Redon, Toulouse, Séoul et la gravité de la situation sociale française
par De ço qui calt ?
mercredi 8 novembre 2006
L’infanticide est un crime monstrueux, nul n’en doute. Il doit être réprimé, c’est évident. Mais malheur à la société qui, par son évolution, pousserait certains de ses membres à tomber dans de tels extrêmes. La nécessité de condamner et de sanctionner le crime ne doit pas nous faire oublier que le criminel peut, à son tour, vivre un drame humain. Un drame dont l’origine peut s’avérer sociale et politique, n’en déplaise à ceux qui nous gouvernent depuis deux ou trois décennies et qui comptent continuer à le faire après les élections de 2007.
Il y a quelque chose de très troublant dans cette série de "faits divers" survenus d’ailleurs, à peu de chose près, à la même époque que les violences urbaines, l’affaire d’Outreau et d’autres signes de dérèglements de la société française.
Samedi, on apprenait que, d’après la procureure adjointe de Rennes, une jeune maman de dix-neuf ans vivant seule avec son enfant aurait "reconnu qu’elle avait tué son fils le lundi après-midi en l’étouffant et en l’étranglant, puis avait dissimulé son corps dans un drap et dans un sac avant de l’emmener jusqu’à l’étang en scooter". Elle aurait expliqué cet infanticide "par le fait qu’elle ne supportait plus sa situation de mère célibataire et que l’enfant était devenu une charge trop lourde pour elle". Employée "normale" dans un restaurant de Redon, elle aurait récemment déclaré qu’elle allait être obligée de quitter son travail pour s’occuper de son enfant après le départ de sa nourrice. D’après une dépêche Reuters, reprenant une information diffusée d’abord par Le Parisien, "l’enfant était tombé malade et la jeune femme avait alors fait appel à un voisin, l’air désemparé".
Jeudi dernier, une toulousaine de trente-neuf ans avait été mise en examen et incarcérée pour homicide volontaire, "accusée d’avoir étouffé son nouveau-né avant de le placer dans son congélateur". La dépêche AFP nous apprend que "cette femme en proie à des difficultés sociales travaillait épisodiquement comme vendeuse et avait vu ses quatre enfants placés sous assistance éducative, et que, d’après le procureur de République, elle "est rapidement passée aux aveux, expliquant simplement qu’elle ne pouvait pas garder cet enfant".
La même dépêche rappelle la mise en examen à Tours, trois semaines plus tôt, pour triple infanticide, d’une mère qui a "reconnu avoir étranglé deux bébés nés clandestinement en 2002 et 2003 à Séoul" et "avoué avoir accouché en 1999 d’un nouveau-né qu’elle avait étranglé puis brûlé dans la cheminée d’une maison familiale en Charente-Maritime". Le couple a deux autres enfants.
Ces derniers temps, la propagande institutionnelle vantait une montée du taux de natalité en France, et Gilles de Robien avait déclaré en mai 2005 : "Il est probable que la France comptera, en 2050, 75 millions d’habitants" au lieu des 64 millions prévus dans des estimations précédentes. Signe de bonheur ? Pas vraiment.
Personne ne parle plus d’empêcher les délocalisations, les prix grimpent et les revenus ne suivent pas, la précarité s’est installée... et, un mois après ces déclarations de Gilles de Robien, le rejet du projet de Traité constitutionnel européen a été unanimement analysé comme le signe d’un profond malaise. Peut-on attendre des Français qu’ils fassent et élèvent normalement des enfants, alors que la détresse se généralise ? Quelle motivation peuvent avoir des parents qui savent par avance ou croient que, de manière quasi certaine, leurs enfants ne pourront être rien d’autre que de la main-d’oeuvre de plus en plus mal payée ou des soldats, au service d’une minorité de riches de plus en plus riches ? A supposer qu’ils ne deviennent pas des vagabonds et des parias. Après vingt-cinq ans de promesses d’avenir jamais tenues, doit-on s’étonner si le pessimisme s’installe avec toutes ses conséquences ?
Crescite et multiplicamini ? Ce n’est peut-être pas aussi simple. Peut-on vraiment poursuivre une stratégie tendant à ramener le niveau de vie des Français à celui de la Chine, de l’Inde, de la Russie, du Brésil... sans que quelque chose de très grave ne survienne ? Financiers et multinationales rêvent de ce magot sans précédent qu’est la masse salariale des pays dits riches. Depuis deux décennies, ils s’emploient à mettre la main par tous les moyens sur le fruit d’un siècle et demi de combats et d’acquis sociaux des populations de ces pays. Mais quel est le coût social et humain, quelles seront les conséquences de cette stratégie ? Dans son ouvrage La grande braderie du patrimoine public des Français, Jean Roux estime que, pour se conformer aux exigences de la Banque centrale européenne, du pacte de stabilité et du droit européen de la concurrence, les gouvernements successifs ont littéralement bradé le patrimoine public français, en moyenne à la moitié de sa valeur, et qu’en 2006 la dépossession porte sur plus de 500 milliards d’euros d’actifs. Est-ce vraiment sans rapport avec les troubles du comportement collectif que l’on cherche pudiquement à présenter comme des ensembles de cas isolés ?
Jérémie (ou un copiste) écrit : "C’est pourquoi voici, les jours viennent, dit l’Éternel, où ce lieu ne sera plus appelé Topheth et vallée de Ben Hinnom, mais où on l’appellera vallée du carnage. J’anéantirai dans ce lieu le conseil de Juda et de Jérusalem [...] Je ferai de cette ville un objet de désolation et de moquerie [...] Je leur ferai manger la chair de leurs fils et la chair de leurs filles, et les uns mangeront la chair des autres [...]". Après que ses classes dominantes se sont rendues responsables de l’extermination de millions de juifs (certainement plus de six, en une vingtaine de siècles), l’Europe deviendra-t-elle une sorte de Jérusalem des textes de Jérémie ?