L’écrivain congolais Alain Mabanckou veut « foutre le bazar » dans la communauté black en France

par ATSE N’CHO
lundi 2 février 2009

Après l’élection de Barack Obama, il s’apprête à « foutre le bazar » dans la communauté noire en France avec son nouveau roman « Black Bazar » ! Personnage tour à tour poète, romancier, essayiste et professeur de littérature dans la prestigieuse Université de Californie, Los Angeles (UCLA), l’écrivain congolais Alain Mabanckou, de sa plume fougueuse et alerte, a su séduire pour finalement s’imposer – non sans talent – dans un monde littéraire constamment évolutif. Lauréat de plusieurs prix littéraires dont le Prix Renaudot obtenu en 2006 avec son roman « Mémoires de Porc-épic », il vient de sortir en ce début d’année son dernier roman « Black Bazar ». De passage à Paris pour les préparatifs et la promotion du livre, l’auteur de "Verre Cassé" nous a accordé une longue interview dans laquelle il évoque les comportements des Noirs à Paris et revisite les préjugés ou les questions que ceux-ci se posent sur la « communauté black » en France en général : ce n’est qu’un aperçu de "Black bazar", son dernier roman qui est sorti aux Editions du Seuil. Lisez vous-même !

Qu’est-ce qui explique votre séjour ici à Paris ?
Je suis en train de préparer la sortie de mon nouveau roman aux Editions du seuil ; roman qui s’intitule "Black bazar" et qui est un peu le prolongement de "Verre Cassé". Cela prend alors quelques turbulences dans les rendez-vous, les va-et-vient à gauche à droite. La préparation des livres est toujours un moment intense, mais aussi très excitant !

Donc l’histoire de "Verre Cassé" continue toujours après celle de "Mémoires d’un porc-épic"
Je crois que c’est un univers que j’essaie de construire. Vous savez, quand un écrivain fait un livre, il essaie toujours de gratter à travers ce qu’il avait déjà rédigé et construit pour trouver la voie juste, les mots justes et l’univers juste ; et peut-être que "Black bazar" va venir comme le complément à "Verre Cassé" ou à "Mémoires de porc-épic" dans la mesure où je reste toujours du côté de la marginalité des personnages et de la réalité, du côté où la fiction nous donne quelque chose d’étonnant dans le sens où moi j’aime bien partir de la réalité pour fonder la fiction et non de la fiction pour fonder la réalité.

Pour mettre de l’eau à la bouche de vos fans, pouvez-vous brosser un peu de ce qu’on pourrait lire dans "Black bazar" ?
"Black bazar", à la différence de "Mémoires de porc-épic" ou de "Verre Cassé", c’est déjà un livre qui se passe en France dans les quartiers populaires de Paris tel le 18ème et 1er arrondissement. La différence avec "Verre Cassé", c’est que dans "Black Bazar" nous assistons à une espèce d’histoire d’amour qui naît entre le narrateur et une copine congolaise et qui vole en éclat par la suite. L’éclatement de cet amour fait que le narrateur se découvre une passion pour l’écriture et commence à écrire un livre qui s’intitule "Black bazar" et dans ce livre, il observe la communauté noire vivre, se confondre - si on peut le dire ainsi - avec la communauté blanche. Peut-être à travers ce livre, il essaie de revisiter les préjugés ou les questions que nous avons du colonialisme, du communautarisme… Et beaucoup de ces questions qui minent aujourd’hui le monde noir sont traitées à l’intérieur de "Black bazar".

À vous entendre, c’est la foultitude des Noirs dans le 18e et leur attroupement dans le 1er arrondissement du côté des Halles qui représente ce « black bazar » ?
Le bazar en lui-même est constitué dans l’originalité de la vie des personnages et ces personnages nous ressemblent car ils fréquentent les lieux que nous fréquentons : je veux dire le Jip’s, les boîtes de nuit, l’Alizée, le Cœur samba dans le 16e ou le 8e arrondissement, etc. Donc ce sont des personnages qui suivent l’itinéraire du monde noir à Paris et puis aussi la contemplation de Château Rouge, de Château d’eau. Je pense que nous avions besoin en quelque sorte de regarder à nouveau la condition de l’immigré aujourd’hui ici en France. Peut-être aussi que j’ai essayé de régler une question fondamentale qui existe et que nous ne réglons jamais : c’est quel type de rapport que nous avons, Nous les Africains avec les Antillais ? Comment nous regardons les Antillais et comment les Antillais nous regardent ? Il y a une espèce de non-dit et une espèce de racisme qui existent parfois entre ces deux communautés et qu’on n’a jamais souvent rappelé. Vous verrez des Antillais qui vont reprocher aux Africains de les avoir vendus avec la complicité des Chefs de leurs tribus et vous verrez des Africains qui vont dire que les Antillais essaient de devenir comme des Blancs et traitent les Africains comme des barbares. Et ce type de rapport de conflit et de racisme fait de sorte que nous assistons parfois à une haine qui est même plus forte que celle que voue un racisme blanc à un Noir.

Ne pensez-vous pas, avec votre livre, remuer le couteau dans la plaie comme on le dit souvent ?
Oui, c’est vrai, mais si on ne résout jamais ce problème, on ne va pas avancer et je sais que "Black bazar" pourrait être un livre qui peut soulever les polémiques. Je le ressens déjà par rapport aux premiers échos de la presse française. Mais si on ne parle pas de ces questions, on risque de confondre ce qui se passe aux Etats-Unis avec ce qui se passe en France. Les Noirs de France ne sont pas identiques aux Noirs des Etats-Unis. Les Noirs des Etats-Unis sont arrivés par le même chemin, par le même bateau, par la même histoire. Ils ont subi l’esclavage et ils sont arrivés dans ce qu’on peut appeler « une terre de peuplement » qui est aujourd’hui les Etats-Unis. Ce qui revient à dire que lorsqu’ils subissent une injustice, c’est une injustice qui concerne l’ensemble de la population noire-américaine. Or les Noirs de France ont des parcours hétéroclites et différents. Il y a des Noirs qui sont arrivés en France pour faire des études et qui sont restés ; il y a des Noirs qui sont venus en France pour l’exil politique ; il y en a qui sont venus pour chercher l’exil économique ; il y en a qui sont venus par le mouvement de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes, ndlr) pour retourner directement au pays, donc les identités sont différentes. La conséquence : c’est que, lorsqu’il y a une injustice qui touche une partie de la population, elle ne touche pas forcément l’ensemble de la population. Ainsi, quand on fait une manifestation pour les sans-papiers, les étudiants qui sont en situation régulière trouvent que ce n’est pas leurs problèmes et lorsqu’on chasse un exilé politique, celui qui est installé ici trouve que ce n’est pas son problème. Ce qui peut mobiliser une communauté et la former dans son unité, c’est lorsque nous subissons une injustice qui concerne notre couleur de peau. Et même dans ces conditions, j’ai trouvé que les Noirs de France ne sont pas solidaires, tout simplement aussi parce qu’à l’intérieur des Noirs de France, il y a des différences. A la différence des Américains, parmi les Noirs de France, vous avez des Antillais, vous avez les Africains, et à l’intérieur des Africains, vous avez les Africains de l’Ouest, du Sud, du Centre, du Nord. Un Africain de l’Ouest et un Africain du Centre, c’est deux cultures totalement différentes. Il y en a même qui sont chrétiens, d’autres sont musulmans ; ces différentes religieuses sont fondamentales, car on traite certains d’impie. Il y a donc une espèce de non-dit. Le rôle de l’écrivain c’est d’aller regarder à travers toutes ces distinctions et de faire de sorte que, même si ça fait mal à la communauté, mais au moins la question est posée pour que nous puissions trouver quelle voie suivre pour créer un jour ce qu’il est convenu d’appeler ici une communauté noire.

Donc pour vous, un OBAMA en France, ce n’est pas pour demain ?
Dans l’interview que je donne plutôt au Nouvel Observateur, je dis que c’est possible qu’il y ait un OBAMA noir en France. Il ne faut jamais dire jamais, car on disait cela de l’Amérique. Il y aurait un président noir en France parce qu’un président de la République , c’est d’abord quelque chose qui relève d’un parcours individuel. OBAMA n’est pas sorti par une volonté de la race ; c’est quelqu’un qui a compris dans quel sens il devait mener son propre parcours. Il a fait de grandes études et il s’est positionné pour avoir en quelque sorte la démarche politique qu’il fallait. Maintenant, un individu qui arrive à se détacher, cela ne veut pas dire que tous les Noirs-américains vont devenir président ! En France, c’est la même chose. Si vous avez quelqu’un qui a un parcours exceptionnel, qui ne croit pas que tout est impossible sur la terre, alors celui-là, il arrivera un jour. OBAMA est quelqu’un de détail, car il n’a pas la physionomie du Noir-américain type. C’est un Africain en quelque sorte, c’est-à-dire son père est Kényan et sa mère est Blanche or les Afro-américains sont des descendants d’esclaves. Donc, ils sont venus là et n’ont pas d’attache directe avec l’Afrique. L’Afrique des Noirs-américain est une Afrique mythique, une Afrique rêvée, tandis que l’Afrique d’OBAMA est visuelle, car on peut retrouver sa grand-mère. Donnez-moi un exemple où on un Noir-américain va aller retrouver sa grand-mère dans un village, il y en a pas ! OBAMA est seul le Noir-américain qui peut dire que ma grand-mère habite dans tel village, mon oncle est là, pour les autres ça n’existe pas.


À quand donc la sortie de ce livre ?
Probablement en janvier, mais pour une fuite, je tiens à vous dire que le magazine hebdomadaire "Jeune Afrique" a acheté quelques extraits plus une chronique du livre qui paraîtront dans leur numéro du 4 janvier 2009.

Comment expliquez-vous qu’après des études de droit, vous vous retrouvez à la littérature que vous enseignez à l’Université de Californie-Los Angeles, UCLA ?
Je pense que l’avantage du Droit est que ça mène à toutes les disciplines et d’ailleurs beaucoup de juristes ont été des écrivains : Victor Hugo a fait une licence en Droit, Alfred de Villiers, Balzac ont fait du Droit, et parfois même très éloignés du Droit, Louis-Ferdinand Céline a fait Médecine, Emmanuel Dongala a fait de la Chimie et donc je pense que la Littérature n’a pas de discipline donnée. On peut aimer la littérature et être économiste, physicien, botaniste comme Jean-Jacques Rousseau. J’ai toujours porté la littérature en moi et d’ailleurs, j’ai fait un Bac en Lettres et Philosophie puis des études de Droit, mais j’ai toujours écrit et c’est ce qui m’a amené aux Etats-Unis.

Qu’est-ce qui vous a réellement amené à l’écriture et surtout quel auteur qui vous a marqué au point d’écrire autant ?
Je pense qu’on a tous subi l’influence de la littérature française, mais personnellement celui qui m’a le plus marqué, c’est l’écrivain latino-américain Gabriel García Márquez. Lorsque j’avais lu « Cent ans de solitude », j’étais étonné de voir quelle norme un être humain puisse avoir du génie pour faire rêver les hommes en ce sens. Et puis, il y a eu Louis-Ferdinand Céline avec son écriture. Bref ! Ce sont donc ces grands écrivains du monde vers lesquels je me suis tourné et qui m’ont donné la possibilité de grandir littérairement et d’envisager un jour l’écriture. Puis, avec la littérature africaine, j’étais émerveillé par « L’enfant noir » de Camara Laye, bien évidemment les contes et légendes écrits par Bernard Dadié et Birago Diop.

Quand on lit Alain Mabanckou, on sent un style académique assez percutant, à la différence de Camara Laye et autres auteurs africains. Est-ce à dire qu’on peut aujourd’hui parler de véritable littérature africaine ?
C’est délicat de parler de Littérature africaine comme on sait que l’Afrique, c’est plus de cinquante et quelques pays et dans ces pays il faut diviser par régions et vous allez voir que les écritures sont aussi différentes. Dans la littérature africaine, on a celle du Maghreb, celle du sud du Sahara, etc., aussi on oublie que la littérature est une question de tempérament et de parcours de chaque écrivain. Nous n’avons pas tous été influencés par les mêmes écrivains ; ce qui fait que je trouve même intéressant que l’Afrique ait des écrivains qui ont des sensibilités différentes, c’est-à-dire les problèmes que vivaient les Camara Laye, Birago Diop, Cheikh Amidou Kane ne sont plus les mêmes problèmes que vivent aujourd’hui les écrivains de la jeune génération, d’où cette espèce d’éclatement de la littérature africaine. Je dirais même qu’au lieu de dire littérature africaine, on dirait plutôt « les Littératures africaines » pour donner la richesse et les variétés de nos créations. Moi je me sens même plutôt proche des écrivains de l’Amérique latine que des écrivains français qui, eux, font beaucoup de l’auto-fiction en parlant de leurs problèmes parisiens qui ne me concernent pratiquement pas. Quand j’écris « Mémoires de porc-épic », je pense aux légendes africaines avec le double en quelque sorte. Quand je repars dans « Verre cassé » avec l’histoire des bars, le roman commence au Cameroun et c’est ancré. Quand je reviens dans « Black bazar », dans la communauté noire, je choisis une autre dimension pour traiter la dimension africaine. Pour moi, le nègre qui cherche simplement à se laver la couleur de la peau risquera de faire plutôt rire les Blancs quand il s’agira de manger à table.

Parlant de littérature africaine, comment expliquez-vous qu’une institution culturelle comme la Francophonie créée par des Africains que sont Senghor, Bourguiba, Diori se politise et devient une affaire des Occidentaux, bien vrai que c’est un Africain qui la dirige ?
Je pense que la Francophonie nécessite quelques remaniements dans ce sens. Toute la question, c’est la politisation de cette institution qui peut devenir de temps à autre le théâtre des enjeux politiques. Mais je reconnais à cette institution la force de faire avancer les choses et de permettre à certaines manifestations culturelles d’avoir lieu. Nous, ce que nous souhaitons, c’est qu’elle soit plus proche des problèmes des pays francophones, qu’elle promeuve la culture, qu’elle pousse la création et surtout qu’elle aide à préserver les langues africaines ; parce que si « Francophonie » consiste à dire qu’il faut « gommer » les langues africaines pour le règne de la langue française, alors là, c’est la mort de la culture des pays francophones.

Dans "Verre Cassé", les histoires de vos personnages que sont L’Imprimeur, Robinette, le Type aux Pampers sont des histoires vécues personnellement ou par des personnes de votre entourage ?
C’est de la fiction en général et c’est cela mon côté latino-américain où j’aime l’exagération et la caricature. Dans mes livres, j’aime m’amuser quand j’écris et je ne conçois pas d’écrire un livre sombre ; même quand je le fais, le rire est nécessaire pour faire passer la pilule. Ce sont donc des personnages irréels et je me suis rendu compte qu’au fur et à mesure ils existent quelque part, qu’ils ont une réalité que nous voyons dans notre esprit ; ce qui fait que le roman est très proche de la réalité.

Dans ce même roman, vous vous attaquez un tout petit peu à nos chefs d’Etat africains en quête d’honneur avec des phrases ou citations qui marquent l’histoire.
(Rires) C’est cela aussi la caricature de nos institutions et souvent les gens disent : « vous ne critiquez pas vos pays, il faut critiquer les institutions ». Là, je l’ai fait de manière ironique. Beaucoup de gouvernements en Afrique sont souvent constitués juste par clans ou par familles et il est temps que nous puissions avoir des gouvernements démocratiques et en l’occurrence, dans « Verre Cassé », il y a des moments où je critique de temps en temps les choses et dans « Black bazar », c’est encore même plus marqué puisque je regarde l’histoire du Congo-Brazzaville, du Congo Démocratique. En un mot c’est le paysage africain en tant que tel.

Et l’histoire de Kibandi qui a pour double un porc-épic dans "Mémoires d’un porc-épic" est-elle inspirée de quoi et à quoi répond-t-elle exactement ?
L’histoire du double est inspirée de la mythologie qui est la nôtre et qu’on retrouve d’ailleurs dans la plupart des contes et légendes d’Afrique. Les croyances que nous avons lorsque nous mourons existent toujours et quand nous naissons, nous naissons avec un double-animal qui va nous protéger ou avec qui nous allons commettre les péchés les plus véniels de l’existence. Dans ce roman, j’ai cherché à remettre en selle les espèces de conceptions que nous avions à l’époque et qui peut-être fondent même l’imaginaire de l’enfant noir africain. C’est donc un hommage que je rends à la tradition orale.

Dans « Lettre à Jimmy », votre avant dernier ouvrage publié chez Fayard en 2007, de quoi parle-t-il exactement ?
« Lettre à Jimmy », c’est un essai qui traite de l’histoire de James Baldwin, un écrivain noir-américain qui défendait les droits civiques aux Etats-Unis et qui est mort en France. C’est en quelque sorte un hommage que je rends à cet écrivain en lui adressant une longue lettre.

Vous qui voyagez beaucoup et qui connaissez un tant soit peu l’histoire de l’Afrique, que faut-il à ce continent pour sortir des idées rétrogrades que sont les coups d’Etat et les guerres civiles ?
Ce qu’il faut, c’est de demander la tolérance à ces chefs d’Etat qui nous gouvernent, car nous sommes dans une ère où la lucidité doit l’emporter sur les élans de dictature. Au moment où la plus grande puissance du monde est dirigée par un Noir, il est temps que les Noirs qui dirigent en Afrique comprennent que les dictatures qu’ils installent font plutôt honte à la race noire que du plaisir à tout le monde. Il est de leur devoir de changer de mentalité et de comprendre que c’est le peuple qui a le pouvoir et non le président de la république, et que c’est le peuple qui doit décider des présidents et non eux qui doivent décider à leur guise ce qu’ils doivent faire. Je pense que la pédagogie finira par l’emporter et que nous aurons les présidents qu’il faut pour les Africains.

Vos vœux pour la nouvelle année 2009
Que l’Afrique soit le continent que nous aimons toujours et que l’arrivée de Barack Obama au pouvoir puisse donner l’exemple à nos dirigeants plus de tolérance, de savoir que l’Afrique est capable d’exporter des individus à l’extérieur. Enfin oublions toutes ces querelles intestines et faisons de l’Afrique le continent le plus digne pour un lendemain meilleur. Que 2009 soit l’année charnière pour aller de l’avant !

Par ATSE N’CHO DE BRIGNAN
Coll. Zacharie ACAFOU
Un article pour le magazine www.100pour100culture.com et consultable sur le lien : http://www.100pour100culture.com/archives/23/mabanckou/index.htm

NB : L’interview s’est réalisée en décembre 2008.


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