L’âne gris du meunier de Mareau

par C’est Nabum
jeudi 28 juillet 2022

 

 Une bourrique et une barrique

 

Pinot, le meunier de Mareau aux Près est un homme connu pour avoir parfois des idées versatiles. Qu'il change d'avis au gré du vent n'est somme toute qu'une expression d'une déformation professionnelle et chacun dans ce charmant bourg viticole s’en amuse sauf naturellement son épouse, Christine qui aimerait le voir plus souvent avoir les pieds sur terre.

C'est malheureusement un jour de grand vent du sud : le Suet comme on le nomme ici que le brave meunier prit la décision d'acheter un âne pour l'aider à sa petite vendange sur les quelques vignes qu'il cultive au pied de son moulin. Chacun alentour de lui proposer un simple prêt mais rien n'y fit, le meunier était aussi têtu qu'un âne, selon une réputation fortement ancrée dans les esprits.

Ni prêt ni achat à proximité. L'homme du moulin avait des idées bien arrêtées sur la race qu'il entendait acquérir. Les lubies de notre ami étaient du reste fort réputées et nul ne songeait à lui faire sortir un caprice qu'il avait dans la tête. La chose était impossible au grand dam de sa dame, qui les yeux au ciel, soupirait qu'elle n'y pourrait rien changer.

 

C'est donc à la foire aux ânes de Châteauneuf-sur-Loire qui a lieu chaque année le dernier dimanche de juillet que notre lascar avait décidé de se rendre. Il aurait pu tout aussi bien se rendre à celle de Lignières en Berry mais la chose eut été plus délicate car il avait à sa disposition le fameux tramway de Sologne qui lui permettrait de se rendre aisément dans cette ville distante de 36 km.

L'homme avait l'intention d'emprunter le tramway à l'aller et de rentrer en deux étapes au retour, ayant prévu une halte gourmande à l'auberge du Lion d'Or de Sandillon. Pour plus de sagesse, il comptait sur la présence de son épouse lors du voyage aller pour qu'elle rentre de la même manière au retour tandis que lui et son futur âne rentreraient par le chemin des joyeux baguenaudiers.

Après une courte correspondance à Tigy, meunier et meunière arrivèrent tôt dans la matinée à la foire qui avait lieu dans le parc du château. Il y avait de quoi satisfaire toutes les demandes et ce pour toutes les bourses. L'âne ne se faisait jamais tirer les oreilles pour aider aux travaux des champs. Pinot cependant avait fait son choix sur un âne gris du Cotentin, allez donc savoir pourquoi ? Personne du reste n'aurait envisagé de le contredire à ce propos.

Le hasard ou une facétie du destin voulut que cette année-là, un maquignon avait justement un spécimen de cette race, un mâle de belle allure qui promettait de rendre de précieux services. L'âne gris et le meunier se plurent au premier coup d'œil. Godichon considéra Pinot comme un maître tout à fait acceptable si bien que la transaction se passa de la plus belle manière en scellant la vente autour d'une chopine de vin gris.

Godichon l'âne gris du Cotentin, flanqué de son maître : le meunier de Mareau se mirent sans tarder en route le long du chemin de halage pour gagner Jargeau par la rive droite. De là, ils traversèrent la Loire sur le pont suspendu. Le brave homme ignorait la phobie que développe les ânes au passage de l'eau. La traversée exigea patience, persuasion et quelques petits coups de trique pour vaincre l'appréhension de l'animal. En son for intérieur, Pinot se réjouit que son cher compagnon n’appréciât pas l'eau, voilà de quoi se faire adopter aisément au cœur du vin de Cléry.

L'étape n'était pas longue mais l'auberge du Pitaine était si réputée que jamais Pinot n'aurait songé à se priver de cette halte gourmande. Il fit bombance et pas que, abusant sans discernement d'un petit vin de Saint-Jean-de-Braye qui lui fit perdre l'équilibre si bien que le meunier se retrouva le nez dans la sciure (ce qui le changeait un peu) au moment où le Pitaine nettoyait son estaminet.

La nuit fut salutaire, Pinot dans une chambre, Godichon dans l'écurie et au petit matin, le nouveau couple se reforma pour la seconde moitié du périple. Christine les attendait au soir, il n'y avait pas de raison de hâter le pas d'autant qu'il y avait nombre d'amis sur le trajet. La traversée d'Olivet se fit sans que le meunier n'en profite pour avaler goulûment quelques verres de poire chez ses connaissances, au point de perdre la sienne quand le soleil se trouva à son zénith.

Une bonne sieste réparatrice fit oublier ce faux pas, Pinot se jurant de ne plus boire que du vin jusqu'à la fin du trajet. Godichon d'opiner du chef, sentant qu'à l'avenir lui incomberait la responsabilité de ramener au moulin celui qui prétendait un peu abusivement être son maître. Pour aspirer à un tel rôle, il eut fallu que ce drôle de paroissien n'abuse pas tant du vin de messe.

C'est à l'heure de l'apéritif que les deux compagnons arrivèrent non pas au terme de leur périple mais à la Cave coopérative de Mareau où présidait Laurent, le maître vigneron. Pinot persuadé que cette pause risquait de durer plus que de raison, pensa mettre Godichon à l'abri du soleil. Il le fit entrer dans le cellier et l'attacha dans cette pièce obscure et fraîche à ce qu'il prit pour un barreau après quoi, l'esprit tranquille il rejoignit son acolyte.

Ce que dirent, burent et firent nos deux amis doit échapper à la tentation de décrire l'impensable. Il y aurait risque d'être accusé d’affabulation ou d'exagération tout en restant bien en deçà de la réalité. Mais qu'importe, c'est Godichon cette fois qui dépassa les bornes communément admises dans les usages asiniens.

La pauvre bête, à l'insu de son plein gré avait été attachée à la cannelle d'un tonneau contenant un vin rouge d'un cépage qui se trouve aussi par ici. Le Côt contenta l'âne du Cotentin au point qu'il devint plus gris que gris. Il se retrouva les quatre fers en l'air ce qui pour lui ne fut pas difficile. Il était dans un triste état quoique moins déplorable que celui des deux arsouilles qui découvrirent le drame.

Des esprits douteux dans le pays allèrent jusqu'à prétendre que l'âne avait bon dos et qu'il avait servi d'alibi à deux gredins goinfres de vin. Godichon courba l'échine et accepta sans broncher de porter le chapeau sur ce coup-là. Il avait négocié avec son meunier de maître une rasade de vin après chaque portion de picotin. Il tint ainsi fort honorablement sa place dans les diverses fonctions qui lui échurent.

La plus délicate de toute fut de ramener chaque soir de bordée son patron à la maison sans attirer l'attention d'une meunière qui se désespérait des virées de son bonhomme. Il remplit parfaitement sa mission jusqu'au fameux soir où nos deux amis finirent leur course dans le cours de la Pie un soir de grande pépie commune. Ils en furent quittes pour une belle humiliation et se tinrent cois quelque temps.

L'âne gris du meunier de Mareau fut bientôt aussi célèbre que le gris meunier de l'endroit et beaucoup de prétendre que fort heureusement pour lui, Pinot n'avait pas adopté un Grand noir du Berry. Les gens sont mauvaises langues, y compris dans les pays viticoles. Laissons donc les bourriques braire tout leur saoul et contentons-nous de conseiller au meunier de ne pas en avoir un coup dans l'aile. C'est le mieux que l'on puisse faire pour lui.

Quant à Godichon, il coula des jours heureux même si parfois il fut pris d'un vilain boitement que des esprits malveillants qualifièrent de crise de goutte. Je vous assure qu'une telle accusation relève de la diffamation pure et simple pour un âne qui vivait dans un moulin à vent. Mais les gens méchants aiment à faire trinquer les autres en oubliant de reconnaître leurs propres travers.

À contre-soif


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