Iran : laisser venir
par Lucien-Samir Arezki Oulahbib
mercredi 27 septembre 2006
Deux raisons semblent commander un ajustement de « notre » politique en matière internationale et en particulier vis-à-vis de l’Iran, et il s’agit d’entendre par « nous », les nations démocratiques, du moins celles qui se reconnaissent telles. La première des raisons, politique, dissuaderait de déclencher une guerre préventive, suite logique à des sanctions infructueuses ; la seconde, stratégique, proposerait une solution alternative.
Que voulons-nous ? Que l’Iran n’ait pas "la" bombe ? Pourquoi ? Au nom de quoi ? D’autant qu’ "ils" disent que tel n’est pas leur objectif. Pourquoi dans ce cas ne pas "les" croire ? Au nom de la promesse de destruction qui pèse sur Israël ? Sauf que les déclarations dûment mandatées (et rectifiées...) des officiels iraniens actuels ne parlent pas d’une destruction militaire mais d’un démantèlement politique à la suite d’un référendum de la population régionale concernée, expatriés palestiniens inclus. C’est ce voeu, pieu, qui est le discours diplomatique officiel de la République islamique d’Iran. Il n’est pas sûr que cela suffise pour déclencher une guerre préventive.
Alors ? S’agirait-il de lui refuser la bombe parce que l’Iran ne serait pas doté d’un régime démocratique ? Mais qui énonce cette objection ? Personne. D’officiel, du moins. Pourquoi ? Parce qu’aucun document légalement reconnu par les instances internationales et/ou bilatérales ne pose les conditions hic et nunc de ce qu’est un régime démocratique. En quoi ce dernier serait-il par exemple meilleur qu’un autre régime, en l’occurrence, s’agissant de l’Iran, d’un régime théocratique basé sur l’islam ? Car l’on ne voit guère au nom de quoi un régime théocratique basé sur l’islam comme l’Iran pourrait être déclaré dangereux pour la paix mondiale puisque le lien entre islam et violence n’existe pas.
En effet, aucune instance officielle ne peut ou ne veut prouver l’existence d’un lien (link) entre islam et violence. Bien au contraire. Car lorsque l’une d’entre elles, le Vatican, par le biais, officieux, de son plus haut représentant, le pape Benoît XVI, a tenté d’aborder, de façon scolaire, la question, toutes les autres institutions, jusqu’à la présidence des Etats-Unis en passant par son secrétaire d’Etat, le docteur Rice, ont contesté qu’un tel lien non seulement puisse être dénoncé mais puisse être seulement énoncé... Dans ces conditions, et comme aucun document officiel ne définit ni ne délimite le qualificatif de "meilleur régime politique", hormis quelques théories académiques, rien n’existe qui qualifierait et donc différencierait, officiellement du moins, les régimes politiques.
Dans ce cas, nous ne pouvons pas mettre en doute, a priori, la signature d’un Etat ayant son Siège à l’ONU ; quand bien même serait-il théocratique ou encore basé sur l’islam, ce dernier fait s’avérant être désormais, selon la dernière jurisprudence officieuse en vigueur, nul et non avenu ou/et renvoyé au passé tumultueux des Eglises chrétiennes. Certes, quelques principes généraux codifiant une coexistence pacifique sont énumérés et inscrits dans la Charte des Nations unies ; ils permettent, en théorie, de vérifier leur effectivité au sein des Etats membres. Néanmoins, leur réalisation, juridique, est laissée à l’appréciation des Etats membres. Sauf si le contenu y est encadré par un traité, comme c’est le cas pour la non-prolifération des armes nucléaires que... l’Iran a signé, semble-t-il. D’ailleurs, l’Agence affectée à la non-prolifération des armes nucléaires n’a pas émis de claires réserves à ce sujet ; elle a préféré transférer le dossier au Conseil de sécurité.
Voilà les faits. Du moins certains d’entre eux. Et ils semblent bien être des facteurs essentiels. C’est-à-dire réels, au sens d’effectivement moteurs de ce qui est éminemment tangible. Pour le moment.
Un tel constat peut déplaire.
Aussi, avant d’aborder maintenant la seconde raison, stratégique, -qui nécessiterait un réajustement de notre politique-, posons le cas contraire. Celui de la conflagration, du choc avec l’Iran, bref, d’une attaque préventive à son encontre afin d’interdire à l’Iran d’avoir "la" bombe (ce que le pays nie par ailleurs).
Que se passerait-il au vu de l’étal actuel des forces en présence au niveau mondial, c’est-à-dire, plus strictement dit, depuis le coup de force du Hezbollah contre Israël, et le ralliement de certaines équipes dirigeantes d’Amérique du Sud, comme celle du Vénézuéla, à la stratégie iranienne de nucléarisation "pacifique" ?
Il n’est pas sûr que, en l’état actuel des choses, c’est-à-dire dans le cadre effectif des rapports de force et dans l’absence de preuves tangibles, une attaque contre les installations nucléaires de l’Iran ne déclenche pas immédiatement une riposte au Liban, même via le Hezbollah contre la Finul et Israël, ainsi qu’en Irak par le biais des factions chiites sous contrôle, et plus généralement dans le monde entier ; il suffit de se rappeler les attentats à Paris attribués à l’Iran rue de Rennes, rue des Rosiers, au drugstore des Champs-Elysées...
Par ailleurs, depuis l’attaque du Hezbollah contre Israël via le Liban, et le fait qu’il n’ait pas été défait parce qu’Israël a préféré riposter par des représailles aériennes et un démantèlement relatif de ses installations dans le Sud (ce qui n’a pas été sans mal ni surprise...), le pan-islamisme semble avoir marqué des points au détriment du pan-arabisme de toute façon défait, même s’il résiste encore en Irak et en Egypte. La Syrie est déjà sous sa coupe. Et les autres pays de la Ligue arabe hésiteront d’autant plus à se ranger du côté de la guerre préventive que le précédent du Hezbollah au Liban a fait taire les voix qui s’inquiétaient de l’extension du croissant chiite. L’unité de fait contre l’ennemi juré américano-sioniste ne peut être remise en cause pour des raisons idéologiques par aucun Etat de la Ligue arabe.
De plus, nous ne serions pas, en cas de guerre préventive, dans la situation afghane où l’attaque du 11 septembre 2001 avait scellé le sort des talibans, ni même dans la situation irakienne où, au-delà de savoir s’il fallait déclencher la guerre, l’invasion du Koweït et un embargo permanent, avalisé par l’ONU, soulignaient, constamment, le degré de défiance qui existait envers le régime baathiste dont le renversement a au moins révélé la convergence d’intérêts entre nationalistes arabes et islamistes puisque ceux-ci, toutes tendances confondues, préfèrent nettement, à l’heure actuelle, maintenir une situation de confrontation permanente avec la Coalition, afin qu’elle reste et donc, paradoxalement, qu’elle justifie leur raison de combattre, plutôt que de tenter une normalisation politique qui pourrait déboucher sur un Etat non mafieux ou non théocratique, ce qui ne satisferait ni les uns ni les autres....
Avec l’Iran, nous ne serions pas dans ce cas de figure puisqu’il n’existe pour le moment aucune sanction à son égard et aucun précédent expansionniste stricto sensu. Dans ce cas, et au vu du contexte créé par la guerre déclenchée par le Hezbollah au Liban, de la nouvelle alliance entre l’Iran et les régimes pro-cubains, de la "neutralité" chinoise et russe, justifier une guerre préventive et surtout susciter une Entente unanime ne sera guère aisée... Par contre la seconde raison, stratégique, permettrait, peut-être, de se sortir l’épine du pied en attendant que l’Iran dévoile son jeu.
En effet, s’il s’avère que l’Iran se soit réellement doté de l’arme atomique (le pays en serait à un an, selon le dernier dossier de Times magazine) et qu’il cherche immédiatement à s’en servir, une guerre préventive, cette fois, aurait sa complète justification ; quand bien même les mécanismes de soutien se déclencheraient quasi identiquement (attaque du Hezbollah au Liban, attentats...), et il y aurait, pour les Etats de la Ligue arabe, la possibilité, ténue mais réelle, de ne pas hésiter à se ranger du bon côté, et, en même temps, de poser à leur propre population la question même du bon régime politique : doivent-elles se ranger du côté d’une conception djihadiste de l’histoire, ou faire leurs les avancées démocratiques issues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la chute du Mur de Berlin stipulant que le régime politique qui les consacre, au-delà des formes qu’il prend selon l’histoire singulière des nations, est en fin de compte meilleur que tout autre régime, tout en étant infiniment perfectible.
En adoptant cette seconde raison, stratégique, nous ferions alors d’une pierre deux coups : nous prendrions l’Iran la main dans le sac et nous pousserions les Etats dits musulmans, ceux de la Ligue arabe en particulier, sans oublier les Etats pro-castristes, à préciser leur position quant à leur propre avenir : soit accomplir les réformes indispensables permettant de créer les conditions d’une prospérité réelle, soit continuer à laisser croire que leur non-développement effectif vient essentiellement de l’existence d’Israël, et/ou des USA ; ce qui serait aller dans le sens de la conception djihadiste/léniniste et non pas transcivilisationnelle de l’histoire ; au détriment de leurs peuples respectifs.