Les dīners de con(vive)s - 2

par Georges Yang
jeudi 28 août 2008

Vous en avez reconnu déjà certains. Lisez la suite, il y en a encore beaucoup d’autres qui sont capables de gâcher vos soirées !

9. Les professionnels

Qu’ils soient médecins, avocats, architectes, mais aussi de condition plus modeste, quand ils se rencontrent, c’est pour parler boulot. Non tant par amour du métier, mais pour se faire mousser, pour montrer aux collègues qu’ils sont meilleurs, qu’ils gagnent plus ou qu’ils comptent dans la profession. Les histoires de chasse des médecins, sur des cas de leucémie myéloïde envisagée à l’instinct avant les hémogrammes, sur ce musulman pratiquant qui présentait les signes caractéristiques de la maladie du rouget du porc (une histoire invraisemblable de contamination croisée par le biais du véhicule d’un ami vétérinaire qui soigne des cochons) ce sont eux qui les ont diagnostiqués. C’est dire s’ils sont bons !
Et le client de l’avocat, défendant pour discrimination un transsexuel, évincé d’un club de sport car il voulait pratiquer l’haltérophile en body et bas résille, eh bien c’est lui, le jeune loup du barreau qui l’a réintégré dans le club, sous peine d’indemnités sonnantes. Parler d’autre chose en leur présence est impie. Au plus obtiendrez-vous une oreille distraite pour quelques secondes si vous ne faites pas partie du sérail, ou si vous n’êtes bouche bée devant la narration de leurs exploits.

10. Les désorganisés bordéliques

Ce sont les plus sympa, mais, avec eux, il faut s’attendre au pire. Rien n’est prêt quand vous arrivez, ou bien quelque chose a brûlé. Ils sont souvent très gentils, alors vous n’osez rien dire. Et puis, il manque le vin. Le maître de maison (que le terme est inapproprié en ce cas) dit je vais aller en chercher à Sainte-Geneviève-des-Bois, mais il est tard et tout est fermé. Vous attendez une heure dix avec la compagne (ces gens bien sûr ne sont pas mariés) qu’il revienne de Massy et comme il y a des travaux routiers de nuit, il a dû contourner le parc de Sceaux pour revenir.
Il se fait tard, généreusement on vous propose de vous raccompagner en voiture. Hélas, en allant chercher le vin, dans la précipitation on a oublié d’éteindre les phares et la batterie est à plat. Il vous reste deux options, le taxi à 80 euros ou passer la nuit sur leur sofa dont les ressorts ou les lames de bois ont sauté. Soyez heureux s’ils n’ont pas un petit chien, un cochon d’appartement ou une mangouste qui va vous déranger toute la nuit. Et de toute façon, il faut faire sécher votre chemise que vous avez tachée bêtement avec le vin en essayant de sortir le bouchon avec un couteau pointu, car on ne sait plus où est le tire-bouchon.

11. Les croyants

Assez rares en France, mais très nombreux parmi les Américains, ces gens prient à table et vous disent "Dieu vous aime" avant même le dessert. Il est difficile de ne pas pouffer quand on les voit tête baissée et rictus de constipé qui pousse, un compas dans le cul, quand ils évoquent le Seigneur. Ils peuvent aussi être juifs orthodoxes avec une armada d’interdits alimentaires, de rituels et des réfrigérateurs séparés pour les viandes et les laitages. Tu ne mangeras pas la chair de l’agneau avec le lait de sa mère. Chez les musulmans, on sait d’emblée qu’il n’y aura pas de boudin ni de charcuterie, on peut s’en passer une fois dans sa vie. Et puis, à part dire bismallah à la première date, ils ne sont pas trop exigeants avec les infidèles, surtout ceux qui vous invitent. Les pires sont les chrétiens charismatiques ou les membres des Eglises évangélistes, eux, ils vont essayer de vous convertir pendant tout le repas, de quoi vous couper l’appétit.

12. Les raseurs

Les collectionneurs et les supporters, quand ils ont l’éloquence terne peuvent très bien figurer dans cette catégorie. Mais le vrai raseur n’a que des banalités à dire et en premier thème, il y a l’automobile. Sinon ils parlent anecdotes au boulot, chef de service, chef de demi-rang, encore pire que les chefs de rang. Le plus atroce, c’est d’écouter poliment des histoires de sens interdit au centre de Paimpol, de les entendre s’insurger contre ces chauffards qui font des dépassements en côte en téléphonant au volant, ou encore plus inadmissible, des queues de poisson. Et puis, tous ces panneaux de limitation de vitesse aberrants à la sortie de Digne, on n’y comprend rien. Autre thème automobile, le côté sous-vireuse de certaines japonaises et la boîte de vitesses de la Logan qui mériteraient d’être revus. Vous aurez votre quart d’heure de sérénité si vous abordez les outrances des deux ayatollahs de la sécurité routière, Sarre et Robien, mais, ensuite, il faudra assumer et boire les poncifs.
Le raseur est fier de lui, il est suffisant, il n’est pas né de la dernière pluie, il peut même vous conseiller judicieusement en placement boursier, car bien sûr, lui il sait, on ne la lui fait pas. Le fin du fin, c’est la projection de photos de vacances, avec des gros plans de la famille devant des monuments non identifiables. On les voit jouer aux boules, lancer un bâton au chien et si l’on affaire à des spécialistes, on a droit à une série de 120 clichés de poteries mérovingiennes, souvent des fragments ou de variétés d’orchidées naines. Tout un spectacle, car il faut réagir de temps en temps, faire un commentaire élogieux.
Ultime groupe de raseurs, les pleurnichards, qui narrent leur divorce dans le détail ou leur mère décédée, jusqu’à plus soif en vidant des litrons. Mais le sommet réside dans les procéduriers qui parlent d’avocat, de notaire ou de prud’hommes. Ils expliquent de long et en large le procès qui les oppose à l’entrepreneur de leur pavillon. Preuve à l’appui, ils vous étalent les devis sur la table et vous traînent à la cave constater de visu l’état de la chaudière et les infiltrations.
Je ne m’étendrais pas sur le cas gênant du collègue insipide et insignifiant qui vous a déjà invité trois fois, vous avez toujours décliné, mais cette fois vous y allez à reculons. D’emblée vous tombez sur une épouse à vous faire bondir au mur et grimper aux rideaux. Si vous n’envisagez pas l’adultère, éviter de revenir !

13. Ceux qui ont recours au traiteur ou au livreur de pizza

Barquettes avec emballages initiaux ou remise en assiette de porcelaine avec une note personnelle, la tranche de kiwi ajoutée au dernier moment ! C’est ce qui vous attend, mais, hélas, ce que vous allez manger ne vient ni de chez Hédiard ni de chez Lenôtre… Quand on aime les darnes de saumon, les œufs en aspic et les amuse-gueules salés, on ne souffre pas trop et puis c’est tout de même meilleur qu’une conserve Cassegrain ou Barbier Dauphin.
Mais il y a pire, être invité chez quelqu’un qui a commandé des pizzas. Les plus fauchés ou paresseux ont systématiquement recours au livreur à mobylette. Les boîtes en carton servent d’assiettes, solution idéale pour les bordéliques, inconcevable pour les bio. Seul intérêt chez ces sectaires, eux ils n’osent pas ce sacrilège ! C’est d’ailleurs probablement leur seul point positif.

14. Les partouzeurs

La situation est rare pour ne pas dire exceptionnelle, la surprise est grande si l’on n’a pas été prévenu à l’avance. Le maître des lieux qui peut être un soumis et non un dominateur vous accueille à poil, mirliton dans le cul, préservatifs à l’apéro, ça pourra servir. Si cela a lieu à Limoges ou à Montauban, on vous aura prévenu : ceux qui m’aiment prendront l’arrière-train. Banalité dans le fantasme, style SAS champagne dans un escarpin, caviar dans l’ombilic, jamais vin rouge dans une santiag ou petit salé aux lentilles à lécher sur la vulve non rasée. Ils réagissent souvent à coup de stéréotypes vus dans des films. Il faut aimer, certains apprécient. Il faut surtout connaître ce genre d’amateur, car ils ne courent pas les rues. Le plus souvent, du point de vue culinaire, on retombe dans le traiteur, à moins qu’il n’y ait en prime une préparation aphrodisiaque ou supposée telle venue des Antilles ou d’Afrique subtropicale. Envisager dans ce cas plutôt l’intoxication alimentaire que l’érection fulgurante. Mais quand ça marche, vous risquez le priapisme.

15 Les innovateurs

Ce sont les pires ! Le gratin de coquillettes au brie et à la mangue, ce n’est que le plus digeste et le moins surprenant parmi leurs inventions gastronomiques. Les aiguillettes de canard servies avec de navets confits dans du poiré seraient parfaites si malheureusement elles n’étaient servies avec une émulsion de Coca-Cola rehaussée à la vanille pour renouveler Bulli en Catalogne !
Ils se prennent pour Bocuse et considèrent Taillevant comme un apprenti à la limite du gâte-sauce. Exceptionnellement, vous avez quelque chose de remarquable dans l’assiette, le plus souvent, ça détonne et vous vulnère les papilles. Seule consolation, ces “gastronomes” savent choisir les vins.
A l’inverse des innovateurs, il y a ceux qui vous servent systématiquement la sempiternelle quiche au poireau, le cassoulet obligatoire ou le gigot haricots verts. Si c’est bien fait, c’est supportable deux fois par an. Et évidemment il faudra dire, « un cassoulet, quelle surprise ! »(c’est votre quatrième d’affilée chez eux) !

16. Les couples qui s’engueulent

Ce sont les plus nombreux et aussi les plus pénibles. Dès le palier, vous les entendez se chamailler. A l’intérieur, c’est pire. Tout est prétexte, les devoirs des gosses (voir le paragraphe 4 pour les nuisances annexes), le service des plats, les souvenirs de vacances. Qu’allez-vous dire sans une certaine gêne après des phrases perfidement lancées : “j’ai bien vu ton manège avec la Suédoise à Ibiza” suivi d’un “ton collègue Bain de siège, il commence à me gaver, s’il est si bien que ça, tu n’as qu’à l’épouser” avant même d’avoir le temps de s’esquiver vous aurez eu droit à “D’abord, ce n’est pas Bain de siège, mais Balsiej son nom ! Et puis, tu me fais chier, point barre !” La vie en couple est magnifique, avec les gosses qui glapissent de façon itérative et tonitruante c’est encore mieux. Le final, vous l’aurez au café, si vous êtes encore célibataire. “Tu ne te sens pas trop seul ? Tu devrais te marier, on pourrait te présenter une amie !”
Non merci, rien qu’à les voir, on a envie d’entrer au Carme, ou courir au bordel le plus proche, mais surtout pas convoler.
Et puis, au moment de partir, vous aurez la flèche du Parthe : “Je t’aurais bien raccompagné, mais Madame vient d’emboutir la Renault !”
 
Donc, après cette énumération, a-t-on encore envie de répondre à une invitation ? Fera-t-on, comme le minable personnage de Bénabar ? Rester sous les draps et commander des pizzas ! Mais, en fin de compte, nous faisons tous plus ou moins partie d’une ou plusieurs de ces catégories. A petite dose, cela a un certain charme, à saturation on en arrive à décliner tous les dîners chez ceux dont on n’est pas sûr. Quand on a subi un couple de radins qui s’engueulent, ont un chien qui bave et qui de surcroît habitent à des lieux du premier endroit civilisé, on a envie de rester chez soi.
Et puis on peut toujours se venger en invitant soi-même, avec un orchestre de gong en arrière-fond sonore, en servant une tête de veau au chocolat avec sa garniture de topinambours. On insistera pendant tout le repas de l’importance de l’œuvre de Brecht dans la pensée de Lacan surtout au niveau de la symbolique ! C’est peut-être la seule façon de se débarrasser de certaines personnes sans être blessant, cassant et grossier.
Et maintenant, bon appétit, avec vos vrais amis ! Il vous en reste bien quelques-uns de normaux. Et si jamais vous n’entrez dans aucune catégorie, invitez-moi !
 

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