La baleine de Londres, ou l’information différentielle

par Khalifa Chater
lundi 23 janvier 2006

A partir de deux faits : le scoop de la baleine de Londres et la couverture quasi banalisée du discours du Président Chirac, réactualisant la dissuasion nucléaire française et la prolifération qu’elle légitime, l’auteur définit l’information différentielle de certains médias.

« Dis-moi ce que tu communiques, je dirai qui tu es ». Cet adage permet peut-être de connaître un certain état du monde, en relation avec les médias qui l’appréhendent et le communiquent à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs et j’ajouterai leurs télélecteurs, en prenant en compte les usagers des magazines d’information on line. Je vais parler de leur représentation de la réalité, et de la concordance subjective, avec les faits, de la connaissance qu’ils diffusent. Je prendrai deux exemples, deux cas de ce traitement différentiel de l’information.

Premier exemple. Vendredi 20 janvier, grand émoi, dans les médias anglais, aussitôt relayés par les grandes chaînes de télévisions, les radios et les agences de presse du monde, « une baleine en plein cœur de Londres ». Perdant sa route, la baleine, plutôt habituée aux eaux de l’Atlantique Nord, a remonté la Tamise. Le monde retint son souffle. On se braqua sur l’événement. L’opération de sauvetage de l’animal blessé - acte généreux et légitime - fut présentée en direct par les télévisions, redimensionnant toute l’actualité internationale. Le feuilleton de la baleine a tenu vingt-quatre heures les médias en haleine. Mais la baleine mourut de convulsions dans la soirée. L’acte désintéressé de sauvetage fut perturbé, dévié par une recherche du spectacle, une dérive médiatique !

Deuxième exemple. Jeudi 19 janvier, le Président français Jacques Chirac a prononcé un discours sur la dissuasion nucléaire, à l’île Longue (Finistère), où siège l’état-major de la Force océanique stratégique (FOST). Il élargit la définition des "intérêts vitaux" de la France, à "la garantie de ses approvisionnements stratégiques" et à "la défense de pays alliés". Ni l’examen de la menace de la prolifération, qu’il a abordé, ni la réactualisation du concept de la dissuasion nucléaire, qu’il a énoncé, n’ont provoqué de scoop dans les médias. Evoqués comme simples faits d’actualité, quasi banalisés, ils n’ont pas bénéficié d’un traitement de faveur, dans la lecture géopolitique des événements, de l’ère post-Guerre froide. Est-ce à dire qu’ils ne croisent pas les préoccupations des citoyens du monde, à l’instar de graves tragédies évoquées de façon conjoncturelle ?

Tant mieux, d’ailleurs, si les médias se sont intéressés, dans le cas du feuilleton de la baleine de Londres, à l’écologie, au sort des genres menacés, à une saine solidarité humaine pour une bonne cause. D’habitude, ils sont plus concernés par « les people », les pseudo-personnalités dans le vent, les multiples mariages des héros du boulevard, les feuilletons des alliances et mésalliances, les rapprochements et éloignements fortuits ou arrangés -ce qui permet d’ailleurs d’occulter l’événement, de prendre sa distance par rapport aux faits majeurs, pour ne pas déranger certains acteurs sur le terrain.

Faits d’évidence, les vérités communiquées sont déduites logiquement « à partir des prémisses posées arbitrairement par les axiomes[1] », définis dans ce langage du "politiquement correct", et les médias se croient obligés d’être au diapason aux « humeurs du temps », dans un respect scrupuleux du système de l’information de l’aire-monde où ils évoluent et qui formule leurs valeurs, leurs idealtypus et leurs obsessions. Soyons indulgents, compréhensifs, mais lucides.

[1] - J’emprunte cette donnée à Nicolas Bourbaki et à sa représentation de l’Architecture des mathématiques (1948).


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