Chaque année, 1100 disparitions sont considérées comme inquiétantes, témoignage d’une histoire vécue

par chapoutier
vendredi 28 mars 2025

 

Loin de la frénésie des charognards des chaînes d'informations en continu qui se nourrissent du malheur des autres, « l'actualité » récente en est la preuve, un fait est occulté par les titres tapageurs de la presse : rien qu'en France, la disparition chaque année d'environ 1100 mineurs, sur les 40 000 mineurs de tous âges signalés disparus chaque année, est considérée comme « inquiétante ».

 

Selon les chiffres officiels transmis par le ministère de l'Intérieur en 2022, les disparitions inquiétantes (hors fugues et enlèvements parentaux) s'élevaient à 1 140, soit 2,8 % du total des signalements. L’âge moyen des mineurs disparus sur le sol français est de 15 ans.

 

J'avais lu ces chiffres il y a quelques mois sans y prêter une attention particulière, mais le cerveau humain a cela de particulier : il travaille à notre insu, certainement au niveau inconscient, et quelques mois plus tard, je me suis souvenu et cela a été un choc ! J'ai réalisé que sans une énorme part de chance, j'aurais certainement fait partie des statistiques. C'était il y a cinquante ans !

 

Je vais donc sortir de ma zone de confort, j'entre dans l'inconnu, dans le personnel et le vécu, loin de Macron et de l'Ukraine. Mes détracteurs habituels se délecteront certainement, mais j'estime utile de publier ces souvenirs récents d'une mésaventure ancienne que mon cerveau avait occultée.

 

C'était en 1975, je venais tout juste d'avoir 16 ans, nous étions en été, mon année de seconde était terminée. Les cheveux qui m'arrivaient au bas du dos, mes vieilles pataugas aux pieds et ma veste verte des surplus militaires, achetée aux puces de Saint-Ouen,proclamaient naïvement mon refus de la société de consommation bourgeoise, mais en réalité me désignaient comme adolescent pas très encadré.

 

Cette année-là, j'avais embobiné mes parents en leur disant que je partais en vacances chez les parents d'un copain de classe, alors qu'en réalité je partais tout seul à l'aventure en Vendée ; et quelle aventure, avec mon sac à dos et un sac de couchage. J'avais très peu d'argent sur moi, celui que j'avais gagné en travaillant les mercredis et dimanches matin en travaillant pour un maraîcher sur le marché d'une ville de la banlieue rouge des Hauts-de-Seine.

Très vite, ces « vacances » ont tourné à l'aigre, me contraignant à remonter en stop vers la région parisienne. Et c'est là que cela aurait pu se terminer en statistiques du ministère de l'Intérieur.

 

J'ai commencé ma « remonte » vers Paris en faisant du stop sur le bord de la départementale à la sortie d'une petite ville du nom de Vix en direction de Fontenay-le-Comte, et très rapidement j'ai été pris en stop. Le conducteur de la grosse berline semblait très sympathique et, à sa demande, je lui ai dit que je rentrais en première « C » en septembre. Le hasard fait bien les choses ! Ce monsieur était justement professeur de mathématiques à Fontenay-le-Comte et, coup de chance pour moi, il allait justement à Paris ; il lui fallait juste faire un passage au lycée avant de prendre la route, et, me proposa-t-il, il pouvait m'emmener si je voulais bien faire un détour de quelques minutes jusqu'à son lycée.

 

Naïveté confondante de la jeunesse ! Trop content de l'aubaine, c'est avec enthousiasme que j'acceptai de l'accompagner.

 

Le trajet fut bref, Vix étant à une quinzaine de kilomètres de Fontenay-le-Comte, et je me retrouvai dans la cour gravillonnée de ce vénérable bâtiment en L, après que le professeur de mathématiques eut refermé à clé le grand portail en fer. Je notais le fait, mais sans plus.

Quand il proposa de me faire visiter rapidement le lycée, une certaine gêne montra le bout de son nez, mais le lecteur doit prendre en compte que l'internet n'existait pas il y a cinquante ans et que ce genre d'histoires ne faisait pas partie du vécu d'un gamin de 16 ans, et pour qui ce genre de choses n'existait tout simplement pas.

Je le suivis donc jusqu'au premier étage, d'après mes souvenirs, et il me dit que le couloir desservait les salles de classes ; et, au deuxième étage, il m'invita à prendre le couloir, et, ouvrant une porte, m'expliqua que c'étaient les dortoirs.

Enfin le signal d'alarme se déclencha dans ce qui me servait de cervelle ! Presque trop tard ! Il m'invita à entrer dans le premier dortoir, mais je lui ai dit que je voyais bien d'où j'étais. Il posa sa main sur mon épaule pour m'inviter à regarder de plus près le dortoir suivant, et, tel un animal pris au piège, je cherchais désespérément comment fuir.

Pour contextualiser la situation, j'étais un gamin d'à peine 16 ans, maigrelet à l'époque, pesant moins de 60 kilos, en face de moi, un bonhomme d'une quarantaine d'années, me dépassant d'une bonne tête et d'au moins 30 kilos. Je peux vous assurer que la différence de gabarit et de vécu compte énormément, je ne me voyais tout simplement pas victorieux d'un corps à corps, seule la fuite était possible. Mais j'étais coincé comme un rat dans le couloir, avec sa main sur mon épaule droite.

Je crois que j'ai saisi la seule chance qui s'offrait quand il ouvrit la porte du dortoir : j'ai frappé de toutes mes forces en plein son œil et je me suis littéralement jeté sous son bras pour échapper à son emprise, et j'ai couru comme un dératé jusqu'à l'escalier que j'ai dévalé quatre à quatre. L'avantage physique du poids du bonhomme s'est transformé en handicap pour lui en termes de rapidité et de vivacité !

À aucun moment je n'ai jeté un regard en arrière, et je suis arrivé jusqu'à la grille du lycée qu'il avait refermée à clef. J'ai escaladé la grille après avoir jeté mon sac à dos par-dessus, et enfin j'ai pris le temps de regarder vers le vénérable bâtiment en pierre de taille afin de m'assurer que je n'étais pas suivi.

 

Aussi incroyable que cela paraisse, je n'ai plus jamais pensé à cette histoire, et bien entendu, je ne suis pas allé expliquer quoi que ce soit à la gendarmerie. Le black-out complet, rien ne s'était passé !

Jusqu'à il y a quelques mois, comme précisé en début de texte.

 

En premier viennent les souvenirs, après vient le choc suivi d'un deuxième choc et d'un troisième choc émotionnel !

Le premier choc est de se dire que j'aurais pu être le jouet d'un malade ! Ce qui en soi est déjà terrifiant, mais vient ensuite la réflexion et les supputations : si ce type était arrivé à ses fins, que se serait-il passé ?

Et c'est le deuxième choc, puisque je suis arrivé à la conclusion qu'il n'aurait certainement pas pris le risque que j'aille le dénoncer, lui, professeur respectable dans une institution respectable. Que se serait-il passé si je n'avais pas réussi à m'échapper ? Je laisse à l'imagination de chacun le soin d'imaginer le sort qui m'était réservé, et je ne crois pas que je me fasse un film 50 ans plus tard.

Et vient enfin le troisième choc : je n'ai rien dit à personne, j'ai gardé le silence, alors a-t-il continué avec d'autres naïfs ? Ce que je ne saurai jamais !

C'était il y a 50 ans dans quatre mois.

 

 


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