Neige et Pollux

par C’est Nabum
mercredi 2 mars 2022

 

La véritable visite du Salon : Labourage et Pâturage

 

C'est un beau roman

 

Il advint une fort curieuse aventure à deux bêtes à cornes de la classe des bovins qui mérite de vous être débitée par quartiers. Pour peu que vous ne trouviez dans le conte de quoi satisfaire votre gourmandise de sornettes, la fable vient compléter le tableau pour l'édification des masses bêlantes. Prenez donc la peine de suivre mes pas de pâtre, raconteux d'histoires, pour aller sur les chemins escarpés de ma fantaisie.

Neige était une charmante vache laitière qui payait de sa personne pour fournir en bon lait la fruitière d'Abondance. C'est en ce lieu que l'on affine les meilleurs fromages de la région car les bêtes paissent encore dans des territoires préservés. Pour ses bons et loyaux services et surtout parce que la dame avait magnifique robe et impressionnantes mensurations, elle fut sélectionnée pour aller s'exposer dans le salon de labourage et de pâturage de la Porte de Versailles.

Pollux, en taureau imposant, connut le même plaisir. Pour lui aussi le voyage à la Capitale, les honneurs et la fierté qui rejaillit naturellement sur Alex, son éleveur préféré. Si pour l'animal, la récompense est exceptionnelle, pour l'homme c'est la vingtième fois que lui échoit pareille reconnaissance.

Neige et Pollux ne s'étaient jamais rencontrés, les animaux sont plus souvent attachés à leur territoire et leurs chaînes que les humains qui ont pris l'habitude d'aller où bon leur semble. Pour nos deux héros, ce fut un coup de foudre, non qu'ils se plurent de suite, mais plus sûrement parce que sous le feu des projecteurs et dans un bruit d'enfer, il se passa un curieux événement qui bouleversa le cours de leur existence.

Un petit homme pressé, ayant parait-il d'autres fers sur le feu, vint au pas de course, respecter la tradition solidement ancrée dans sa corporation. D'une main malhabile tout autant que dédaigneuse, il se plia à la coutume imposée par ses prédécesseurs, en flattant la croupe des deux personnages de cette histoire.

Paradoxalement, c'est Pollux qui en fut le plus troublé. Il se sentit en sympathie avec ce jeune foutriquet. Entre le haut dignitaire et l'animal un courant passa de telle manière que le brave taureau en éprouva une manifestation intime qui ne pouvait que se remarquer. La chose pour choquante qu'elle puisse être en émoustilla la gentille Neige qui fondit à cette promesse d'exception.

Pourtant, il convient de préciser que l'aventure peut surprendre les gens avertis et les spécialistes. Car depuis belle lurette, les lois de la sélection ont imposé l'insémination artificielle pour ces pauvres animaux privés des joies de la copulation. Pour Pollux qui se voyait ainsi ponctionné de sa semence sans jouir du plaisir de l'acte et pour Neige qui recevait de la liqueur séminale par le truchement d'un humain.

La loi du sang, l'appel de la nature, l'éveil des sens, le retour des pratiques ataviques, qu'importe comment on qualifie la chose, Pollux se rua sur Neige qui le reçut avec délectation et gourmandise. Elle avait pris au préalable la précaution de déclarer devant les journalistes présents, qu'elle était, en conscience, parfaitement consentante.

La saillie, puisque c'est le terme consacré, fut filmée et passa en boucle sur toutes les chaînes d'information, relayant au second plan, les images belliqueuses de l'actualité brûlante. Jamais le vieux slogan des pacifistes : « Faites l'amour mais pas la guerre ! » n'avait été plus approprié au contexte. Ce fut un raz de marée, une frénésie générale, dans tout le pays, des couples s'unirent, suivant l'exemple de ces deux bienheureux.

Un grand mouvement d'opinion se produisit. Des voix s'élevèrent pour rompre avec les pratiques sanitaires qui depuis l'avènement du petit homme prévalaient désormais dans ce doux pays de France. Outre les gestes barrières, le port du masque et le lavage de mains, la copulation avait été formellement prohibée compte tenu des risques de contagion multiples liés à une pratique vigoureusement mise au ban par le conseil scientifique.

L'insémination avait eu le vent en poupe puis en croupe, les lois avaient fini par mettre hors la loi, les pratiques ancestrales et depuis quelques années, une sélection rigoureuse des personnes ayant un capital génétique certifié conforme pouvait engendrer par le biais d'une PMA. Ceci ayant mis fin à la prolifération des maladies sexuellement transmissibles et permis de mettre un terme aux risques de contagions subversives par un contrôle élaboré des codes ADN.

Le spectacle de Neige et Pollux en pleine harmonie avait réveillé les ardeurs de tous ceux qui avaient fini par accepter de ployer sous le joug de cette affreuse politique. Ce fut un raz de marée, une mêlée indescriptible, une orgie joyeuse, la fête des sens et de la vie retrouvée. La police, submergée et elle aussi prise par ses soubresauts incontrôlables, participa comme tous les autres à la furia.

Puis le temps passa, le salon s'acheva, durant toute son édition, ce fut plus précisément une véritable chambre à coucher où tous les autres animaux se prirent d'envie d'imiter eux aussi Neige et Pollux. Les bêtes, quel que soit leur nombre de pattes rentrèrent dans leur domaine. Le calme revint sur le pays et chacun suivait avec une formidable fièvre, la grossesse de la laitière.

Quand Neige vêla, ce fut alors un drame national. Le père et la mère étant tous deux des animaux génétiquement modifiés, l'enfant naquit avec cinq pattes, deux têtes et trois queues. Ce fut un choc tout autant qu'un révélateur. Le peuple avait depuis trop longtemps lâché la bride aux apprentis sorciers. Ce fut la fin des expérimentations génétiques, des expériences douteuses et des pensées transhumanistes.

Neige et Pollux sans le savoir, venaient de rendre une fière chandelle à l'humanité. Ils avaient, dans leur malheur, mis à bas, un système qui marchait sur la tête au nom des docteurs Folamour du progrès artificiel. La vie sur terre revint à plus de raison et les animaux comme nous autres redonnèrent toute la place aux lois de la nature.

À contre-temps.

 


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