Chirurgie : les petits services sur la sellette ?

par citoyen
lundi 10 avril 2006

Dans un contexte budgétaire difficile, du fait des mesures d’économie que les hôpitaux sont amenés à réaliser depuis deux ans, le ministère de la santé et des solidarités a commandé auprès du Pr. Vallancien un rapport sur l’évaluation de la sécurité, de la qualité et de la continuité des soins chirurgicaux en France.

Après avoir réalisé la première phase de son enquête, portant en priorité sur les structures ne parvenant pas à garantir la sécurité, la qualité et la continuité des soins en matière de chirurgie, le professeur a remis son rapport à Xavier Bertrand. Une deuxième étape concernera les CHU et les grands centres hospitaliers qui seront, eux aussi, évalués sur la base.

En attendant, ce sont 113 hôpitaux de proximité qui se trouvent directement ciblés par ce rapport, et dont les services de chirurgie risquent fort d’être sommés de se mettre au niveau des critères de qualité requis. A défaut, ce sont des reconversions d’activité qui sont prévues, et qui nécessiteront le positionnement clair des responsables politiques et des représentants des associations d’usagers face aux problématiques de sécurité qui se posent dans ces services.

Xavier Bertrand s’engage dans l’évaluation des services de chirurgie

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Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a reçu le 4 avril le professeur Guy Vallancien - professeur d’urologie à l’Université Paris V, chef du service d’urologie de l’Hôpital Montsouris, secrétaire général du Conseil national de chirurgie - lequel lui a remis son rapport sur l’évaluation de la sécurité, de la qualité et de la continuité des soins chirurgicaux en France. (Source : site du Ministère de la santé et des solidarités)

Xavier Bertrand a demandé au professeur Vallancien et à la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins d’étudier sous quinzaine les réponses qui pourraient être apportées par le ministère de la santé et des solidarités aux questions et propositions de ce rapport, avant de lancer une consultation des différentes parties prenantes.

Il faut indiquer à nos lecteurs attentifs que l’objet de ce rapport, derrière son titre quelque peu technique mais tout de même parlant, est de mettre en avant la situation des services de chirurgie qui se trouvent en situation de fragilité, du fait essentiellement de la faiblesse de leur activité. Et comme toujours dans ce type de rapport, il y a d’un côté ce qui est mis en avant par les professionnels, à savoir la méthode de travail, les réflexions, les recommandations, les garanties que l’on donne aux « parties prenantes », et il y a de l’autre côté ce que l’opinion retiendra, et ce qui constitue finalement la cible même du rapport, à savoir la liste des hôpitaux dont l’activité est située en dessous des seuils de qualité.

La liste des 113 hôpitaux situés en deçà des seuils de qualité

Le rapport Vallancien dresse ainsi une liste de 113 hôpitaux dont les services de chirurgie ne dépassent pas le seuil de 2000 actes chirurgicaux par an, soit 5 à 6 actes chirurgicaux par jour et par service. Sur les 113 hôpitaux, 87 font moins de 1550 actes par an, dont 76 qui en font moins de 1000 et 13 qui en font moins de 500. Par ailleurs, le nombre d’hôpitaux comprenant 3 chirurgiens ou moins (temps plein ou temps partiel) s’élève à 114, sachant que 58 ont 2 chirurgiens titulaires et 20 un seul chirurgien. Ces chirurgiens réalisent en moyenne 300 interventions par an, y compris les chirurgiens non titulaires. De plus, les hôpitaux à faible activité assurent en moyenne moins de 50 actes dits fréquents par an, soit un par semaine.

Ce faisant, les 113 hôpitaux qui sont listés dans ce rapport sont clairement identifiés comme ne répondant pas aux critères de qualité identifiés au niveau national. Le Pr. Vallancien estime que « la sécurité, la qualité et la continuité des soins n’existent pas quand le nombre de chirurgiens passe en dessous du quota lié aux réglementations du repos quotidien ».


Pour autant, dans ses premières déclarations, le Pr. Vallancien tente de rassurer la communauté hospitalière. Il indique que sur le millier d’hôpitaux en France, 486 pratiquaient en 2004 la chirurgie, dont 113 se situent en dessous des seuils de qualité. Ce qui signifie tout de même que plus de 23% des services de chirurgie de France sont directement visés par ce rapport. Tout en développant sa réflexion sur les actions à mettre en œuvre dans ces services en situation de fragilité - les conduisant notamment vers des restructurations inévitables- le Pr. Vallancien rappelle, exemples à l’appui, que la fermeture de service de maternité et/ou de chirurgie n’a jamais conduit à la fermeture de l’hôpital lui-même. Par ailleurs, si le Pr. Vallancien assure que la sous-production chirurgicale « pose clairement la question du maintien des blocs opératoires » concernés, cette position ne l’empêche pas de déclarer que les seuils d’activité ne doivent pas pour autant devenir un « couperet ».

Les maires, responsables potentiels ?

On le comprend bien, cette argumentation est directement destinée aux responsables politiques, et plus particulièrement aux maires des communes concernées qui craignent de voir disparaître à terme le premier employeur de leur petite commune. Maires qui sont en première ligne, dans cette discussion qui s’amorce, en leur qualité de président du conseil d’administration de l’hôpital, et qui régulièrement réussissent à mobiliser leur population pour défendre l’hôpital de proximité, comme ils le font pour leur bureau de poste ou leur site industriel. Sauf que l’analogie s’arrête ici, car si l’hôpital occupe bien une place sociale importante dans ces petites communes du fait de l’impact de la redistribution des revenus, l’enjeu du débat porte sur la santé, notre santé. Et cela, le ministère l’a bien compris en missionnant le Pr. Vallancien. En effet, parmi les propositions de l’imminent praticien figure en bonne place celle toute symbolique « d’informer les maires de leur responsabilité potentielle en cas de manque de sécurité, de qualité et de continuité des soins chirurgicaux », qui a toute chance d’être efficace car elle place le maire en porte-à-faux vis-à-vis de ses concitoyens. C’est en effet dire au maire : « Vous êtes président du Conseil d’administration, vous devez assumer vos responsabilités ».

Renforcer l’évaluation de la qualité des pratiques pour mieux classifier les services

Le Pr. Vallancien suggère de mettre en place un système d’évaluation de l’activité chirurgicale et de sa qualité sur des critères s’ajoutant aux données d’information elles-mêmes contenues dans le Programme médicalisé du système d’information (PMSI). Sont ainsi avancés comme critères :

Il propose ensuite de classifier les services de chirurgie en quatre grandes catégories, en fonction leur score sur la base de la norme ESO (évaluation, soins, organisation)

Informer le public du niveau d’activité de chaque hôpital

Ces propositions, bien que fondées sur une logique dont chacun s’accordera à dire qu’elle repose sur le bon sens (les services incapables de respecter les critères de sécurité devront se restructurer), n’en constituent pas moins des enjeux politiques forts, car luttant contre l’obscurantisme médical dont souffre notre pays, au prétexte que nous avons le meilleur système de santé au monde. Aussi, en prévision des réactions qui ne vont pas manquer de s’exprimer dans les jours et les semaines à venir - à ce jour rappelons que le rapport n’est pas rendu public - le Pr. Vallancien avance d’autres propositions, dont l’objectif final consiste à faire de l’opinion un allié, voire un acteur, en lui donnant l’information et donc la capacité à s’interroger, voire à décider d’elle-même de renoncer à être prise en charge dans tel ou tel établissement ne remplissant les critères de qualité.

Il suggère, dans ce sens, d’afficher dans les hôpitaux les types et le nombre d’opérations par an de chaque service. Ces données seraient également accessibles par Internet, sur le site du ministère de la santé.

L’enjeu des reconversions, la responsabilité des politiques et des associations d’usagers

Cette démarche de transparence n’est pas innocente. C’est que le volet obscur de la réflexion du Pr. Vallancien porte sur la nécessaire reconversion des services qui seront dans la ligne de mire. Ainsi, il préconise d’organiser les blocs opératoires notamment en regroupant les hommes et les matériels sur des plateaux techniques ouverts toute l’année, jour et nuit, sans discontinuité, des soins chirurgicaux, en concentrant les urgences chirurgicales sur moins de sites et en accélérant les partenariats public-privé. Cette réorganisation passe par des leviers nécessitant de faire évoluer les contrats des chirurgiens et des anesthésistes en testant des contrats d’exercice chirurgical régional, permettant à un chirurgien d’exercer là où les besoins se font ressentir.

Face aux situations à risque, il recommande également d’impliquer davantage les responsables politiques et les associations d’usagers, dès les premières réflexions sur la conversion de leur hôpital. « La réussite de la conversion des hôpitaux de proximité dépendra de la capacité des élus à faire comprendre - aux habitants - les bénéfices d’une restructuration bien menée » en termes de « sécurité, de maintien de la proximité sanitaire et de création d’emplois ». Il pointe que la carte de la répartition des petits hôpitaux ne reflète pas les difficultés géo-climatiques qui pourraient expliquer leur implantation, et conclut que les chirurgiens sous-occupés dans ces petites structures seraient mieux employés dans les centres hospitaliers de référence, notamment lorsque ceux-ci sont situés à moins de 50 kilomètres.

Ce que ne dit pas le rapport du Pr. Vallancien, c’est que la situation de fragilité des 113 hôpitaux ciblés dans son rapport est bien souvent liée aux moyens financiers que lui accordent les autorités. Mais en cette deuxième année où les établissements hospitaliers sont astreints à réaliser des économies sur leurs dépenses de fonctionnement, en raison du gouffre que constitue le déficit de la Sécurité sociale, il est certain que cet élément risque de ne pas peser bien fort dans la discussion des reconversions.

Les 11 opérations les plus fréquentes réalisées dans ces hôpitaux sont par ordre décroissant : la fracture des membres et de la clavicule, l’appendicectomie, la cure de hernie abdominale et l’éventration, la prothèse de hanche, la cholécystectomie, l’adénoïdectomie (végétations), l’amygdalectomie, la posthectomie (circoncision), la plastie du frein de la verge, la décompression du nerf médian dans le canal carpien, l’éveinage (varices), la méniscectomie, l’hystérectomie.

Les interventions les plus lourdes sont, dans les mêmes hôpitaux : la prostatectomie radicale pour cancer, la chirurgie colorectale, la chirurgie du cancer du sein.


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