à l'heure. C'est la Loire qui est maîtresse des horloges tandis que la ligne droite a cessé d'être le chemin le plus court. L'itinéraire de ce convoi vu du ciel doit interloquer les tenants de la logique et enchanter les amateurs de géométrie fractale. Ils sillonnent le lit inférieur d'une rive à l'autre, cherchant la veine d'eau qui leur ouvrira sa porte.

Le bout-avant lit la rivière, cherche dans ses rides, ses teintes, ses nuances, le signal d'un petit passage qui permettra la suite de l'épopée. Il y a forcément un peu de rivalité parmi tous les équipages. Si les premier s'engravent, il s'en trouvera toujours de plus audacieux pour tenter leur chance ailleurs. La réussite des uns valant quelques railleries bon enfant pour les autres.

Les mulets à vrai dire n'ont que faire de ces lascars qui entendent leur emboîter le pas. Ils passent indifférents le long des bateaux, n'ont pas même un regard pour ceux qui s'échinent à suivre leurs traces. D'une ondulation ils filent grand train alors que les moteurs tournent au ralenti pour éviter la casse.

Les mulets ignorent tout de cette fameuse salade qui rend malades les hélices. Jussie et autres plantes invasives, algues qui font le délice de notre amie potière présente dans la caravane, s'entortillent et bloquent la rotation. Il y a bien sûr, ennemi plus redoutable encore, la pierre qui se dissimule sous le sable et viendra briser la belle mécanique.

Quant au vent, la canicule a omis de le convier au programme. Les voiles s'étiolent et se désespèrent de ne pouvoir se gonfler afin de remplir leur fonction, d'enchanter les mariniers et de ravir les spectateurs de la rive. Rien n'est fait pour faciliter la progression de nos aventuriers de la Loire. Un petit vent de galerne eut apporté ce supplément d'âme qu'aurait mérité tous ces courageux galériens.

Ils n'ont du reste pas besoin de retrousser leurs braies pour aller à l'eau afin de se sortir d'un mauvais pas. La chaleur aidant, ce serait même un plaisir que de faire trempette s'il n'y avait pas quelques cailloux blessants, des efforts à faire et le risque d'y perdre ses chaussures comme c'est arrivé à l'un d'entre-eux.

Rien cependant n'entame leur bonheur de progresser au rythme de la cistude tandis que des drones suivent leur lent cheminement, entendant jouer là le rôle du lièvre de la fable. Il y aura des images à foison pour compléter ce que les mots ont bien du mal à faire partager. L'aventure continue, quand ils seront rendus au Festival de Loire, qui dans la foule immense pourra imaginer tous les efforts qu'ils auront consenti pour honorer leur participation ?


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