un Lyon-Turin autrement
par olivier cabanel
vendredi 28 juin 2013
Les promoteurs du projet Lyon Turin l’ont toujours présenté comme une alternative respectant l’environnement, puisqu’elle permettrait, d’après eux, de faire passer les marchandises de la route vers le rail….mais qu’en est-il réellement ?
En réalité, le projet est double, puisqu’il concerne un projet LGV, et un projet fret, les deux ayant par endroit des tracés différents, ce qui aurait naturellement des conséquences désastreuses pour l’environnement.
En effet, un projet fret ne peut franchir actuellement des pentes de plus de 1%, alors qu’une ligne LGV permet d'aller jusqu'à 3%.
Mais le projet est-il justifié.
Pour ce faire, les promoteurs ont évoqué une augmentation quasi exponentielle du trafic…40, voire 80 millions de tonnes de marchandises par an…c’était il y a plus de 20 ans.
Or aujourd’hui, force est de constater, chiffres à l’appui qu’il est quasi constant : en 1983, d’après le GIR transalpin, il passait 7 millions de tonnes de marchandises sur le rail, à Modane, et 10 ans après, il en passait la même quantité.
La stagnation du trafic se prolonge aujourd’hui comme on peut le constater sur ce lien.
Aujourd’hui, la voie ferrée n’est utilisée qu’au 17% de ses capacités, et la moyenne du fret ferroviaire qui passe sous les Alpes est en moyenne de 8 millions de tonnes/an, depuis 20 ans.
Quant aux voyageurs, pour que la ligne puisse espérer une petite rentabilité, il faudrait au moins 20 000 voyageurs/jour…or il n’y en a que 2 à 3000 en moyenne, et même si la création d’une ligne nouvelle est susceptible de booster le trafic, les 20 000 voyageurs ne seront jamais atteints. lien
Quant au prix réel du chantier, si les promoteurs ont tout fait pour le minimiser, évoquant du bout des lèvres, 12 milliards d’euros pour la partie française, la Cour des Comptes a finalement déclaré qu’il avait été largement sous évalué, et qu’il fallait plutôt évoquer au moins 26 milliards d’euros. lien
L’un des arguments utilisé par les promoteurs du projet consiste à affirmer qu’il serait créateur de 30 000 emplois…sauf que des économistes prudents ne tablent que sur 10 fois moins, rappelant que les 2/3 de ces emplois viendraient de pays à bas salaire de l’union européenne. lien
D’ailleurs si l’on compare ce chantier avec un chantier équivalent déjà réalisé, le tunnel du St Gothard en l’occurrence, on découvre qu’il n’a nécessité que 1800 ouvriers. lien
Sur le chapitre de l’environnement, les effets dévastateurs du projet ont été largement décrits par l’Autorité Environnementale, dépendant du Ministère de l’environnement, dans un rapport de 30 pages, publié le 7 décembre 2011. lien
Entre les impacts sur l’eau, sur la biodiversité, avec des cas d’espèces rares menacées, sur le paysage dévasté, sur le bruit, les conséquences d’un tel projet sont considérables.
Pour avoir mesuré, grâce à une mission officielle diligentée par la préfecture de région, le niveau de bruit à la limite de l’emprise, lors du passage de TGV dans la région d’Angers, nous avons constaté des pics allant jusqu’à 130 dB, alors que la SNCF espère ne pas dépasser les 60 dB règlementaires, et toutes les mesures de protection phonique, dans nos vallées alpines parfois encaissées, ne seront d’aucune efficacité.
Sur le chapitre de l’eau, le creusement des galeries de reconnaissance au Bourget, près de Modane, sont la preuve de la réalité du risque de disparition des sources, mais pas seulement.
Les énormes engins qui ont été utilisés pour creuser ont causé des dommages sérieux aux habitations qui se trouvaient à proximité.
De plus, les entrepreneurs BTP ont récupéré sans trop de précaution les matériaux extraits du tunnel, et les ont utilisés pour fabriquer du béton, béton qualifié de « pourri », qui a nécessité la reconstruction de 170 appartements à Valmeinier, lesquels avaient été réalisés avec ce béton inadapté. lien
Il ne faudrait pas pour autant oublier la perte dramatique de riches terres agricoles, et les millions de mètre cube de déblais qu’il faudra bien mettre quelque part, rendant infertile d’autres larges zones agricoles.
On ne peut non plus passer sous silence le conflit probable d’intérêt qui entache la décision des commissaires enquêteurs, lesquels ont validé le projet fin 2012.
En effet, l’un des commissaires enquêteurs du nom de Truchet, n’est autre que le frère d’un patron, à la tête d’une entreprise de travaux publics.
Or dans le rapport final des commissaires enquêteurs, on peut lire à la page 124 la proposition de la commission concernant un terrain pour y déposer des déblais, terrain que venait d’acheter pour une somme modeste le frère d’un des commissaires enquêteurs. lien
Extrait du rapport : « la commission invite RFF (…) d’étudier le mémoire de l’entreprise Truchet TP, qui propose de mettre à la disposition du projet un terrain de 9 hectares (…) pour y stocker de manière définitive 950 000 m3 de déblais ».
Pourtant ne rien faire ne serait pas l’idéal.
La voie historique, que ce soit celle qui rejoint Ambérieu à Modane, ou celle qui lie Lyon à Chambéry, via la Maurienne, mériterait une large transformation, afin de réaliser un Lyon Turin autrement.
Pour toutes ces raisons, nous nous sommes penchés sur le « Grenelle de l’Environnement », qui par décret du 3 aout 2009 déclarait qu’un projet alternatif rendant, à prix inférieur, les même services que le projet initial devait remplacer celui-ci. lien
Or, ce projet alternatif, les opposants l’ont conceptualisé.
Il est double : d’une part, en s’inspirant du modèle autrichien, réalisé à l’entrée du Brenner, il est possible de transformer la ligne historique en l’aménageant par des techniques originales, lesquelles permettent de supprimer la quasi-totalité des nuisances, et pour un prix largement inférieur à celui du projet proposé. lien
D’autre part, en utilisant pour le fret la technique R-shift-R, mise au point par un ingénieur Grenoblois, Alain Margery, il devient possible de prendre des parts de marché au trafic fret de la route, parce que ce procédé, qui vient d’obtenir le prix du meilleur projet d’avenir européen en matière de transport, sera plus fiable et moins cher que la route.
Grace à la robotique, et à la motorisation des wagons, il devient en effet possible de charger et décharger le fret en moins de 6 minutes, et de franchir des pentes supérieures à 3%.
Ce projet alternatif est d’autant plus judicieux que le tunnel ferroviaire de Fréjus vient d’être élargi, permettant le passage de wagons transportant du fret. lien
De plus ce projet alternatif sera réellement créateur d’emplois locaux, puisqu’il serait réalisé par étapes, et permettrait de faire travailler des entreprises locales.
Le rapport Duron vient d’être remis au gouvernement Hollande, et il est permis d’espérer que, par ces temps de crise, le gaspillage pharaonique que provoquerait ce projet non fondé, sera évité.
S’il faut en croire Libération, la dernière version de ce rapport conseille de parer au plus urgent, c'est à dire par la rénovation des infrastructures existantes, au détriment des projets LGV, qui seraient reportés au-delà de 2040. lien
Jean Marc Ayrault vient d’en prendre connaissance, déclarant « le précédent gouvernement a fait une erreur et a commis un mensonge (…) l’erreur, c’est qu’il s’est concentré sur les infrastructures en oubliant la qualité des services ! Le mensonge est d’avoir laissé entendre qu’on pourrait faire plus de 250 milliards d’investissements dans les 20 prochaines années ! C’est irréaliste financièrement et techniquement ». lien
Il semble bien que le Lyon Turin ait donc quelques plombs dans l’aile, et les défenseurs de l’environnement ne peuvent que s’en réjouir.
Comme dit mon vieil ami africain : « ce qui est plus fort que l’éléphant, c’est la brousse ».
L’image illustrant l’article vient de « pasidupes.blogspot.fr »
Merci aux internautes de leur aide précieuse
Olivier Cabanel
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