« Iran, la prochaine guerre » par Bruno Tertrais

par FD
mardi 10 juin 2008

Voilà un petit livre bien utile pour faire le point sur la crise iranienne. Composé dans un style clair et nerveux, il a l’immense mérite de reprendre point par point, en les ordonnant, les données parfois trop confuses livrées par les médias traditionnels. Car la marche de l’Iran vers la possession de l’arme nucléaire est l’un des grands facteurs déstabilisateurs à court terme qui nous menace.

L’auteur, qui plus est, n’est pas vraiment le premier venu : spécialiste de stratégie nucléaire, il a notamment écrit deux ouvrages sur le sujet, La France et la dissuasion nucléaire, ainsi qu’un Que sais-je ?, L’Arme nucléaire [1]. C’est donc un connaisseur averti qui nous met en garde, mais en termes clairs et avec la volonté affichée de s’adresser à tous.

Son argumentaire est le suivant : l’Iran est techniquement en mesure, si le régime le souhaite et fait fi des pressions diplomatiques, de fabriquer sa première arme dès 2009 ; cet état de fait entraînera une escalade prolifératrice dans la région, voire achèvera toute l’organisation bâtie autour du TNP, ouvrant ainsi la voie aux pires incertitudes ; la République islamiste ne peut en aucun cas être comparée à Israël ou à l’Inde et sa quête de l’arme ultime ne repose sur aucun fondement sécuritaire valable ; les éléments « modérateurs » qui pourraient exister en Iran, et sur lesquels certains, en Occident, fondent tant d’espoirs ne le sont pas tant que ça ; le régime, persuadé que les Américains sont trop occupés ailleurs pour intervenir militairement, est tout à fait prêt, politiquement et psychologiquement, à forcer les choses ; ceux qui pensent que l’adage selon lequel « l’atome rend sage » est juste se trompent sur le fond et plus encore lorsqu’il s’agit de l’Iran révolutionnaire, marqué par une « culture de mort  » et l’exaltation du martyr ; Israël ripostera de toute façon à l’annonce par Téhéran de sa possession d’armes atomiques, d’une part en dévoilant officiellement l’existence de son propre arsenal, d’autre part en procédant à des frappes aériennes, avec ou sans les Etats-Unis (quoique l’auteur émet de forts doutes sur l’efficacité des bombardements menés par le seul État hébreu).

À ce noir constat, Tertrais propose comme seules issues possibles deux scénarios tout aussi sombres : le premier verra les Américains se lancer dans une campagne aérienne brève, mais intense qui, au mieux, retardera autant que possible l’effort iranien « en espérant que des changements politiques puissent avoir lieu dans le pays d’ici-là » (ce qui semble un peu mince et aléatoire comme objectif…) ; le second prévoit une escalade nucléaire généralisée, l’agonie du TNP et, au final, un échange atomique entre Téhéran et Tel-Aviv.

L’argumentaire est assez implacable, fondamentalement pessimiste, et l’auteur condense en fait dans son ouvrage les réflexions qu’il a pu livrer au cours des nombreuses interviews données sur le sujet. Bien sûr, le lecteur pourra y discerner quelques éléments contestables : le caractère inéluctablement suicidaire du régime iranien ou la négation absolue du principe qui veut que la possession de l’arme ultime pousse à la sagesse (le général Claude Le Borgne signe d’ailleurs une chronique assez critique du Que sais-je ? mentionné plus haut dans le numéro d’avril 2008 de la revue Défense nationale ; il y dénonce notamment le pessimisme excessif de Bruno Tertrais ainsi que ses positions sur ce principe). De même, son argumentation sur le refus d’accorder à l’Iran le droit au nucléaire militaire, si elle est juste dans l’ensemble (objectivement, aucune menace d’anéantissement ne justifie l’impérieuse nécessité pour l’Iran de se munir en urgence d’un arsenal de ce type), se trouve amoindrie par une saillie comme « un tel régime a-t-il véritablement droit à la sécurité ?  »

On peut détester le soutien iranien au terrorisme et être révulsé par les appels incessants de ses dirigeants à la destruction d’Israël, mais contester à tel ou tel régime, internationalement reconnu, le droit à la sécurité revient à ouvrir une porte bien hasardeuse qui montre le flanc à la critique. Dommage, car, pour le reste, on se prend assez vite à partager les angoisses de l’auteur sans aller jusqu’à acter l’échec inéluctable de la voie de la négociation et les frappes aériennes comme la seule issue possible à moindres frais (si l’on peut parler ainsi).



[1] A lire sur le web, pour se familiariser avec les réflexions de Bruno Tertrais, un article de l’auteur : « La dissuasion nucléaire française après la Guerre froide : continuité, rupture, interrogations ».


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