Eloge d’une voie humaine

par Christine Boutin
jeudi 14 octobre 2010

Le libéralisme est arrivé à son terme.

Pour comprendre la crise actuelle - crise du sens, crise du lien social, crise globale – il faut remonter à la genèse du projet libéral. 

Issu des guerres de religion particulièrement meurtrières, le libéralisme avait pour projet de résoudre la question de la violence par la « privatisation » des questions du vrai et du bien. Ainsi, il a supprimé la catégorie du bien transcendant en le remplaçant par des valeurs, propres à chaque individu. Il a crée une société neutre, où chacun est libre de vivre selon son bon désir, dès lors qu’il respecte la liberté d’autrui. Et par là, a réussi à faire vivre ensemble des individus aux croyances très diverses. 

C’est beaucoup. 

Mais, c’est aussi ce qui a conduit au relativisme, à l’effacement du souci du vrai et à la destruction du lien social. 

Le cadre juridico-politique mis en place, la voie en effet, était libre. Main dans la main, les libéralismes culturel et économique ont radicalement transformé, en très peu de temps, tout l’ordre sur lequel reposait l’ancien monde. Le guerrier s’est drapé de l’étoffe du doux commerçant, l’aristocrate a cédé sa place au trader efficace, les intérêts se sont substitués aux passions… 

Hier, l’économie libérale, a permis de démocratiser l’accès à la machine à laver. Et c’était un progrès.

Et puis chacun étant équipé, le libéralisme a instrumentalisé un ressort profondément humain, qui est celui du désir et c’est ainsi qu’a été créée la société de consommation. 

« Consomme », dit le Marché, « Jouis sans entraves » disent les libertaires. Consomme de la jouissance, jouis de ta consommation. Le couple est parfait… 

Tant et si bien qu’à la question fondamentale « quel est le sens de ma vie ? », l’individu de la société libérale-libertaire s’est mis progressivement et inéluctablement à répondre « c’est la satisfaction de mon désir, et celui du voisin m’importe peu. » 

Et puisque tout est équivalent dans un monde sans norme, l’homme est devenu lui-même un objet de consommation. Nous sommes ainsi passés du « droit de l’homme » au « droit à l’homme », du « droit de l’enfant » au « droit à l’enfant », du respect de la dignité inaliénable de chacun à son mépris éhonté. 

Certains dès lors peuvent acheter, sans mauvaise conscience aucune, des organes en provenance des pays pauvres. D’autres « débranchent » un parent malade parce qu’il n’est plus productif. Bientôt, on pourra commander des bébés sur Internet, car le désir individuel n’a plus de limites. Les conflits entre libertés individuelles se réglant devant l’instance « neutre » du juge.

 

La « méthode » libérale de pacification, par la neutralisation de l’espace public, a une faille. Et par cette faille, l’acide corrosif s’est immiscé dans la sphère privée. Le libéralisme victorieux a généré de la désagrégation et du vide.

 

Plus de deux siècles après l’invention libérale, que reste-t-il en somme ? 

Un homme sans histoire ni attache. Un atome sans alliance passant des contrats économiques, affectifs, virtuels, avec d’autres atomes. Si le propre de l’alliance est le don gratuit et total de soi, le contrat, révocable, n’engage pas l’être. 

Cet homme universel et imaginaire, prôné par les médias et les élites pseudo progressistes, ne croit en rien parce qu’on lui dit « tu peux croire ce que tu veux, tant que tu penses que cela n’a pas valeur de vérité. » « Tu peux vouloir faire le bien et rester fidèle aux tiens et à tes convictions. Oui, tant que cela n’a pas de poids. » 

Le vide donc, mais encore ? 

Mère Nature… Gaïa prend la place de Dieu. Panthéisme ? Dans un monde fatigué « on oublie les individus pour ne considérer que l’espèce », annonçait Tocqueville. 

 « Arrêtons de faire des enfants », car il n’y a plus rien à attendre de l’homme. Le niveau des océans monte, « sauvons l’arche, mais surtout pas Noé ! », nous disent les écologistes radicaux.

 

L’homme devient second par rapport à la planète. Gaïa devient totalitaire. Telle est la réponse ultime de la « deep ecology » aux excès engendrés par l’incroyable machine planétaire à créer et à satisfaire nos désirs. 

Fin de l’histoire ? 

Bien au contraire. 

La crise est profonde, certes. Mais elle nous appelle à rechercher l’essentiel et provoque notre imagination. 

Devant le mur devant lequel nous sommes, de nouvelles pistes doivent être ouvertes. 

Nous devons trouver le moyen de recréer du lien, sans lequel aucune civilisation ne peut durer. 

Cela, nous le ferons en expérimentant la liberté non plus dans l’arrachement de toutes contraintes mais dans le fait d’agir et de s’associer avec d’autres. Entendons-nous bien, nous sommes pour la liberté, nous sommes des militants de la liberté ! Mais nous ne voulons pas d’une « liberté pour moi seul ». Pour nous, la liberté s’exerce dans la responsabilité et dans le souci de l’intérêt général. 

Nous le ferons aussi en réintroduisant le don au sein même de l’économie, car si la logique de la gratuité disparaît alors le lien social disparaît. Changer nos indicateurs de richesse en serait le chemin.

Nos libertés individuelles exacerbées doivent être régulées, sans quoi nous encourons le risque d’une « guerre de tous contre tous ». Etrange paradoxe, c’est ce que précisément le projet libéral voulait à tout prix éviter… 

Il faut donc encadrer le « marché des désirs ». Réaffirmer une chose fondamentale, à savoir que l’homme n’a pas de prix mais qu’il a une valeur inestimable. 

C’est à ces conditions que le 21ème siècle sera un siècle formidable.

 

Christine Boutin, Présidente du Parti Chrétien-Démocrate


Lire l'article complet, et les commentaires