Faites-moi rire !

par Philippe Bilger
vendredi 21 décembre 2007

Guy Bedos, il faut arrêter.
Ce n’est pas la première fois que cet humoriste aigre de talent, se pique de se présenter comme un combattant et un militant. Mais il dépasse les bornes, dans Le Parisien d’aujourd’hui, où avec aplomb il se crédite "d’un rire de résistance". On ne sait pas contre quoi, mais peu importe.
J’éprouve la plus vive admiration pour les véritables héros de la Résistance. Ceux qui sont morts ou qui se taisent. En revanche, je déteste la mythologie et l’exploitation de cette période sombre et courageuse. Par les héros imaginaires d’alors et les héros rétrospectifs d’aujourd’hui.
Ce beau mot, cette superbe exigence, cette volonté d’exister et d’insister qui devrait irriguer la vie de chacun perdent tout sens à force d’être appliqués par n’importe qui à n’importe quoi. Cette manière de laisser croire à une intrépidité actuelle au nom d’une audace historique passée sans commune mesure avec nos petitesses et nos choix faciles me révulse.
Surtout de la part d’artistes. Sans doute sont-ils à ce point conscients du confort dans la critique que leur offre notre démocratie qu’ils en rajoutent sur le plan de la gravité citoyenne. Comme ils ne risquent rien, ils s’inventent des dangers. Comme ils sont libres et le demeureront, ils fabriquent pour les besoins de leur cause une République perpétuellement en danger. Le monde et ses tragédies, les otages en Colombie, les crimes du quotidien, les prisons qui enferment les insolents ici ou là, les journalistes qu’on assassine en Russie ou ailleurs, le conflit israélo-palestinien, le désastre irakien, la rumeur violente et dévastatrice d’un univers qu’aucune raison, parfois, ne semble pouvoir dominer, tout cela n’est rien, évidemment, si on veut bien considérer l’immensité de la tâche que s’est assigné Guy Bedos ! Nous défendre, mais de qui ? Nous protéger, mais de quoi ? On ne lui a rien demandé et je ne suis pas loin de juger ridicule son empressement à nous sauver de périls fantasmés.
Ce rire de résistance qui sonne comme un clairon et vous a "une gueule de casoar et gants blancs" est d’autant plus grotesque qu’en France, Guy Bedos, heureusement, n’encourt pas le moindre danger pour sa liberté d’expression, ses acidités, sa drôlerie appréciée ou non. C’est d’ailleurs la blessure fondamentale de nos artistes militants, de nos comédiens saisis par l’esprit partisan, de nos chanteurs spécialistes patentés des banlieues que de pouvoir s’ébattre dans le champ immense de notre espace démocratique non seulement sans être réellement vilipendés, mais en étant courtisés. Rien ne paie plus, auprès d’une société ayant honte d’elle-même et de ses valeurs fondamentales, que l’agressivité indolore de bateleurs et d’improbables consciences. Quand on est à l’abri de tout, on s’en félicite au lieu de s’emparer de la Résistance pour la galvauder et, au fond, la salir par l’usage affreusement banal et décalé qu’on en fait. Quand le rire de résistance vous laisse triompher devant des publics ravis, on a la délicatesse de songer à ceux qui sont offensés, blessés, torturés pour avoir fait rire dans des pays au masochisme limité et au sens de l’humour inexistant. Quand on a cette chance, on déplore l’infortune étrangère. Quand on n’a pas à résister, on soutient les résistances nécessaires et périlleuses et on ne feint pas d’en être familier. Si on tient à tout prix à l’étage supérieur, à la rigueur, du bout des lèvres et de l’esprit, on propose un rire de lucidité qui, ouvert à tous vents, ne se hausse pas du col et ne prétend pas faire se lever des orages désirés implacablement absents. Bref, on ne joue pas, toujours, la comédie. On laisse aussi, parfois, la vraie vie vous rattraper et on se regarde et on fait silence.

Guy Bedos, il faut arrêter. Après vos spectacles, le seul désagrément qui vous guette, c’est d’être harcelé par les journalistes qui aiment vous entendre dire du bien de vous. Loin de moi l’envie de minimiser ce désagrément. Il est vrai qu’un autre vous guette, terrifiant. Vous avouez - à la fois, blasé et un peu fier - avoir été reçu à plusieurs reprises par le candidat Sarkozy, qu’il a tenté de vous faire tomber sous son charme, mais que bien sûr vous n’y avez pas succombé. Je vais vous murmurer un secret. Comme vous n’aimez pas le président, je suis sûr que vous allez être confronté à un immense défi, à une épreuve redoutable, à un embarras plus que cornélien : il va vous inviter à nouveau. Quelle dure et difficile résistance que la vôtre. Je vous plains.

La résistance du rire, en France ? Faites-moi rire.


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