Un plaidoyer pour le monde

par gmascad
mardi 3 juillet 2007

Eva Joly, ancienne magistrate française d’origine norvégienne, aujourd’hui retournée dans son pays natal, se consacre à la défense des droits humains, notamment à la lutte contre la corruption et l’impunité dont jouissent, selon son expression, les « délinquants au col blanc ».

Eva Joly, ancienne magistrate française d’origine norvégienne, aujourd’hui retournée dans son pays natal, se consacre à la défense des droits humains, notamment à la lutte contre la corruption et l’impunité dont jouissent, selon son expression, les « délinquants au col blanc ».

 

Après « Notre affaire à tous » et « Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? », publiés aux éditions Les Arènes, la voici qui nous ouvre son cœur et un pan de sa vie, dans « La Force qui nous manque », à la même maison d’éditions.

 

Son cri et son plaidoyer en faveur de l’Afrique : « Justice pour l’Afrique », est plutôt une inculpation (devenue en France une mise en examen), pire, une mise en accusation. Que dit-elle à ce propos ?

 

« Lorsque j’ai instruit l’affaire Elf, je n’avais jamais mis le pied en Afrique. C’est en accompagnant l’ONG, Plan international, que j’ai découvert pour la première fois un bout de cette terre immense, avec ses peuples si nombreux et différents les uns des autres... »

 

Elle y dénonce, sans utiliser le mot, l’hypocrisie occidentale en général et européenne en particulier, notamment celle de la France. A ce sujet, elle dit : « Ce que les pays riches accordent d’une main hésitante, les grandes entreprises, les banques, les intermédiaires, les experts et les fonctionnaires internationaux le reprennent de l’autre, beaucoup plus fermement. Pour un euro donné, les pays étrangers en retirent deux de la terre africaine ».

 

Ce constat que tout le monde sait, du moins les personnes avisées et bien informées, n’est pas fait par un Africain, en l’occurrence un Arabe ou un Noir. Ce constat sort de la bouche d’une Européenne et quelle Européenne ! Pas des moindres en tout cas, pour avoir fait trembler la nomenklatura ou l’establishment français que les Africains accusent depuis des décennies, voire des siècles d’Etat truand pour ne pas dire criminel, car ce pays est l’un des épicentres de la corruption légalisée, institutionalisée. A ce propos voici quelques extraits :

 

« Tant que la corruption domine, assise sur des régimes vassalisés, des milliards de dollars continueront de fuir l’Afrique. Et l’on pourra toujours vacciner, alphabétiser, creuser des puits, à tour de bras, la situation ne changera pas...

En Angola, nous finançons des ONG qui oeuvrent pour la transparence et la surveillance des élections. Il faut enterrer ce miracle politique, rodé en maints pays d’Afrique, qui multiplie à volonté les électeurs et les votants, transforme une minorité en majorité, une défaite en victoire...

J’ai dessiné pour chaque pays un tableau de son histoire. J’y ai mis des chiffres, le nom de l’ex-occupant colonial, celui de la multinationale qui a pris le relais et exploite les sols, les accords de défense...

Je voyage en Afrique, je n’entends que ressentiment et plainte vis-à-vis de la France. Où que j’aille je bute sur l’histoire coloniale. Elle est partout dans le paysage africain...

 

Ensuite, elle passe brièvement en revue les crimes commis ici là en Afrique, à Madagascar, au Cameroun, etc., pour déboucher sur le monde souterrain des ramifications de la françafrique qui lui dictent ses frontières : « Magistrate, limitée par le cadre de ma saisine et des compétences nationales, je devais m’arrêter sur le seuil de certaines portes, qui menaient vers l’étranger. Je découvrais des chemins qu’il aurait été passionnant de remonter, des connexions qui m’ahurissaient. Avec des chiffres, des comptes, nous avions sous nos yeux le déchiffrage d’un vaste réseau de corruption institutionnalisé, dont les fils étaient reliés en direct à l’Elysée ».

 

Alors, Mme Eva Joly passe en revue ceux qui dirigent l’Afrique, d’Omar Bongo à Dos Santos en passant par Sassou Nguesso et Obiang Nguema, pour ne citer que ceux-là. N’empêche, elle finit par dire : « (...) Les positions ont sans doute variées, les techniques de camouflage se sont sophistiquées, mais le système est là : les tyrans sont des amis, que la France a placés au pouvoir et dont elle protège la fortune et l’influence par de vastes réseaux de corruption ; en échange ils veillent sur les intérêts et les ressources des entreprises françaises venues creuser le sol. Tout ce beau monde a intérêt à ce que rien, jamais, ne stimule ni les institutions ni l’économie des pays. »

 

En effet, lors du passage d’Omar Bongo à Paris, on a bien le candidat Sarkozy aller « prendre conseil » à ses côtés. Aussi pouvons-nous dire que l’expression « rupture » est un vocable franco-français qui ne concerne pas l’Afrique, et la Françafrique, elle, de continuer.

 

« Elf hier, Total aujourd’hui, est un Etat dans l’Etat (...) afin de servir les intérêts géopolitiques de Paris. (...) La France se sert d’Elf-Total pour affirmer sa puissance. La compagnie intervient dans le golfe de Guinée, au Nigeria, au Congo-Brazzaville, en Angola... Tous ces pays ont connu la guerre civile et la dictature, derrière laquelle la main française s’est fait sentir... »

« (...) La France reste un empire et ne se remet pas de sa puissance perdue. L’indépendance politique a été largement une mascarade en Afrique de l’Ouest... ».

« (...) Là-bas, c’est normal la corruption, le népotisme, la guerre, la violence. Là-bas c’est normal la présence de l’armée française, les proconsuls à l’ambassade ou à l’état-major, les camps militaires. (...) Là-bas, c’est normal la captation des richesses naturelles... Jeune ou vieux, de gauche ou de droite, nul Français ne songe à s’offusquer.

 

Mais, « Il est à la mode parmi les intellectuels français de se plaindre du mouvement de repentance qui s’est répandu depuis quelques années. Les bienfaits de la colonisation, à inscrire dans les manuels scolaires, ont même fait l’objet d’une proposition de loi, largement soutenue par les députés... »

« (...) Mais les peuples sont comme les familles. On ne peut pas faire le tri de la mémoire. Il est des secrets soigneusement cachés dont l’onde portée va bien au-delà d’une ou de deux générations. Les enfants héritent de tout : du malheur comme du bonheur, de la richesse comme des dettes.

La République française paie aujourd’hui la facture de son passé...

(...) La France vit encore comme si en Afrique elle était chez elle, et comme si, sur son sol, ses enfants d’ascendance africaine n’étaient pas français. Le développement de la Françafrique, notre tolérance vis-à-vis des réseaux, tout ramène à ce secret colonial, à cet empire qui hante les esprits comme un fantôme... »

« (...) Qui osera un jour rendre au Nigeria, au Cameroun, au Gabon, au Congo-Brazzaville ce que la France leur doit ? (...) Notre prospérité est nourrie de richesses que nous détournons. »

« Une France digne de son idéal et de son héritage de 1789 est incompatible avec la Françafrique : ce qu’une génération a fait, une autre peut le défaire. C’est possible. »

 

La France n’a pas effacé sa mémoire. Tous les ans, elle célèbre, commémore ses dates de victoires de guerre ou de deuil : le 8 mai, le 18 juin, le 14 juillet, le 11 novembre, etc. Elle n’a pas effacé sa mémoire. Mais elle voudrait l’imposer aux autres. Pourtant, les Anglais, les Allemands et bien d’autres n’ont jamais eu honte de leur passé historique plus ou moins glorieux, et n’ont jamais demandé à la France de renoncer à certaines de ses commémorations historiques annuelles.

Ceci étant, devons-nous penser ou dire finalement que la France vit jusqu’à ce jour d’actes de piraterie, de larcins, de pillages éhontés, et aussi de crimes de sang en Afrique ?

 

En tout cas, à la lecture de ce livre, c’est le sentiment qu’on en retient. Et puis après, quand finalement les peuples prennent conscience, on est surpris et on feint de s’en étonner.

 

G. Mascad

 


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