Les origines esséniennes du christianisme et de l’islam

par Emile Mourey
mardi 5 décembre 2006

Présentés comme des révélations d’origine divine qui, miraculeusement ou allégoriquement, seraient descendues du ciel dans le monde des hommes, le christianisme et l’islam s’inscrivent en réalité dans le prolongement d’un courant de pensée du judaïsme ancien revenu de l’exil de Babylone après le règne du roi Nabuchodonosor.

Le ciel ! Mais oui, c’est bien lui qui, au début de notre histoire, nous a fait lever les yeux. C’est lui qui, lorsque nous étions enfants, nous a balancé sur la tête quelques météorites pour nous obliger à prendre conscience d’un Quelqu’un ou d’un je ne sais quoi qui nous domine, nous entoure et nous dépasse. Ces pierres tombées du ciel, ce sont surtout dans les déserts qu’on les remarque. En Arabie, les textes et l’archéologie nous révèlent qu’elles furent, avant l’islam, l’objet de vénérations. Rappelons que c’est une pierre du ciel, la pierre noire, que l’ange Gabriel remit à Ismaël - Ibrahim - afin qu’il l’enchâsse dans un angle de la Kaaba. Rappelons également qu’en Occident, ce sont des pierres que l’on dressait vers le ciel pour attirer l’attention des puissances célestes.

Comme une pierre tombée du ciel, c’est ainsi que j’aimerais qualifier la découverte, dans une grotte proche de Qumrân, des célèbres manuscrits de la Mer morte. Cette découverte date de 1947, autrement dit d’hier, mais la prise en compte de son importance a demandé un certain temps, je dirais même un temps certain. D’abord, il a fallu que les savants attendent que les armes se taisent dans la région, cedant arma togae. Et puis, il y eut des retards surprenants, très critiqués d’ailleurs, et d’autres dus aux difficultés de déchiffrement et de traduction.

En 1950, une communication d’André Dupont-Sommer présentant le "Maître de Justice" comme un prototype de Jésus produisit l’effet d’une bombe. Cette annonce provoqua une levée de boucliers et une vigoureuse riposte des instances catholiques qui ne pouvaient admettre que soit ainsi mise en cause la singularité du Christ et son caractère unique. (N° 189/janvier 1994 des Dossiers de l’archéologie, page 94, article de Jean Perrot, directeur de recherche honoraire au CNRS).

En 1956, J.-M. Allegro se brouilla avec l’Ecole biblique de Jérusalem, affirmant que M. Dupont-Sommer était encore plus près de la réalité qu’il ne le supposait. « Les origines de certains rites et doctrines du christianisme se retrouvaient, disait-il, dans les textes d’une secte extrémiste juive qui avait existé cent ans avant la naissance de Jésus-Christ... » (Note de l’auteur : au lieu de cent ans, lire deux cents ans). Cette "secte juive" a été presque aussitôt identifiée comme étant celle des Esséniens, que les auteurs antiques ont situés autour de la Mer morte, ce qui est en parfait accord avec l’emplacement du site de Qumrân.

Or, voici ce qu’on peut lire dans le document intitulé Rouleau des hymnes, V, 7 et 8 : « Tu m’as placé dans un lieu d’exil parmi de nombreux pêcheurs qui étendent leurs filets sur la surface des eaux. » La Mer morte n’ayant ni poissons, ni pêcheurs, les manuscrits n’ont donc pu être rédigés, en fait, que dans la région du lac très poissonneux de Galilée, dans le Nord de la Palestine. Et il s’agit non pas d’une simple secte mais d’un important courant du judaïsme, le plus authentique et le plus ancien qui, après l’exil de Babylone, s’est réimplanté dans la région. Ces Galiléens et ces Babyloniens, dont les manifestations révèlent l’ardeur religieuse, sont cités plus d’une fois par l’historien juif Flavius Josèphe. Peut-être se considéraient-ils toujours comme des exilés en s’opposant à ceux qui, à Jérusalem, avaient le pouvoir ainsi que le bonheur insigne d’habiter dans la Ville sainte ? Dans cette hypothèse, les documents retrouvés à Qumrân doivent être considérés comme une copie ou un double à l’usage d’un monastère propulsé dans le désert de Judée à l’image d’une tête de pont, en vue de la reconquête future de la Ville.

Jean-Baptiste, l’ermite du désert, était-il un Essénien de Qumrân ? Flavius Josèphe le cite dans ses ouvrages. Connaissait-il les documents qui y ont été découverts ? Oui, cela ne fait aucun doute. Mais au Ier siècle de notre ère, la pensée essénienne a évolué. Les épis de blé qu’il ne fallait pas ramasser dans les champs le jour du sabbat (Ecrit de Damas, X, 20 à 23), les disciples de Jésus les cueillent dans l’Evangile de Marc. Pire, ils ont l’intention d’en faire griller les grains alors que dans les manuscrits de la Mer morte, il fallait préparer le repas la veille pour ne pas avoir à travailler le jour consacré à la prière. Ce jour-là, si une bête trébuchait dans un puits, on ne la retirait pas ; si un homme tombait dans un trou d’eau, on ne lui tendait ni échelle ni corde ; si une vache avait un accouchement difficile, on laissait périr le veau (Ecrit de Damas, XI, 13). Et même, d’après Flavius Josèphe (Guerre des Juifs, II, 8 - 9), certains se retenaient d’uriner jusqu’au soir pour ne pas offenser le Seigneur. Et Jésus enseigne, corrige, modifie et remet l’évolution sur ses rails. « Il est écrit ceci dans la loi de Moïse... mais moi, Je vous dis... » Non, la femme qui a ses règles n’est pas impure. Non, les maladies ne sont pas des châtiments que Dieu inflige à l’homme pour le punir de ses péchés. Non, on ne lapide pas la femme adultère. Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat (imaginez que le Christ ait eu la mauvaise idée de supprimer ce repos hebdomadaire, et ce sont nos week-ends qui n’auraient peut-être jamais vu le jour).


Au IVe siècle, l’empereur Constantin ouvre, à Constantinople, le premier concile de l’histoire, celui de Nicée. Il s’agit de trancher sur les thèses d’Arius qui divisent les évêques d’Orient. Le Père et le Fils ne seraient pas de la même substance, d’après cette conception. Jésus ne serait donc pas Dieu. Cinq évêques d’Occident assistent au concile. A l’issue d’un débat très argumenté, l’arianisme est condamné, le Christ sera Dieu. Et c’est ainsi qu’après le Je vous salue, Marie, et après le Notre Père chaque dimanche depuis cette date, nous récitons sous le nom de Credo le symbole de Nicée : Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant créateur de toutes choses visibles et invisibles et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils unique, c’est-à-dire, le Fils de Dieu, né du Père comme Fils unique... Dieu né de Dieu, engendré, non pas créé, consubstantiel au Père... qui, pour nous les hommes, et pour notre salut, est descendu et a pris chair, s’est fait homme... est ressuscité... est monté aux cieux d’où il viendra juger les vivants et les morts...

Mahomet apparaît dans le cours de l’histoire, à La Mecque, vers l’an 578. Neuf ans plus tard, son oncle, qui fait du commerce avec la Syrie, accepte de l’emmener avec lui. La caravane fait étape à Bosra, cité chargée d’histoire, plus précisément au monastère de Ba’hirâ. C’est là qu’un moine (des moines) découvre sur le corps de l’enfant le sceau de la prophétie.

Quel était le nom de ce monastère ? Saint-Siméon comme celui de Syrie ? Saint-Georges comme celui qui se trouve près du Krak des chevaliers ? Dans le cas d’une fondation d’après J.-C., on pourrait penser à l’abbaye Saint-Pierre, mais dans le cas de Bosra, qui existait bien avant J.-C., il faut remonter plus haut dans le temps. Je fais donc l’hypothèse logique que le monastère de Ba’hirâ portait le nom de Gabriel. Gabriel, c’est en effet le nom du grand archange préféré des Esséniens. C’est lui qui prophétise dans le livre de Daniel, au temps de l’exil. C’est lui qui fait l’annonce à Marie. Il est le héraut qui, la nuit, se fait voir dans sa constellation céleste, mais il est aussi, sur terre, dans l’esprit des communautés monastiques qui portent son nom. Sur les murs aujourd’hui écroulés du monastère de Ba’hirâ, se trouvait-il une fresque qui le représentait ? C’est probable.

Bref, Mahomet avait quarante ans quand Gabriel lui apparut la première fois : « Je te salue, Mahomet, lui dit l’ange de Ba’hirâ (suivant mon hypothèse), tu es l’apôtre de Dieu. » Quelque temps après, dans un grand fracas, Gabriel se manifesta de nouveau et lui dit : « Appelle les hommes à Dieu... »

Il est fort possible que les moines de Ba’hirâ aient été des opposants à la décision prise par le concile de Nicée qui fit Jésus, Dieu. Ces moines étaient instruits. D’après le livre de Tabari, ils étaient détenteurs d’un livre qu’ils se transmettaient soigneusement d’une génération à l’autre. Un livre ? Ou plutôt des livres : les anciennes écritures, les évangiles sans oublier les documents de Qumrân. Il est impensable qu’une telle documentation, indispensable à la réflexion théologique et politique, ne se soit pas trouvée à Bosra, capitale mystique de la région, dans la bibliothèque de son monastère.

Jean-Baptiste était une sorte de Gandhi. Il prêchait et baptisait les foules. Cet homme, qui discutait avec les puissants (voir Flavius Josèphe), avait choisi, apparemment, de convaincre, plutôt que de faire usage de la force. C’est dans le cadre de cette stratégie que le serviteur du centurion a été guéri dans l’Evangile de Luc, pacifiquement, mais en respectant le contrat suivant : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». C’est sur la base de ce contrat que s’est ensuite converti au symbole de Nicée l’Empire romain d’Occident presque en entier. Mais dans ce Proche-Orient si compliqué, les avis semblent avoir été beaucoup plus partagés. On devine que, dans les monastères, les moines discutaient fermement. Entre les livres sapientiaux et le Règlement de la guerre des documents de Qumrân, ils pouvaient hésiter. Quel futur et dernier prophète fallait-il promouvoir ou soutenir pour le Proche-Orient, un Gandhi ou un chef de guerre ?

Tabari et Ibn Hichâm nous donnent la réponse dans leurs ouvrages. Ils nous montrent, dans une première période, un Mahomet prêchant et souffrant à La Mecque puis, dans une deuxième période, un Mahomet chef d’État et chef de guerre à Médine.

L’esprit qui vient d’en haut, la certitude de détenir la vérité, la guerre au nom de Dieu, le martyre qui ouvre les portes du paradis, le drapeau qu’on remet au départ des expéditions, les oriflammes avec leurs devises guerrières, la rigueur religieuse, l’intervention des anges dans les batailles, les détachements de mille hommes, tout cela se retrouve dans l’histoire de Mahomet, après Médine, dans la droite ligne de ce que les "Saints de Dieu" des documents de Qumrân avaient projeté mais qu’ils n’avaient pu réaliser.

Irréfutable précision, les noms des quatre archanges, Michel, Gabriel, Sariel et Raphaël qui, dans le plan de mobilisation de l’armée essénienne (Règlement de la guerre), désignent des tours humaines de trois cents combattants, se retrouvent dans l’armée musulmane pour désigner, suivant mon interprétation, les éléments réservés qu’on lance dans la bataille, en dernier recours, pour emporter la décision... et la victoire... victoire des anges. Ces troupes d’élite, ce seront celles-là qui auront le grand honneur d’accompagner le cortège funèbre du Prophète... Gabriel, Michel, Izrafil, Azrël.

La stratégie que les Esséniens ont élaborée deux siècles avant J.-C. pour reconquérir le Croissant fertile, Mahomet et ses successeurs l’ont mise en oeuvre huit siècles plus tard.

E. Mourey

site internet [->http://www.bibracte.com]

(extraits de mes livres publiés et non publiés)
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