Ce qui ne va pas avec la condamnation de Marine Le Pen
par Laurent Herblay
samedi 19 avril 2025
Dans deux ans, Marine Le Pen pourrait bien être empêchée d’être candidate à la présidence de la République en 2027, alors même que les sondages indiquent de plus en plus clairement sa victoire. En attente de l’appel, non suspensif, faut-il y voir une manœuvre digne d’un régime autoritaire qui élimine judiciairement ses opposants, ou une décision de justice finalement justifiée ?
L’état de droit, à géométrie variable, et sens unique
Bien sûr, selon les règles de l’UE, il y a une forme de détournement de fond public, et cela peut amener les sanctions qui ont touchées Marine Le Pen, mais ce jugement pose plusieurs questions sur le fond. La première, qui est le fond du débat, c’est l’imposition par le Parlement européen que les assistants parlementaires effectuent des tâches strictement liées à l’activité européenne des députés européens. Ce choix est d’autant plus délicat pour un parti, important, mais dont les principaux élus ont longtemps été essentiellement ces députés, On peut admettre qu’il était probablement délicat pour certains élus et assistants de ne pas exercer des fonctions en lien avec le parti, en dehors de tout agenda européen. Mais s’il y a eu des abus, ils doivent être condamnés et donc légitimement sanctionnés.
Néanmoins, pour que la sanction apparaisse, et soit juste, ne faut-il pas qu’elle soit proportionnée ? Ici, pas d’enrichissement personnel, pas d’emplois fictifs, ou de conflits d’intérêt majeur. Et dans la hiérarchie des délits, alors que le terrain d’action de l’UE est si large, la séparation entre l’agenda national et l’agenda européen devient délicate tant le premier est lié dans presque toutes ses composantes au second. Le délit n’apparaît donc pas particulièrement majeur. En outre, alors que François Bayrou a largement été relaxé pour des faits similaires, puis est devenu Premier Ministre, il est pour le moins troublant que la première opposante à la majorité actuelle soit très lourdement sanctionnée. Difficile de ne pas y voir un cas typique du deux poids, deux mesures. Marine Le Pen est-elle justement traitée ?
Plus le temps passe, plus il semble que la justice différencie ses jugements, en épargnant largement le pouvoir, tout en montrant une diligence bien plus dure avec les opposants. Par-delà le cas de François Bayrou, le contraste devient de plus en plus troublant. D’un côté, Richard Ferrand, Gérald Darmanin ou Eric Dupont-Moretti qui sont blanchis, le premier trouvant le moyen de promouvoir au Conseil Constitutionnel une juge qui l’avait relaxé, avant de l’y rejoindre. De l’autre, les Gilets Jaunes ou certains opposants traités très durement. De même, le Conseil Constitutionnel semble bien complaisant avec le pouvoir en place, mettant des conditions aux mesures liberticides des confinements, qu’il déchire pour partie quelques semaines après. Et si on remonte en arrière, on pense à la présidentielle de 1995, où les comptes, douteux d’Edouard Balladur et Jacques Chirac sont validés, et ceux de Jacques Cheminade refusés.
Cette accumulation de faits, légitimement ou non, créé un vrai malaise et donne l’impression d’une justice qui semble parfois servir un agenda politique plus que la justice, une justice profondément oligarchiste. Et cela est renforcé par le fait que cette décision, dont la sévérité semble contestable, élimine la candidate anti-système qui semble sur le point de l’emporter, dans un écho troublant avec la situation en Roumanie. Il est tout de même gênant démocratiquement que Marine Le Pen, donnée entre 34 et 37% au premier tour, potentiellement plus qu’aucun candidat depuis 1974, soit exclue de l’élection. Par delà le débat sur le deux poids deux mesures par rapport au Premier ministre, le délit est-il seulement assez grave pour justifier son inéligibilité ? Il est tout de même dérangeant qu’à une telle échéance, le premier parti d’opposition du pays perde sa candidate naturelle, qui semble proche de la victoire.
Mais ce faisant, pas sûr que la justice ait le dernier mot, même si elle parvient à éliminer Marine Le Pen des bulletins de vote. Donald Trump a été mis en cause pour des faits bien plus graves, sans que cela empêche sa quadruple victoire de 2024. Au contraire, cela pourrait renforcer les chances du RN, Marine Le Pen pouvant viser Matignon en formant un ticket qui pourrait être encore plus fort en 2027…