Faire le pont

par C’est Nabum
samedi 6 mai 2023

 

En Mai, c'est une évidence.

 

Faire le pont est le privilège de ceux qui travaillent encore. Ils ont le bonheur ineffable de jouir ainsi d'un temps suspendu, d'une offrande du calendrier à moins qu'un employeur ne vienne jouer les empêcheurs de partir pour de bon. Si tout se passe bien, en deux ou trois jours adroitement posés, vous vous offrez une passerelle qui donne des ailes pour franchir allégrement la semaine sans trop entamer votre petit pécule de congés, faute de quoi le pont peut rimer avec bouchon à l'aller comme au retour pour ceux qui se contentent de la portion congrue.

Pour les plus chanceux, le pont se bâtit essentiellement sur ces fameuses RTT, privilège le plus souvent dévolu aux cadres et aux gros salaires, ceux-là même qui ont toujours l'habitude de jouir de nombre de privilèges. Le cumul des heures capitalisées les fera passer à pied sec sans avoir à entamer leur précieux capital vacances, qui fort bien négocié, dépasse le minimum légal. Ne vous faites aucune illusion, l'égalité dans notre pays ne vaut que pour le montant des amendes, hérésie de plus pour toujours spolier les plus modestes.

Il est primordial pour emprunter un pont de réfléchir au moyen de transport adopté. À moins de se satisfaire d’un petit tunnel, un temps mort dans le tumulte du temps, l'ailleurs est le corollaire du pont. Le choix du collectif, s'il vous place du bon côté de votre bilan carbone ne favorise ni la souplesse, ni même la réactivité du véhicule individuel. Le vélo tient la corde pourvu que vous n'ayez pas des ambitions démesurées. L'avion offre encore des propositions scandaleusement économiques comme s'il fallait passer la maîtrise énergétique pour une vaste escroquerie.

Le pont est le royaume des bricoleurs, ceux qui ont connu dans leur enfance le Mécano et prolongent à jamais ce goût de bricoler, rénover, bâtir, décorer et autres occupations qui supposent de disposer d’un magasin dédié à cette frénésie des mains en action. J'avoue que l'usage de mes deux mains gauches m'éloignent singulièrement de cet aspect des choses !

Faire le pont c'est donc lâcher les chevaux qu'ils fussent à vapeur ou fiscaux en tentant d'aller le plus loin possible dans l'espace de temps imparti. Délicate équation qui doit de plus tenir compte de la variable hôtelière. L'hébergement est la condition sine qua non de cette migration printanière. Il y a bien des possibilités désormais qui évitent le retour sempiternel à la case famille, pour ceux qui ont d'autres envies.

Lorsque les circonstances sont favorables et les jours fériés en dehors du repos dominical, tout l'art de l'appontement de Mai réside dans votre capacité de jeter un viaduc par-dessus ce fleuve intranquille de vos existences quotidiennes. Mais, comme durant l'exode, il faut jouer des coudes au passage du pont visé afin de passer avant vos collègues, de prendre la bonne file dans le bons sens. Une fois encore, l'injustice prédomine et ce sont souvent les petites mains qui découvrent alors combien elles sont indispensables à la bonne marche d'une entreprise qui ne peut se passer d'eux sauf lors de la négociation des augmentations.

Le pont se saisit donc à bras le corps. Il est l'expression la plus significative de la considération qui vous échoie auprès de vos chefs. Faire le pont c'est paradoxalement déposer son tablier pour prendre le temps de regarder par-dessus les coursives. C'est un plaisir saisonnier qui chaque année fait ressurgir la volonté de réduire les jours fériés par ceux-là même qui ne savent pas ce que peiner au travail signifie. Oublions-les à moins que l’envie vous prenne de les passer par-dessus bord.

Enfin, ultime paradoxe lexicale, le pont n'est pas recommandé à qui entend passer le bac. Si la logique est ici respectée et que l'alternative fluviale n'est pas sans raison, la vérité est tout autre pour celui qui entend franchir une étape en restant sur place pour réviser un peu. Celui-là trouvera bien absurdes mes élucubrations oiseuses, écrites justement lors du premier pont de Mai, à l'occasion d'une fête du travail qui cette année a fait grand chahut de casseroles.

À contre-courant.


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