Sur les terres du Front national, la thématique de la repentance

par Elie Zonlebon
lundi 2 avril 2007

« Vous en avez assez de la repentance. Vous en avez assez que l’on exige de vous que vous expiiez les fautes supposées de vos aïeux. Vous en avez assez que l’on cherche à vous imposer d’avoir honte de la France, de son histoire, de ses valeurs [...] Je revendique le droit de dire que la mode de la repentance est une mode exécrable. Je revendique le droit de dire que je n’accepte pas que l’on demande aux fils d’expier les fautes des pères. Que je n’accepte pas que l’on juge toujours le passé avec les préjugés du présent. Que je n’accepte pas cette bonne conscience moralisatrice qui réécrit l’Histoire dans le seul but de mettre la nation en accusation. Que je n’accepte pas ce dénigrement systématique de la nation qui est la forme ultime de la détestation de soi. Car pour un Français, haïr la France c’est se haïr lui-même. » Extrait du discours de Nicolas Sarkozy à Villebon-sur-Yvette, 20 mars 2007.

« Contrairement aux modes débiles de notre temps - repentance et soumission - je dis : nous sommes fiers de la France, fiers d’être français. » Conférence de presse sur le thème : « Nation et République » de Jean-Marie Le Pen à Reims, 20 septembre 2006

« Ils [les enfants des travailleurs immigrés] sont influencés par toute la propagande de repentance qui se déverse dans les médias et à l’école, salissant la France et les Blancs, et qui ne conduit ces jeunes qu’à la haine de notre société. » Conférence de presse de Jean-Marie Le Pen en Corse, 7 Octobre 2006.

Avez-vous donc perdu jusqu’à l’inspiration littéraire, M. Sarkozy ? Non content d’aller chasser sur des terres du Front national, vous allez jusqu’à reprendre les termes du texte original ? Quand sur le thème de la repentance, vous parlez de « mode exécrable », M. Le Pen, finalement plus nuancé, c’est un comble, évoque une « mode débile ». Quand vous insistez sur la haine de la France comme conséquence directe de la repentance, M. Le Pen, avant vous, parlait de « haine de notre société ».

Que Mme Veil, et ceux de confession juive qui soutiennent M. Sarkozy, s’interrogent sur la pertinence de leur adhésion pleine et entière à de tels propos. Rappelons en effet qu’ils étaient nombreux à saluer les propos de M. Chirac, le 16 juillet 1995, quand à l’occasion de l’anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, le président de la République a évoqué les fautes du passé en ces termes : "Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. La France, patrie des lumières et des Droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français." Rappelons aussi que Mme Veil, lors de la cérémonie du 27 janvier 2004, au Bundestag de Berlin, avait indiqué qu’« en France, il a fallu attendre les années quatre-vingt-dix pour que soit reconnue, de manière officielle, la responsabilité directe de l’État français dans les crimes commis sous le gouvernement de Vichy. Ainsi en 1995, M. Chirac a trouvé les mots qu’on attendait : " Reconnaître les fautes du passé et les fautes commises par l’État, ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté, de sa dignité. " [...] Certes, tous les problèmes ne sont pas résolus, mais nos deux pays [la France et l’Allemagne] peuvent aujourd’hui regarder en face ces pages sombres de leur histoire, car ces efforts leur ont permis de regagner l’honneur perdu. »

Alors dorénavant, on s’imposerait de ne plus reconnaître ses fautes et de ne plus en assumer la responsabilité, sous prétexte de porter ombrage à l’honneur de notre pays. Seriez-vous allé, M. Sarkozy, jusqu’à regretter que la France ait, comme en 1995 par exemple, succombé à cette mode exécrable de la repentance et aurions-nous dû célébrer uniquement le côté lumineux de la France pendant cette période, afin de ne pas porter atteinte à l’amour que nous avons pour la France et à la fierté que nous avons d’appartenir à cette nation ? Cela serait finalement en cohérence avec vos propos récents. Je ne me retrouve assurément pas dans votre conception de l’honneur que vous souhaitez donner à la France et qui serait fondée sur une mémoire sélective des seules actes héroiques de la France pour occulter la part d’ombre, sur un manque de courage dans la reconnaissance de sa part de responsabilité, bref sur la revendication d’une nation arrogante, fière de ses forces et oublieuse de ses faiblesses.

M. Fillon, l’un de vos proches, souscrit-il à cette conviction du devoir de mémoire ? A Drancy, le 25 janvier 2005, il avait en fait entretenu cette mode haïssable quand, en tant que ministre de l’Education, il s’adressait à la jeunesse en ces termes : « Accepter l’Histoire, c’est aussi accepter de dire ce que, trop longtemps, la honte a retenu dans nos gorges. [...] Le président de la République, en 1995, a trouvé des mots courageux pour reconnaître cette faute collective, dans toute sa sombre gravité. »

Que vous repreniez à votre compte, M. Sarkozy, la terminologie de M. Le Pen, soit. Vous avez d’ailleurs raison de dire qu’il n’a pas le monopole de l’honneur de la France, du patriotisme, du drapeau, de la Marseillaise, voire de l’indentité nationale. Il est pourtant fort déplorable que vous repreniez également du Front national ce message dangereux et indigne. Car la mémoire du passé permet de construire l’avenir avec plus de sagesse et de vigilance : elle est la marque des grandes civilisations.


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