Ultra violet, les brûlures du succès...

par lephénix
lundi 31 mars 2025

Les « années Mitterrand » ont-elles « produit une génération de la brûlure » ? Après « Vivre nu » (Grasset, 2023), Margaux Cassan livre une philosophie familiale et personnelle du bronzage.

 

« Ma chérie, tu as pu profiter du soleil quand même ? »

L’obsédante ritournelle maternelle (vingt-six occurences dans sa messagerie en quatre mois...) grince comme une injonction à sacrifier au darwinisme solaire de ces « drogués de la mélanine » en quête d’une « utopie adamique » dans les écrans de fumée d’une contre-« civilisation » impitoyablement erotico-publicitaire : « je me montre, donc je suis ».

Chez « les heureux de ce monde », l’on bronze comme l’on dresse sa statue, allongé dans le ressac des injonctions à rôtir... La mère de Margaux Cassan, « sublime dans son hâle », est une de ces « filles du feu » qui flamboie alors que le commun des mortels fait si pâle figure dans la balance des destinées - un « être d’ascension », à l’instar d’Icare qui s’est brûlé les ailes en s’approchant trop près du soleil. Après un « master d’histoire sur la place des femmes dans la scène politique et littéraire depuis l’embrasement de Nanterre », elle débute dans Femme, le journal dirigé par Gonzague Saint Bris (1948-2017) avec qui elle partage le goût de l’art de « se faire reconnaître » en altitudes choisies. Prénommée Gabrielle, en hommage à Gabrielle Chanel (1883-1971) qui aurait « inventé la mode du bronzage », elle « aspire la dopamine du monde » et signe son roman publié à compte d’auteur, Sans difficulté financière (Publibook, 2009), à la Forêt des livres, le salon littéraire créé par son mentor Gonzague – « une histoire de franc-mariages ratés en huis clos dans un club de sport pour célébrités ou rejetons de célébrités », bref de SDF dorés sur tranche adonnés à leurs addictions en roue libre et autres petits jeux de l’entre-soi.

Pour la confrérie de ces « Rastignac du soleil » », le bronzage était « le signe de la réussite », un marqueur social voire un « levier d’affirmation » ou un « désir de signature » – quitte à le perfectionner en cabine de solarium. Ces parfaits contemporains des Bronzés (1978), le film de Patrice Leconte, s’appellent Thierry Ardisson, Jacques Lang, Jacques Séguéla ou Jean-Paul Enthoven au bronzage « devenu pour lui aussi emblématique que le chapeau noir d’Amélie Nothomb » dixit Le Journal du Dimanche. Ils font corps façon solaire et grégaire en certains hauts lieux de villégiature comme La Ville Rouge – l’appel du soleil est aussi celui du grand large, mis sous bocal, d’une globalisation accélérée qui consume la planète en perdant le nord magnétique.

Un jour, la mère de Margaux découvre « une petite tache violette sur le haut de son front, légèrement bombée » - l’annonce d’un mélanome, « comme l’oeil du cyclope  ». Dans le vacillement des fausses certitudes, le rayonnement du soleil jusqu’alors promesse de jeunesse perpétuelle devient blanc métal - et révèle l’éclat d’un couperet. Pour les tanorexiques (dépendants au soleil), la brûlure du succès se fait parfois morsure qui signe la possibilité d’un livre.

« Femmes, quand vous empruntez le soleil, n’oubliez pas de le remettre à sa place ! » écrivait la poétesse Lydie Dattas dans son Carnet d’une allumeuse.

 

La révolution héliocentrique

 

Le livre oscille de la vie de famille aux pionniers de la révolution héliothérapeutique et autres adeptes du pranisme, entre considérations anthropologiques et sémantiques disséquant le culte du soleil. Face à la montée en puissance de la religion industrialiste, le naturopathe empirique Arnold Rikli (1823-1906), héritier d’une teinturerie familiale en Suisse, constate que « l’homme ne travaille plus avec la machine, il en devient une ». Il crée en 1854 son centre de soins à Bled (Slovénie) où il propose sa « cure atmosphérique ». Surnommé « le Dr Soleil », il prêche par l’exemple en menant une hygiène de vie naturiste jusque dans ses déplacements « en ville »...

En observant la préparation de la viande séchée des Grisons, Oskar Bernhard (1861-1939) découvre les vertus bactéricides du soleil et crée en 1895 son hôpital qui propose l’air et le soleil des cimes à des patients venus « sécher » comme on s’en vient chercher son salut...

Dans le vacillant entre-deux-guerres de toutes les tentations et de toutes les occasions manquées, le Dr Jean Saldman (1897-1949) construit un solarium tournant à Aix-en-Provence – on ne savait pas encore que « le bain de soleil se situe exactement à la lisière entre le bain de jouvence et le bain de sang ».

Margaux Cassan choisit d’écrire « ultra violet » en deux mots : pour dire "ultra violence" ? Au fond, exposer sans protection un enfant aux ultra violets A et B qui abîment l’épiderme, ne serait-ce pas lui faire violence ?

Enfant puis adolescente, elle a connu les longues séances d’exposition et les coups de soleil dans les centres naturistes ou à la maison du Faux-Plat, « construite à la verticale comme une tour, un phare, qui trahit le désir d’ascension » de ses parents, avec sa cabine à UV – il faut bien « être nu quelque part »...

Son essai convoque l’envers du dé-corps, bien au-delà des représentations de corps glorieux d’une génération de winners autostatufiée – il investit le champ de la littérature, jusqu’à la vie de ce « coeur brûlé » de Jean Cocteau (1889-1963), l’un des initiateurs du « passage de la luminothérapie médicale au bronzage de coquetterie ». Toujours pour « avoir l’air, pas être »...

Finalement, le cancer laisse de la marge pour l’être, toujours sans temps mort et rend le livre possible entre mère et fille se donnant le feu, comme la possibilité de remettre le soleil à sa place – et la planète dans son axe...

Margaux Cassan, Ultraviolet, Grasset, 216 pages, 20 euros


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