François Bayrou et l’illusion religieuse centriste

par Sylvain Reboul
lundi 5 mars 2007

Tout le pari politique de F. Bayrou repose sur une triple croyance. Or, rien ne permet d’affirmer que ces croyances ne soient pas des illusions et que son pari politique ne repose pas sur des présuppositions tout à fait irréalistes. Je voudrais ici exposer les arguments forts ce qui me semble pouvoir les invalider.

(FB est François Bayrou, SR est Ségolène Royal, NS est Nicolas Sarkosy et JMLP est Jean-Marie Le Pen)

- La première croyance est que FB pourrait être élu seul contre les deux autres partis de gouvernement (en excluant JMLP avec qui personne ne peut faire alliance sans se compromettre définitivement en France et en Europe), sans s’allier donc sur un programme politique qui ne serait plus tout à fait le sien avec l’un ou l’autre des formations de droite ou de gauche de gouvernement ; et ainsi qu’il pourrait ne pas avoir à choisir en conséquence entre le centre droit et le centre gauche, selon la position de son adversaire au deuxième tour ; ce qui me semble totalement irréaliste. Toute alliance suppose, en effet, négociation, et donc la reformulation du programme ou projet du candidat, d’autant que nul ne voudrait plus du type d’alliance qui s’est faite autour de J. Chirac en 2002 et qui n’était "légitime ", aux yeux par exemple du PS et du PC que pour s’opposer à JMLP. Il est clair que FB est un républicain, ce que n’était le chef du FN pour tous les électeurs de gauche qui avaient voté pour l’actuel président de la République.

- La seconde croyance est qu’il (FB) pourrait, après son (éventuelle ) élection au deuxième tour et dans sa foulée, constituer en vue des élections législatives, ou tout de suite après, un grand parti démocratique du centre. Or, cette croyance repose à son tour sur l’hypothèse que son élection entraînerait nécessairement les ralliements de droite et de gauche qui lui permettraient de former le grand parti apolitique de techniciens compétents à son service (ni à droite, ni à gauche). Mais ceci supposerait l’éclatement des deux formations que sont l’UMP et le PS. Or, nulle personnalité de premier plan, dans aucun de ces partis, n’a intérêt vis-à-vis de ses électeurs à rompre avec son parti sauf à se couper de ses fondements idéologiques de légitimité et du soutien de la formation politique dont il est issu. Tout donne à penser, au contraire, que les formations (de droite ou de gauche), victimes de ces ralliements, feraient tout pour enrayer un tel processus de rupture, en menaçant ceux-ci de représailles extrêmement efficaces (au regard des élections futures ) contre les ralliés. Aucun (ex)adversaire au sein du PS de SR ne voudrait pas, par exemple, ne pas profiter de la défaite (très éventuelle) de celle-ci au premier tour, pour l’emporter sur elle au sein du parti, en vue de préparer à son avantage son éviction pour les futures élections cinq ans après. Et il en est de même au sein de l’UMP. Nul n’a donc d’intérêt de se soumettre au leadership de FB au risque de ne pouvoir prétendre se présenter aux élections majeures suivantes comme son successeur à la plus haute fonction. Seuls donc des ralliements de seconds ou troisièmes couteaux aux ordre exclusifs de FB seraient envisageables, lesquels ne permettraient pas de résister longtemps aux tirs de barrage permanents qu’ils subiraient de la part de leur ancienne formation (et les ralliements dans le sens de l’UMP et venant de l’UDF - et non le contraire - sont là pour nous le montrer dès aujourd’hui).

- La troisième croyance, plus profondément, est qu’il serait possible dans notre pays de renoncer au débat démocratique entre la droite et la gauche et que l’on pourrait se dispenser de renouveler la gauche en un sens plus libéral pour fonder une alternance démocratique crédible (et quoiqu’en pensent certains, c’est bien le sens des efforts de SR) dont toute démocratie a besoin. Le rêve d’un gouvernement de techniciens neutres soumis à l’homme providentiel qu’est FB est un rêve dangereux pour la démocratie elle-même. Notre pays, comme tous les pays démocratiques, connaît de profondes divisions sociales qui obligent à faire des choix courageux entre les intérêts des uns et des autres et/ou à trouver des compromis qui ne peuvent convenir tout à fait, ni aux uns, ni aux autres. et donc qui doivent trouver des majorités alternatives difficiles pour pouvoir être effectués ou sanctionnés par les électeurs dont on ne pourrait, par la grâce d’un président tout puissant, faire disparaître comme par enchantement (et il y a de l’enchantement dans le démarche de FB) . Rien n’indique qu’une politique centriste ne soit pas autre chose qu’une politique immobiliste ou un mirage unanimiste absurde en démocratie. Un tel unanimisme politique ferait probablement le lit de l’extrémisme de gauche ou de droite

Ces trois croyances sont donc, si j’ose dire, un acte de foi, de nature religieuse, dans une société réconciliée qui n’existe que dans l’esprit du chef de l’UDF et de celui de ses amis (bien instables du reste) et sous le pouvoir exorbitant dont il rêve de faire cesser le conflit gauche/droite ; elle est d’ailleurs à relier avec la volonté de FB de renforcer les pouvoirs du président de la République qui, dans son projet de VIe République, deviendrait seul responsable de la politique concrète indissociable de celled’introduire une part du suffrage proportionnel aux élections législatives. Cela, loin de réduire le pouvoir du chef de l’Etat, ferait qu’il serait seul à même d’effacer, mais d’une manière très instable, les clivages politiques à son profit exclusif.

Le rêve de FB réside donc dans sa volonté de faire de celle-ci l’expression d’une pensée unique dans une société à son image : celle de la paroisse des croyants dans une réconciliation généralisée de tous les citoyens, paroisse qui serait telle qu’elle confierait à un seul le pouvoir de dépasser, dans une même communauté de croyants, la politique et son théâtre (ou pouvoir de représentation) en tant qu’expression régulée des luttes sociales.


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