Le flatteur se fatigue plus que le laboureur

par C’est Nabum
mardi 9 mai 2023

 

Dire trop de bien, nuit …

 

Il avait creusé son sillon de microsillons en tête d'affiche, de succès de librairie en vedettes factices. Au tout début, un heureux concours de circonstance, une gueule photogénique et une allure de gendre idéal en fit un présentateur incontournable qui se spécialisa bien vite dans le passage assidu de pommade dans le dos.

Il se rendit compte assez vite qu'il avait un don, doublé d'un sourire accentué par des dents remarquablement blanches et alignées, pour débiter des compliments à longueur d'antenne. Que ce soit à la radio mais plus encore à la télévision par la magie de sa gueule d'ange, il découvrit qu'il n'avait nul besoin de tirer le diable par la queue. La flatterie sous toutes ses formes parsemée d'un enthousiasme remarquablement feint lui établit un réseau d'obligés qui établirent durablement sa réputation dans le microcosme.

Plus il acquit de l'expérience moins il avait à s'en faire. Il avait compris qu'il n'était pas besoin pour lui de courir les théâtres ou les projections privées, de se fader des pavés littéraires ou de passer ses soirées dans les salles de spectacle, il lui suffisait de lire le communiqué de presse, de laisser ses collaborateurs lui concocter un petit résumé agrémenté de quelques anecdotes et le tour était joué.

Tout en passant ses soirées avec les siens, il pouvait lors de son émission dominicale jeter des fleurs par poignées à tous ses invités, s’enthousiasmant pour leur extraordinaire prestation, se pâmant pour la qualité du style d'un auteur qu'on ne présente plus, se gargarisant de superlatifs dont il veillait à entretenir la liste en y ajoutant les termes à la mode. Il faisait des vocalises de mots doux, d'exclamations admiratives, de flagorneries et de courbettes obséquieuses.

Curieusement, dans ce ballet de ronds de jambes et des propos mielleux, loin de passer pour un courtisan, un valet de pied de micro, un serveur de soupe médiatique, il devint bien vite le roi du petit écran, le prescripteur culturel, lui qui n'avait plus besoin de traîner ses guêtres dans le tout Paris. Il avait solide réputation, son nom était devenu un label, une garantie d'audience et de succès pour tous les invités à qui il faisait des ronds de jambes.

Il est fort probable que ces derniers ne soient pas dupes. Ils se doutaient de la fausseté des commentaires, de l'hypocrisie des éloges, de la vacuité des remarques mais pourquoi lui mettre le nez dans sa félonie. L'essentiel était de gruger les téléspectateurs dont nombre d'entre eux deviendront se laisseront délestés d'un peu d'argent pour des spectacles ou des productions indigentes.

L'homme en avait parfaitement conscience, lui qui de temps à autre, se faisait passer des vidéos ou des livres de parfaits inconnus qui eux avaient du talent mais le terrible inconvénient de ne s'être pas fait de place au soleil. Il ne pouvait du reste plus se rendre de manière discrète dans ces petites salles ou des librairies indépendantes qui sont les derniers viviers d'une culture vivante de qualité.

Mais à toujours dire du bien sans en penser un traître mot, il découvrit à ses dépens que seul dire du mal fait du bien. Il souffrait de maux gastriques, ne pouvant plus digérer les niaiseries dithyrambiques qu'il distillait à longueur d'antenne. Le spécialiste qui examina ce curieux patient n'en crut pas son imagerie médicale, le présentateur vedette faisait de la rétention de bile doublée d'un phénomène un peu plus curieux encore.

À force de flagornerie et de caresses, il en avait oublié les vertus de la franchise, la possibilité de vider son sac en disant franchement que qu'il pense. Pire encore, à toujours brosser dans le sens du poil, par une manifestation des plus incroyables, il avait des boules pileuses dans l'estomac.

La faculté se déclara impuissante à le soulager. On lui fit consulter un psychologue qui se montra lui aussi totalement démuni devant ce cas. La psychanalyse demandait trop de temps et grand était le risque de réveiller les cadavres qu'il avait semés sur sa route lors de son ascension. Il déclinait de semaine en semaine quand dans le même temps ses courbes d'audience suivaient la même pente désastreuse.

Pire que tout, ses propos semblaient désormais insincères, ses mimiques passaient pour des grimaces, sa réserve manifeste mettait ses invités sur la sellette. La magie n'opérait plus tandis que le calvaire physique ne faisait que s'accentuer. Il vivait un calvaire sans trouver les clefs pour s'en sortir.

C'est au hasard d'une lecture personnelle qu'il tomba sur cette curieuse expression : « Le flatteur se fatigue plus que le laboureur » Il passa un temps fou à s'interroger, à chercher du poil aux œufs comme on disait dans son pays ; était-ce là une maxime, un proverbe ou une citation. Qui a perdu l'habitude de juger sereinement et franchement, se perd le plus souvent en circonlocutions et propos vaseux. Il n'avait pas perçu que ce qui le préoccupait dans cette phrase toute simple n'était rien d'autre que son propre cas.

Il parvient par se déciller les yeux et l'esprit un jour qu'il croisa la route d'un quidam qui ne se pâma par de le rencontrer, qui ne luit tint pas la jambe ni l'importuna avec un maudit selfie. Tout au contraire, sans animosité ni aménité ; l'autre de lui dire simplement : « Savez-vous, monsieur le cajoleur, que dire du mal, ça fait un bien fou non seulement au locuteur mais parfois à celui à qui pour une fois, quelqu'un ose servir une vérité salutaire ! »

L'autre de le saluer un peu ironiquement avant que de tirer sa révérence d'un air narquois. Il y avait fort longtemps qu'il n'avait eu à subir une attitude aussi peu amène. Non seulement il n'en fut pas choqué et moins encore blessé mais tout au contraire, il éprouva soudain comme un poids qui se libéra de son estomac. Il avait compris.

Il se porta beaucoup mieux en disant enfin que qu'il pensait vraiment de ces vedettes de pacotilles dont il devait dire du bien par contrat. Ce fut un Tsunami médiatique durant quelques semaines avant qu'il se voit retirer la présentation de son émission. Il n'en fut pas chagrin, bien au contraire. Il se consacra enfin à ce qu'il aimait vraiment et n'avait jamais osé se l'avouer.

Il battit la campagne à la recherche des talents anonymes. Il leur donna des conseils, ne se privant jamais de critiques bien senties et toujours pertinentes. Si son étoile télévisuelle s'était éteinte à jamais, sa réputation et sa notoriété lui permirent de mettre le pied à l'étrier à quelques-uns de ceux qui devinrent ses poulains.

En bon laboureur désormais, il semait sans jamais mesurer ses efforts. Il allait beaucoup mieux et surtout n'avait plus honte de sa fourberie. Le hasard plaça un autre jour l’amateur de proverbes sur son chemin. Il allait le remercier pour sa remarque qui avait donné une nouvelle inflexion à son existence. L'autre de prendre les devants, devinant son intention tout en le gratifiant de cette remarque : « Mieux vaut une vérité qui fait mal qu'un mensonge qui réjouit, la première creuse un sillon qui s'avèrera profitable quand le second n'est qu'un leurre ... »

Il ne put répliquer. L'autre de s'évanouir dans la foule comme s'il n'avait jamais existé. C'est peut-être le cas, aphorismes, sentences, proverbes, dictons, maximes, adages ou citations sont des sagesses universelles qui valent pour elles-mêmes sans avoir besoin de se soucier de qui vous les sert. L'essentiel est d'en tirer la leçon en son for intérieur.

À contre-vérité.


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