« Les Mots de Nicolas Sarkozy », l’excellent ouvrage de Jean Véronis et Louis-Jean Calvet

par arretsurlesmots
lundi 17 mars 2008

De nombreuses études le prouvent actuellement, Nicolas Sarkozy fait vendre. Les magazines politiques s’en réjouissent, mais ils partagent le butin avec les éditeurs qui essaient tous de placer leur opus sur le président en tête de gondole. « Les Mots de Nicolas Sarkozy » est un ouvrage bien différent de ses concurrents. Il est l’œuvre de deux linguistes, Jean Véronis et Louis-Jean Calvet. Tout au long de l’ouvrage, les auteurs vont démontrer avec brio comment le candidat Nicolas Sarkozy a « vampirisé » le langage de ses opposants qui ont été « anéantis » car laissés « sans voix ». A travers de nombreuses démonstrations, notamment graphiques, ils vont aussi expliquer l’impact majeur de la rencontre Sarkozy-Guaino allant même jusqu’à parler de rapport du « ventriloque à sa poupée ». Je ne pourrais pas vous livrer toutes les informations que l’on peut trouver dans cet ouvrage, il vous faudra dépenser 16 € (bien investis) pour cela, mais, à l’instar de bakchich.fr, révélons quelques pistes...

Comme je le disais, l’élément central de ce travail, c’est la recherche des traces de « cannibalisation » du langage des opposants à Nicolas Sarkozy, les auteurs parlent même de « hold-up », « d’OPA hostiles » de « phagocytage », ils utilisent même le terme de « transformisme » pour expliquer l’incroyable grand écart qu’il a réussi à réaliser en aspirant le vocabulaire de la gauche à l’extrême droite, en passant par le centre. La stratégie était simple, couper l’herbe sous les pieds de ses concurrents en vampirisant leur vocabulaire, ce qui vidait leur propos de contenu et les déstabilisait. Pour Jean Véronis et Louis-Jean Calvet, déjà auteurs de Combat pour l’Elysée (CPE), c’est une « tactique de conquête de l’hégémonie politique ». Pour donner quelques exemples, sur les 140 discours analysés par ces linguistes, Nicolas Sarkozy a cité 97 fois Jaurès et 50 fois Léon Blum tout en se déclamant « l’héritier de 1936 », alors que François Hollande criait à la « captation d’héritage », Ségolène Royal, quant à elle, essayait de reprendre la possession de Jean Jaurès en l’évoquant 23 fois dans le même discours, mais les dommages étaient déjà faits, sa parole était vidée de sens, d’autant plus qu’elle avait semble-t-il pris des distances trop grandes avec son parti pour être crédible en défenseur du socialisme. La force du discours de Nicolas Sarkozy, qui avait déclaré au Figaro en 2004 : « ils m’attendent sur la droite, je vais les déborder par la gauche », c’est de n’avoir pas exclusivement mobilisé un vocabulaire de gauche, il a réussi à séduire l’électorat frontiste en citant Barrès (le chef de file des antidreyfusards, qui alla jusqu’à écrire : « Que Dreyfus ait trahi, je le conclus de sa race »). Parallèlement à cela, il a fait apparaître des nouveaux mots dans son discours tel celui de « repentance » qu’il n’avait jamais utilisé avant octobre 2006. Deux autres termes à noter bien sûr, l’attaque frontale de Mai-68, accusé d’avoir « introduit le cynisme dans la société et dans la politique ». Ce langage sur Mai-68 est considéré par les auteurs comme « réac », ce qui permet, pour eux, de flatter l’électorat frontiste sans choquer les électeurs de la droite modérée. La dernière expression décriée comme un clin d’œil au FN est bien sûr celle du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Pour les auteurs, Nicolas Sarkozy a réintroduit ainsi le clivage droite-gauche afin de laisser de l’espace pour que Ségolène Royal puisse arriver au second tour (face à François Bayrou, Nicolas Sarkozy était donné perdant). Beaucoup d’autres informations de cet acabit sont données dans ce livre de recherche, ce qui permet de bien mieux comprendre la stratégie de Nicolas Sarkozy.

Notons notamment des informations sur le style de discours. En lisant ce livre, vous découvrirez peut-être comment établir le discours politique modèle ! Tout d’abord des phrases courtes, il faut rompre avec le modèle de la IIIe République qui inspirait les discours du général de Gaulle. Ce modèle encore utilisé par François Bayrou et Ségolène Royal qui font des phrases d’en moyenne 28 mots par phrase, a été abandonné par Nicolas Sarkozy qui s’efforce de faire les phrases les plus courtes possibles (24 mots en moyenne). Mais ce n’est pas tout, il faut un vocabulaire simple, Nicolas Sarkozy l’a compris notamment grâce à sa plume, Henri Guaino. Vous découvrirez dans ce livre à quel point il peut utiliser un vocabulaire plus « pauvre » que ses rivaux et que ses prédécesseurs. Je ne m’appesantirai pas davantage, mais notons enfin qu’un discours qui fonctionne est aussi fait de figures de style. La préférée de Nicolas Sarkozy, c’est incontestablement l’anaphore. C’est-à-dire, commencer toutes ses phrases par la même expression comme « je veux être le président... ». En parcourant ce livre, vous apprendrez aussi que le discours de Nicolas Sarkozy privilégie le verbe sur le nom ; et qu’il ne prononce finalement pas plus le « je » que les autres candidats, mais, ce qui donne l’impression d’un égotisme surdimensionné, c’est l’absence des autres pronoms (nous et vous), mais aussi et surtout l’omniprésence de l’expression « je veux ». Expression dont l’analyse des auteurs est extrêmement convaincante bien que relevant plus de la psychanalyse que de la lexicométrie.

Enfin, le livre s’appuie beaucoup sur le rôle central joué par la plume de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino. Nous en avons déjà donné un exemple plus haut, mais vous verrez en parcourant ce livre à quel point la présence de Guaino, « gaulliste social » qui était notamment le père de l’expression « fracture sociale » lorsqu’il officiait pour Jacques Chirac, a été prépondérante dans cette victoire. Les auteurs se demandent d’ailleurs si Nicolas Sarkozy aurait pu se détacher de son image de provocateur de « racailles » s’il n’avait pas été entouré de cette plume qui a été l’auteur de la majorité de ses discours. Pour ne donner qu’un exemple de l’impact d’Henri Guaino, il suffit de noter que lorsque c’est lui qui écrit les discours de Nicolas Sarkozy 45 % des phrases commencent par des anaphores, alors que lorsque les discours sont écrits par quelqu’un d’autre, seule une phrase sur cinq bénéficie de cette figure de style.

Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce livre et je vous le recommande. Je le recommande à ceux qui s’intéressent aux mots, à ceux qui cherchent à savoir comment faire un discours percutant, à ceux qui veulent comprendre comment Nicolas Sarkozy a pu acquérir une si large victoire, à ceux qui veulent s’opposer à lui, mais aussi à ceux qui ne savaient pas quel livre choisir parmi les dizaines de titres sortis sur notre président. Un excellent ouvrage, agréable à lire, excellemment argumenté et édifiant. A mettre en toutes les mains en somme.


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