La filière nucléaire japonaise : une gestion caractérisée par son opacité

par Etienne Marlles
vendredi 25 mars 2011

Bien sûr, nul ne pouvait prévoir les évènements frappant actuellement le Japon. Un tel enchaînement de catastrophes -le séisme, puis le tsunami, et enfin l’accident à Fukushima- est proprement inédit dans l’Histoire. Cependant, il convient de ne pas se laisser submerger par l’émotion et de rappeler que la Tokyo Electric Power Company, qui gère les sites nucléaires japonais, était déjà connue pour son opacité et avait ignoré de nombreuses mises en garde de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique.

Les principaux experts du secteur nucléaire le savent : Tepco, le quatrième producteur mondial d’énergie nucléaire, ainsi que les dix autres opérateurs nucléaires du Japon, traînent depuis des années des mauvaises réputations. En effet, entre 1978 et 2002, 97 incidents, dont 19 jugés critiques, avaient été recensés par la Nisa, l’autorité nationale de sûreté nucléaire.

Un scandale avait déjà éclaté dans les années 1990, lorsque qu’il fut découvert par l’AIEA que de nombreux rapports sur les taux de radiation avaient été falsifiés et que de nombreuses fissures apparaissaient dans les canalisations du circuit de refroidissement de plusieurs centrales, dont le réacteur n°1 de Fukushima Daishi, conduisant à l’irradiation de nombreux techniciens.

Depuis 1983, les experts de l’AIEA parcourent le Japon afin d’évaluer les centrales japonaises, lors de missions baptisées Osart (Operational Safety Review Team). L’AIEA s’est toujours plainte du manque de collaboration de la part des autorités japonaises et du climat hostile dans lequel ces inspections ont pu se dérouler.

A de nombreuses reprises, les autorités nucléaires japonaises ont ignoré des mises en garde des experts de l’agence internationale. Le site Wikileaks a dévoilé cette semaine un câble diplomatique américain montrant qu’en 2008, l’AIEA avait averti le Japon que les normes antisismiques de ses centrales nucléaires étaient totalement périmées et que les réacteurs n’étaient conçus que pour résister à des séismes d’une magnitude de 7 sur l’échelle de Richter, ce qui est bien évidemment insuffisant au vu de la situation du Japon au confluent de plusieurs plaques tectoniques. Tepco n’avait pas pris la peine de revoir les normes antisismiques de ses centrales.

En 2007, l’AIEA avait sévèrement critiqué les manquements à la sûreté sur le site de Kashiwazaki-Kariwa. Le 16 juillet 2007, un séisme d’une magnitude de 6,8 avait frappé cette centrale, provoquant un début d’incendie et des rejets radioactifs en mer du Japon.

Enfin, toujours selon l’AIEA dont le directeur est un japonais, Yukiya Amano, le bassin de stockage de combustible usagé du réacteur n°4, en proie aux flammes depuis 5 jours, était proche de sa capacité maximale lorsque le drame s’est déroulé. Or, lorsque vous avez un bassin de stockage rempli à ras bord de combustible usagé, le risque d’incendie croît en conséquence si l’eau venait à s’évaporer du bassin. Pourquoi remplir le bassin à ras bord ? Tout simplement afin de rentabiliser chaque centimètre carré d’espace disponible dans les centrales.

Il ne s’agit bien sûr pas de blâmer le Japon et son secteur nucléaire pour un drame s’étant déroulé principalement à cause d’évènements naturels. Cependant, dans un souci de transparence, il apparaît nécessaire de montrer que la filière nucléaire japonaise était loin d’être la plus sûre du monde. Dans ce domaine, toutes les firmes, toutes les centrales et tous les types de réacteurs ne se valent pas et la meilleure façon d’éviter les amalgames et une certaine psychose est probablement de faire preuve de la transparence la plus totale.


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