Prime de rentrée pour les déportés

par Rage
mardi 29 août 2006

Attention, le titre est volontairement cynique, pour traiter d’un sujet qui l’est tout autant. En effet, la SNCF devrait recevoir d’ici peu deux cents lettres pour son rôle dans la déportation, avec à la clé le jugement rendu par le Tribunal administratif de Toulouse octroyant 21 000 euros aux familles des déportés.

Belle rentrée que cette rentrée 2006. J’aurais pu vous parler du cartable, toujours trop lourd, de l’allocation rentrée, toujours inadaptée, du retour d’Alain Juppé, toujours aussi menteur, ou même encore de cette prime électoraliste au CPE de 200 euros à un public qui ne demande pas cela et qui finalement n’y voit qu’une aubaine.

Mais dans ce monde de cynisme et de faux semblants, j’ai trouvé plus approprié au mal français, à ce mal qui nous mine parce que l’on ne sait définitivement pas tourner la page.

La SNCF va devoir se justifier sur son rôle dans la déportation des juifs vers l’Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. L’entreprise publique devrait recevoir, d’ici au vendredi 1er septembre, environ deux cents lettres provenant du Canada, de Belgique, d’Israël et de France. Ces courriers lui sont adressés pour lui réclamer réparation du préjudice subi par les auteurs eux-mêmes ou par des parents proches durant cette période, il y a maintenant plus de soixante ans.

Il ne s’agit en rien de nier la douleur liée à cette période, et encore moins d’antisémitisme que je vois poindre (je tiens à rappeller que l’essentiel des déportés n’étaient pas juifs). Il s’agit de présenter avec tout autant de cynisme cette réalité que je trouve encore plus sordide.

Et si je ne puis m’exprimer librement sur AgoraVox à ce sujet, alors il n’est point de média citoyen, car même si ce que je dis ne plaira pas à tout le monde, il me semble qu’on a le droit de penser que cette "requête" constitue une énième charge contre un Etat qui était à cette époque à terre, et même sous terre, puisque collaborateur.

La SNCF avait-elle le choix ? Que pouvaient faire les conducteurs de trains ? Dire non, au risque d’être eux aussi emmenés ? Qu’ont demandé ceux qui sont restés en France et ont tout perdu ? Qu’ont demandé des grands-parents après des bombardements et des outrages ? Qu’ont demandé ceux qui ont été blessés ou tués en 1914-1918 ?

C’était la guerre, et dans une guerre, il n’y a aucune beauté à chercher. Le pire étant que ceux-là mêmes qui réclament des dommages et intérêts sont souvent les premiers partisans d’une guerre sans faille contre le Liban, l’Irak ou l’Iran...

Le pretium doloris doit-il nous rendre inhumains au point d’aller chercher, si ce n’est à la fin d’une vie, pour la vie d’un père, d’une tante ou d’une grand-mère, une compensation de 21 000 euros de la part de l’Etat ? Bravo, les Verts d’Alain Lipietz... (et vive le train - humour noir)

L’Etat est une part de nous-mêmes, nous sommes tous l’Etat. Les responsables de 1945 sont tous déjà morts ou bien au chaud dans leur villas en Argentine. Condamner l’Etat après tant de temps, et surtout après sa reconnaissance des erreurs, ses efforts de mémoire, c’est condamner le temps présent à toujours se référer au passé.

Alors oui, je le dis, cette "prime" (dont personne pourra me justifier le prix avancé) est une prime au cynisme. C’est encore et toujours fusiller l’Etat (la SNCF est publique) sans s’attaquer aux personnes. C’est une nouvelle fois trouver le bouc émissaire pour s’arroger des primes en argent qui ne changeront rien.

L’Etat a reconnu ses torts sur ce fait de l’histoire, et il est loin de l’avoir fait dans tous les cas (cf. Guerre d’Algérie ou essais nucléaires). Mais en ce monde, l’argent est roi, surtout pour ceux qui ont le pouvoir de le réclamer. Peu importent les moyens, s’il y a de l’argent à la clé, il y a toujours du monde au portillon.

Russel Crowe disait, dans Gladiator, à la plèbe en folie : "N’êtes vous pas rassasiés ?"

Non, cette société n’en a décidément jamais assez, et la France ne sait définitivement pas tourner la page. Du football à Juppé, en passant par les déportés, nous vivons en 2006, mais certains veulent encore vivre à l’époque où ils ont décrété que le temps devait s’arrêter.

Saint-Exupéry disait que nous n’héritons pas de la terre de nos parents : nous l’empruntons à nos enfants.

En cherchant en permanence à tout ramener à l’argent, nous condamnons notre futur, soumis aux rancoeurs du passé.

Par conséquent, et derrière les prétextes de reconnaissance, ce type d’action me dégoûte, parce qu’elle ne redonne en rien les proches disparus, et ne fait que "matérialiser" un être dans une ligne comptable que l’on ira dépenser sans scrupule chez SFR ou Darty...

N’y a-t-il pas de limites à la décence en ce monde ? Doit-il toujours y avoir un responsable, même si celui que l’on désigne n’est pas le bon ?

Oui, honneur, j’écris ton nom.


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