La problématique générationnelle : le coeur de la présidentielle
par Christophe Dorigné-Thomson
lundi 26 mars 2007
A l’occasion du colloque organisé par le mouvement Décision Jeunesse à l’Assemblée nationale en partenariat avec Agoravox (http://collectifdj.over-blog.com) le 28 mars 2007, ce texte vise à montrer combien la question générationnelle est essentielle aujourd’hui en France, sans doute beaucoup plus que dans les autres pays dits développés. Statistiques indéniables, événements passés (CPE, émeutes de banlieue, etc.), crise profonde de la jeunesse française - première victime du chômage, de la précarité, de la crise du logement, du suicide, de la route, etc. -, tous ces éléments confirment une crise des nouvelles générations en France. Or, tous les thèmes abordés jusqu’à présent dans l’élection (écologie, dettes, retraites, éducation, etc.) se rattachent à la question du présent et de l’avenir des Français des nouvelles générations. A quand un soulèvement démocratique pour dire que ce n’est plus possible ?
Dans La France injuste (Éditions Autrement, 2006), l’intellectuel canadien Timothy B. Smith montre que ceux qui supportent la crise en France sont d’abord les femmes, les jeunes et les Français issus de l’immigration. Pour Timothy Smith, "l’Etat providence devient une taxe imposée par une génération plus nombreuse, plus virulente et plus organisée à une génération moins militante, moins nombreuse et plus pauvre".
Avec le sociologue français Louis Chauvel, on parlera de "fossé intergénérationnel". Nos parents nous ont délaissés. Plus nombreux que nous, ils nous ont non seulement imposé leurs rêves et leurs images (voir le mépris pour les cultures "jeunes" comme le rap ou la techno en musique alors que leurs variétés et leur rock inondent les écrans du samedi soir) dans les médias ou à l’école, mais en plus ils nous ruinent jour après jour, prenant tranquillement la retraite que nous allons leur payer et que nous n’aurons pas nous-mêmes. Car avec quarante ans de cotisations nécessaires et avec un premier CDI à l’âge de trente-trois ans en moyenne, on ne voit pas très bien l’équation se résoudre. Alors on nous dit que l’on vivra plus longtemps, certes, mais un tel décalage dans l’effort fourni entre générations ne peut se légitimer ainsi.
Alors d’aucuns nous affirment que la solidarité intergénérationnelle existe et que les parents aident leurs enfants. Mais qui aide ses enfants ? Les familles qui en ont les moyens, naturellement. Et souhaite-t-on être aidé pour survivre ou vivre dignement de son travail en toute responsabilité ? La solidarité interfamiliale aussi louable soit-elle n’en reste pas moins de la charité de vieux gagnants du système de protection sociale qu’ils se sont appropriés envers de jeunes perdants sur toute la ligne.
Les nouvelles générations souffrent aussi pour la première fois, depuis la guerre au moins, d’une mobilité descendante. Nous vivons déjà moins bien que nos parents. En 1970, les 25-35 ans gagnaient 25% de moins en moyenne que les 50-55 ans. L’écart dépasse aujourd’hui les 50%.
Le hold-up est complet. Ils touchent les régimes sociaux, les dépenses de l’Etat, le logement, l’emploi, la culture,... bref tous les aspects de la société. Le paradoxe est que le jeunisme règne soi-disant dans notre société. C’est sans doute vrai. Mais là encore, ce sont nos parents qui en réalité ne veulent pas partir et donc s’inventent une nouvelle jeunesse en permanence. On essaye aussi de nous faire croire que les seniors souffriraient autant, qu’à 55 ans ils seraient forcés de quitter la scène du marché du travail faute d’emploi à cause de leur âge. C’est triste et contre-productif. Mais au moins partent-ils avec une préretraite. Un jeune n’a bien souvent droit à rien du tout s’il est au chômage.
Alors que faire ? Plusieurs combats doivent être menés de front.
Les nouvelles générations doivent d’abord considérer que leur bataille est parallèle à celle des femmes et des minorités visibles. En effet, les sociétés les plus jeunes sont souvent les plus féminisées et les plus ouvertes à la diversité (voir les pays anglo-saxons ou scandinaves par exemple). L’accession des femmes et des Français de la diversité aux postes de décision ira de pair avec un rajeunissement ou plutôt une place plus grande prise par les nouvelles générations.
La constitution d’un pouvoir "jeune" est essentielle aussi, à l’image des retraités qui se fédèrent de plus en plus. L’exemple du CPE est frappant. Ce contrat était discriminatoire car un contrat spécifique pour les moins de 26 ans n’est pas acceptable, surtout s’il offre des avantages en moins par rapport au reste de la population. Mais qu’est-ce qui a été obtenu au final ? Le statu quo et un chômage massif persistant pour les jeunes de notre pays. Les différentes jeunesses qui partagent les mêmes frustrations en réalité, celles de ne pouvoir faire dans leur propre pays, doivent s’allier pour faire justement et prendre leur place, celle qu’on leur refuse pour le moment.
Une solidarité générationnelle à défaut d’une solidarité intergénérationnelle, doit donc se mettre en place. Le jeune actif sorti des grandes écoles qui s’exile à New York par défaut car il pense qu’il ne pourra pas avoir des responsabilités rapidement en France, le jeune Français de la diversité qui n’obtient aucun entretien d’embauche du fait de la consonance de son nom ou l’étudiant d’université qui galère au quotidien, parqué dans une filière sans débouchés aucun, doivent se sentir proches dans la conviction que cette société-là n’est pas celle qu’ils veulent et donc oeuvrer ensemble en faisant l’effort de se parler et d’agir ensemble.
Enfin, contribuer à ouvrir davantage la France sur le monde qui offre aujourd’hui de formidables perspectives. La France aurait peur de la mondialisation ? Mais qu’est-ce que cela signifie ? Serait-on une nation de peureux et de cœurs pusillanimes ? La France doit conquérir les marchés, envoyer ses citoyens prospecter et vendre nos produits et services partout dans le monde. Nous devons redevenir des pionniers comme nous l’avons souvent été dans l’Histoire.
Au total, remédier à la crise générationnelle c’est prendre son destin en main et refuser la fatalité, c’est entrer dans le débat public de façon spontanée comme nous savons le faire mais aussi de façon stratégique, car nos aînés nous disent qu’ils nous aiment tout en profitant de leur rente sociale. Il me semble, comme disait le jeune poète et génie Arthur Rimbaud dans Une saison en enfer, que "l’amour est à réinventer".