Fin d’une époque. Le dernier Macumba a fermé
par George L. ZETER
mardi 25 février 2025
24 février 2025, vers 6 heures du matin, la sono du Macumba s’est tue à jamais sur la chanson de Jean-Pierre Mader, sortie en 1985, "Macumba". C’est encore un bout de la France qui s’éteint au nom du cocooning, du manque de moyens financiers d’une jeunesse fauchée, d’une police trop souvent postée les weekends aux heures pâles afin de faire souffler dans le ballon et d’une autre façon de faire la fête entre jeunes. De nos jours, les moins de 35 ans s’invitent chez eux, se défoncent entre eux et vouloir se mélanger avec des inconnus n’a plus la cote ; d’autant que les réseaux sociaux, les si mal nommés, permettent des rapprochements que les slows d’antan facilitaient… La fête est bel et bien terminée. 70% des boites ont disparu depuis la fin des années 90.
Années 70/80, l’âge d’or. Dont votre serviteur fut l’un des participants actifs, comme DJ dans plusieurs discothèques du nord Finistère. De temps à autre, je suis en contact avec certains anciens « combattants » de l’époque et nous remuons les vieux souvenirs du bon vieux temps. Nous ne savions pas que nous traversions une époque bénie d’insouciance, les poches pleines, en louant de belles baraques sur la côte, dans le Léon, en roulant en voitures de sport et en fréquentant les meilleures tables du cru. Travailler du vendredi soir au dimanche soir, avec ces dimanches après-midi pour les plus jeunes, nous permettait de gagner des salaires de cadre sup, d’être populaire et d’avoir des groupies… Plouescat, nord Finistère, 3500 habitants, avait quatre discothèques qui tournaient à l’année. Le moindre patelin de campagne avait sa boite ou sa salle de concert. Entre les 150 du département et les 40 qu’il reste aujourd’hui, la désaffection est patente. Il y a un an, en aout, j’ai demandé à des jeunes filles de Plouescat ce qu’il y avait à faire le soir en pleine saison estivale ; la réponse : rien. Toute cette vie nocturne et festive est remplacée par un casino, où des gens tristes vont perdre leur pognon dans des machines à sous ; un Vegas au milieu de la baie du Kernic. Tout est fermé au plus tard à 22 ou 23 heures et pour sortir, il faut prendre une navette pour se rendre à Brignogan, situé à une vingtaine de km, avec retour à trois heures du matin ou sinon s’organiser avec un capitaine de soirée. Qu’il est loin le temps de nos sorties, qui se prolongeaient par un restaurant de nuit ouvert jusqu’à dès 10 heures de la matinée. Et il fallait être jeune pour se commander un steak tartare à 6 heures arrosé de bière… Je réalise aujourd’hui la chance que nous avons eu tous d’avoir entre 15 et 25 ans entre 1970 et 1980 et de nous être tant amusés, d’avoir pu faire la fête sans trop de contraintes, les gendarmes en ce temps-là étaient coulants, et le sida n’existait pas. Tout cela rythmé par des musiques aujourd’hui cultes… Il me reste dans la tête, le son du disco et son boum, boum syncopé, les Clash, les Sex Pistols, Police, Super Tramp, ACDC, comme un vieux jukebox aux 45 tours rayés qui continuerait d’égrener des tubes faisant raisonner les parois du temps où se côtoient les dépouilles de Bowie, Prince et Charlie Watt. I can’t get no, satisfaction !!!
De temps en temps lors de mes passages en France, je faisais un pèlerinage sur les lieux de mes « exploits ». Il y a deux ans, alors que je me garais sur le parking de ce qui fut la discothèque Le Theven à Porsguen, je remarquais des travaux à l’intérieur du bâtiment. Je m’approchais et parlais avec le nouveau propriétaire qui me permit de pénétrer sur le chantier. À ma grande surprise, trônait ce qui avait été ma cabine de DJ, toujours sur son estrade, avec les derniers jeux de lumières qui dominaient la piste de danse. Tout cet équipement allait être démoli très prochainement. Un sacré flashback, car ma dernière saison d’été était celle de 1981… Une redécouverte comme une revisitassions sortie du néant du temps de plus de 40 ans. Je demandais au proprio s’il avait connu l’ancien possesseur des lieux ? Sa réponse m’indiqua que ce bon vieux Jean Kemener, mon ex-boss, marin pécheur, réel brave mec, patron de boite à ses heures, était mort, enterré et oublié de tous depuis un bail… Ce qui prouve bien une fois de plus que nous sommes de passage. J’ai quitté ces lieux la larme à l’œil en prenant soudain conscience de manière palpable que j’étais un vieux, trimbalant ses souvenirs, impartageables avec ceux qui suivent à moins de les mettre sur papier, et encore…
Les Macumba sont tous morts. Sur la scène, le directeur a pris le micro « Ça y est, c'est fini. Il n'y a plus un bruit. Pas de regret. Fini la nuit et ses secrets. »[i] Alors, entrons dans les ténèbres des temps pour y enfouir, qui nous fûmes…
Georges ZETER/fevrier 2025