Naît-on racaille dans le meilleur des mondes ?
par Dr No
jeudi 12 avril 2007
La question n’était plus vraiment d’actualité et pourtant elle sera soulevée en 2007 par l’un des candidats à la présidentielle. Passionnante sur le plan philosophique, elle a l’avantage de permettre de bien sonder les recoins de la conscience des intervenants qui tentent maladroitement d’y répondre.
En
novembre 2003, Sarkozy faisait un tabac lors de l’émission "100 minutes
pour convaincre" face à un parterre de contradicteurs, journalistes et
hommes politiques. Le dialogue avec Jean-Marie Le Pen à propos de
l’abolition de la double peine fut le point culminant de ce show.
Nicolas Sarkozy a défendu sa mesure avec brio devant un Le Pen
désarçonné. Au terme de ces 100 minutes pour convaincre, Nicolas
Sarkozy avait quasiment réussi son challenge. Il fallait convaincre. Et il fut convaincant !
Il fallait convaincre une majorité de Français qu’il serait en 2007, le (seul ?) rempart face à l’extrémisme ou le racisme, et il réussit. Il aurait très certainement pu en rester là et on n’aurait très certainement eu aucune objection pour voter pour lui "le président ferme mais juste".
Sauf qu’après ces « 100 minutes pour convaincre », Nicolas Sarkozy n’aura de cesse de déconstruire ou détricoter cette image en voulant à tout prix plaire d’avantage à son aile droite et à celle des autres. Et il y arriva si bien que son propre camp et ses électeurs traditionnels s’en inquiétèrent.
Si en septembre 2006 ses "amis" politiques lui ont reproché son atlantisme et ses critiques véhémentes vis-à-vis de la position de la diplomatie française lors de l’invasion de l’Irak, c’est uniquement parce que les Français ont largement approuvé le positionnement de Jacques Chirac face à Georges Bush. Le suivisme de Nicolas Sarkozy a certes agacé voire dérangé au-delà même de la famille gaulliste mais rien de rédhibitoire. Même celui qui l’a qualifié de "néoconservateur américain avec un passeport français", Eric Besson pour ne pas le nommer, a fini par lui trouver des qualités !
Mais ce n’est pas son positionnement politique qui inquiète le plus ses détracteurs, mais plutôt ses convictions idéologiques.
En effet le projet de loi sur la prévention de la délinquance déposé à l’Assemblée il y a près de deux ans avait donné toute la mesure de son idéologie et la gravité de son application sur le terrain sécuritaire. En septembre 2005, une de ses mesures sur la prévention de la délinquance avait récolté 30 000 signatures de personnes craignant que les dépistages des « troubles de conduite » chez les petits enfants âgés de trois ans soient utilisés « à des fins de sécurité et d’ordre public ».
Le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » s’était mobilisé, non pas contre le dépistage chez l’enfant des troubles du comportement lui même, ce qui est le bienvenu, mais plutôt pour l’usage qui pourrait en être fait lors de recensements ou son utilisation à titre « prédictif ».
La crainte que la médicalisation ou la psychiatrisation du malaise ou du mal-être social aboutisse à une dérive dans les pratiques de soins pour contrôler la société est à l’origine de cette mobilisation. Surtout que la volonté de normaliser la société sous couvert de prévention à coup de thérapies cognitivo-comportementales et de psychotropes n’est dans ce cas pas très loin et toujours à craindre. Pourtant les spécialistes sont catégoriques sur ce point. Le Pr Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Necker à Paris confirme ce que l’on sait déjà : « Personne au monde ne peut prédire qu’un enfant de trois ans qui présente des troubles de conduite sera un délinquant douze ans plus tard ».
Contrairement à d’autres professions, les professionnels de santé sont en général peu bruyants en cas de manifestation. Cependant les déboires de Nicolas Sarkozy avec les professionnels de la petite enfance lors de son projet de loi de prévention de la délinquance ont été assez médiatisés pour arriver à toucher la presse généraliste et le grand public qui s’en était inquiété.
Dans le même registre, un autre volet de cette même loi a aussi suscité une violente réaction et un rejet catégorique de la part des médecins psychiatres. Le volet « santé mentale » a inquiété les médecins mais également les juristes et citoyens qui en ont pris connaissance. Quatre syndicats de médecins psychiatres ont appelés les 3.500 psychiatres hospitaliers à faire grève pour obtenir le retrait des articles 18 à 24 de son projet de loi.
Le texte prévoyait le renforcement du rôle des maires dans les procédures d’hospitalisation d’office, c’est-à-dire contre la volonté du patient, et la création d’un fichier national de patients hospitalisés en psychiatrie par cette procédure dite d’office.
Si on comprend que le législateur veuille dans un but préventif « ficher » des personnes « psychiatriques » coupables de crimes ou délits, la généralisation de cette mesure ou son extension a des personnes qui n’ont jamais commis aucun crime et son détournement dans un but sécuritaire ont de quoi inquiéter.
Norbert Skurnik, président du Syndicat des psychiatres de secteur, entouré d’une cinquantaine de praticiens aux abords du Palais Bourbon, a expliqué pourquoi il était contre ce projet de loi : "Cela fait deux siècles qu’on se bat pour déstigmatiser la maladie mentale, et nous ne pouvons pas accepter ce retour en arrière qui crée un amalgame entre les malades et les délinquants".
Nicolas Sarkozy a fini par retirer en février 2007 de son projet de loi de prévention de la délinquance ce volet « santé mentale » controversé.
Cependant cette recherche systématique d’une caution scientifique pour asseoir des textes de loi chez un homme politique a de quoi inquiéter. Elle est profondément choquante voire très angoissante.
Ce sera Michel Onfray qui poussera Nicolas Sarkozy dans ses retranchements en matière idéologique en démasquant le fond de sa pensée.
Nicolas Sarkozy déclarait dans un entretien pour le Philosophie magazine : « J’inclinerais à penser qu’on naît pédophile » ; « Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année ... parce que génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable .... Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense. »
Si le débat philosophique entre philosophes est le bienvenu, qu’un candidat à la présidence de la république soutienne de telles thèses peut être potentiellement dangereux surtout s’il est élu.
Sur cette question, Mgr André Vingt-Trois a été très clair. Il s’est dit très mécontents du candidat qui a pourtant la majorité des suffrages des catholiques pratiquants [1]. L’archevêque de Paris s’est dit l’artisan d’une « culture de la vie ». Le journal La Croix a dénoncé « tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’eugénisme, le tri des embryons et, désormais, la "chasse génétique" ». Interrogé s’il y avait un relent d’eugénisme dans cette position, l’archevêque de Paris a répondu sans ambiguité : "C’est évident".
Côté politique, si Ségolène Royal ne s’est pas aventurée, laissant aux scientifiques le soin d’en débattre, François Bayrou a été plus catégorique. Il a déclaré sur France 3 : "Je suis en désaccord absolu avec cette présentation". Il a dénoncé "des choses graves, des choses qui ne sont pas de l’ordre d’une campagne électorale, mais de l’ordre d’une certaine vision de l’homme et de la vie". "Quand Nicolas Sarkozy en vient à dire qu’un bébé peut naître en ayant en lui une condamnation à la perversité ou au suicide, qu’un enfant qui vient de naître pourrait être génétiquement promis à ce genre de perversité, mais dans quelle société vit-on ?"
On peut soutenir ou ne pas soutenir Nicolas Sarkozy mais il est des sujets qui soulèvent des questions si graves qu’elles devraient faire l’unanimité dans leur rejet par la société, indépendamment des choix politiques. En tout cas, quoi qu’il en soit, la campagne électorale prend en ce moment une tournure tout à fait inédite. Alors qu’on reprochait aux candidats l’absence de projet de société, Sarkozy lance un pavé dans la marre en donnant une idée du sien.
Les citoyens disposent désormais d’arguments qui mettent les candidats dans une position de clarifier leurs projets de société respectifs en se positionnant par rapport à cette vision de Nicolas Sarkozy qui inquiète assurément !
On ne pourra en tout cas pas dire qu’on ne savait pas. 2007 pourrait ressembler à "1984" dans "Le meilleur des mondes" !
[1] 72 % au second tour selon un sondage Ifop La Croix réalisé du 23 au 26 février auprès de 1 842 personnes.