Nicolas Sarkozy : né « hétérosexuel et migraineux »
par Frédéric Joignot
mardi 15 mai 2007
5 mai 2007 : deux enfants de 8 et 11 ans doivent être soumis à un prélèvement de leur ADN, en vue d’être génétiquement fichés (fichier Fnaeg)... après avoir volé un tamagoshi. Ainsi le prévoit la loi sur la sécurité intérieure de 2003 mise en place par M. Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur. Aux dernières nouvelles, le père s’y opposerait. En regard, une réflexion sur les conceptions de M. Sarkozy sur la génétique et la sexualité.
« Je n’ai pas fait le choix de l’hétérosexualité, je suis né
hétérosexuel. Vous faites le choix de révéler votre homosexualité, mais
je ne pense pas que vous l’ayez décidée » déclare M. Nicolas
Sarkozy sur TF1, pendant l’émission « J’ai une question à vous poser »
(5/02/07), à un invité qui critique son refus du mariage homosexuel.
Qu’entend-il exactement par ce surprenant cogito
- qui ressemble à un « coming out » ( M. Nicolas Sarkozy admet donc que
tout homme ne naît pas « hétérosexuel », qu’il faut préciser désormais)
? Le candidat précise sa conception dans Libération du 12 avril : « Oui,
je suis né hétérosexuel. Je ne me suis jamais posé la question du choix
de ma sexualité (...) Je pense que la sexualité est une identité. »
Autrement dit, pour M. Nicolas Sarkozy, la sexualité humaine est
programmée.
Un homme naît ce qu’il est. Hétérosexuel ou homosexuel.
L’être humain n’a pas le choix de ses désirs, ni de ses plaisirs. Son
destin sexuel est écrit.
Pour étayer cet argument de la « part immense » de « l’inné » sur nos comportements, développé par ailleurs dans Philosophie Magazine, M. Nicolas Sarkozy rappelle dans Libération qu’il est atteint de migraines, comme son fils : « Nous sommes six millions de migraineux. C’est totalement héréditaire. » En
somme, il a hérité de l’hétérosexualité comme de la migraine.
Un Alpha ou un Omega
Résumons : un être
humain selon M. Nicolas Sarkozy serait donc hétérosexuel de naissance. Ou
homosexuel de naissance. En quelque sorte, un Alpha ou un Omega.
Comment définir cette sexualité identitaire, sans doute bien identifiable ? Quelles gestuelles, quelles activités seraient impossibles à un hétérosexuel né, ou rendues insupportables par ses gènes ?
On imagine que ce sont les rapports charnels avec des personnes du même genre sexuel : avec des homosexuels mâles. Pour eux, d’ailleurs, ce serait la même contrainte, mais à l’envers : leur identité sexuelle « pas choisie » prédéterminerait qu’ils ne désirent aucun contact intime avec des femmes, jamais.
Un hétérosexuel, un homosexuel, homme ou femme, un être humain ne saurait donc montrer aucune fantaisie sexuelle un peu, beaucoup « contre nature » ou inventive, ou surprenante ?
Un homosexuel mâle ne saurait approcher une femme hétérosexuelle, ou l’aimer ?
Un hétérosexuel ne pourrait « craquer » un soir pour un homme ?
La sexualité humaine ne pourrait échapper au puissant déterminisme du genre, affirmé comme « naturel », inné, génétique, non choisi ?
Le diable est dans le détail
« Je suis né hétérosexuel. Vous n’avez pas choisi d’être homosexuel ». Alors nous les homo sapiens ne serions pas détachés des pulsions animales, du rut cyclique des mâles dominants, des chaleurs obligatoires des femelles ? Nous n’inventons pas notre sexualité, nous la subissons. Mais jusqu’où ? Le genre, « l’hérédité » selon M. Nicolas Sarkozy ligote l’érotisme d’un homme, sa recherche de jouissance, bride ses rencontres, jusqu’où ?
Ici, le diable est dans le détail. Combien d’hommes hétérosexuels confessent avoir eu, adolescents, des conduites homosexuelles, connu des « expériences » dans des équipes fraternelles, de spartiates escouades politiques ( où tous se tutoient... ) ? Combien d’hétérosexuels ont changé de sexualité au cours de leur vie, tombant amoureux de façon imprévue, ici d’une femme, là d’un homme ? La romancière Christine Angot n’a-t-elle pas écrit un livre qui commence ainsi : « J’ai été homosexuelle pendant trois mois » ? Combien d’hommes éprouvent des désirs vifs, une attraction étrange, du trouble pour des travestis efféminés - et pourtant mâles ? Un hétérosexuel né, les yeux bandés, saurait-il tout de suite détecter de quel genre est la personne qui le caresse - en serait « instinctivement » dégoûté ? La jouissance a-t-elle un genre ? Les sensations, les parties érogènes du corps ont-elles un genre ? Un hétérosexuel, ou un homosexuel, ne saurait glisser d’un personnage à l’autre, changer pour une heure d’« identité sexuelle », bifurquer, essayer juste un peu, ou passionnément, juste pour le jeu, pour le plaisir ?
La vie est-elle si stricte ?
Sexualité héréditaire ?
Quelle trivialité de le rappeler. Ce ne sont pas du désir inné, des envies obligatoires, la sexualité des hommes, mais des troubles changeants, des surprises, des raffinements, de l’art, du vécu, des occasions. Les éprouvant, les explorant, l’humain se découvre et s’invente, chacun d’entre nous crée sa ou ses manières d’aimer, son style. Les arts de jouir - propres au génie des hommes, dans tous les pays - proposent d’innombrables combinatoires depuis l’aube des temps. La jouissance n’est pas un domaine programmable. En ce domaine de l’éros, chacun est artiste, bricole, prospecte, chacun original, chacun un individu. Pas une hérédité.
Toutes ces prises de positions de M. Nicolas Sarkozy seraient sans grand intérêt - la société civile l’a déjà dépassé de plusieurs longueurs depuis Mai 68 -, si elles n’étaient assorties de décisions politiques inquiétantes. Le fichage génétique des délinquants selon la "loi sur la sécurité intérieure". Une tentative, pour l’instant abandonnée suite à la pétition signée par 180 000 personnes "Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans " de fichage génétique des conduites asociales dès l’âge de... 36 mois.
A l’invité qui lui reprochait sur TF1 son refus de légaliser le mariage homosexuel et l’adoption homoparentale (déjà acquise en Espagne, en Belgique, au Pays-Bas, en Angleterre, au Danemark, en Suède), M. Nicolas Sarkozy a répondu : « Si on accorde le mariage homosexuel (...) on donne alors à la société une image de la famille qui n’est pas celle que je souhaite que l’on donne. » Pour le candidat, la seule véritable famille « capable de protéger et élever des enfants », la famille naturelle, c’est « un papa, une maman ».
Que se passe-t-il en cas de divorce alors - quand Cécilia s’en va ? Mystère ? Nous ne saurions, nous les humains des grandes villes, avoir plusieurs familles au cours de nos longues existences, dans nos vies surpeuplées ? Connaître plusieurs papas, mamans, frères et sœurs, plusieurs parents, et pas tous binaires sexuellement ?
M. Nicolas Sarkozy assène ses quatre vérités sexuelles et génétiques, comme si les familles recomposées n’existaient pas. Comme si 200 000 à 300 000 enfants ne vivaient pas déjà avec des couples homosexuels en France, confrontés à des situations juridiques absurdes.
C’est à en attraper la migraine.