Chute ou renaissance de l’Europe post- Covid ? Ou alors molle décennie ?
par Bernard Dugué
vendredi 23 avril 2021
a) L’histoire ne se répète jamais, et souvent, des mêmes causes produisent des effets différents ou l’inverse, des causes différentes produisent des effets similaires. Observer le passé permet de comprendre quelques traits du présent sans pour autant expliquer les phénomènes ayant émergé, avec la conjonction des hommes et des techniques. Le dernier effondrement en date sera commémoré à la fin de cette année. En 1991, l’Union soviétique signa son acte de décès, laissant la place à une communauté d’Etats indépendants et d’Etats sans communauté. Il aura fallu plus de dix ans à la grande Russie pour renaître et occuper son rang de puissance régionale. Le déclin soviétique aurait été acté en 1979 lors de l’invasion de l’Afghanistan, plaçant les Soviétiques dans un bourbier local mais aussi géopolitique. D’autres analyses ont évoqué l’accident de Tchernobyl comme un autre événement majeur ayant précipité la chute de l’empire communiste. En 1986 un nuage radioactif traversa les pays. En 2020, un nuage viral a traversé la planète.
En réalité, l’Union soviétique était depuis un bon moment en déclin, même quand son armée occupa l’Afghanistan. En 1979, l’Union soviétique disposait de la seconde armée en termes de puissance. A cette époque, les Etats-Unis continuaient leur course militaire, feignant la crainte du communisme, et redoutaient le déclin avec un autre événement à la valeur symbolique élevée, la prise d’otage à l’ambassade américaine par les islamistes de Téhéran. C’est en jouant la carte du redressement que Reagan effectua ses deux mandats alors que les Britanniques s’efforcèrent de conjurer le déclin économique en propulsant Thatcher aux commandes. Dans l’arrière-cour se jouait un autre duel, dans le domaine de l’économie et des avancées technologiques. Ce que craignaient les Américains, c’étaient un peu les Allemands avec l’insolente santé du mark et surtout les Japonais conquérants, vite calmés par les accords du Plaza en 1985, sans oublier les tigres et dragons asiatiques. En 2020, les Etats-Unis voient une fois de plus la menace venir d’Asie mais cette fois, ce sont les Chinois qui sont en première ligne.
b) Le Covid-19 a émergé comme une pandémie se propageant dans le monde et dont l’image est calquée sur des phénomènes matériels. Si le virus était une flammèche, la pandémie serait un incendie devenu incontrôlable dans quelques pays, Inde ou Brésil, mais toutefois fixé dans d’autres nations. Cette pandémie ressemble de près à un accident industriel planétaire, comme si un nuage de Tchernobyl retombait dans tous les pays pour y engendrer d’autres nuages. L’image est néanmoins trompeuse, révélant en négatif la nature du problème. Un incendie fixé ne reprend plus, un réacteur placé sous un sarcophage de béton ne rejette plus d’éléments radioactifs ; en revanche, un virus ne s’arrête pas, il poursuit sa course et risque de déjouer les stratégies de freinage et de vaccination avec ses capacités à muter. Le SARS-CoV-2 est bien plus méchant qu’un virus grippal et ne donne pas le signe d’un effacement, comme ce fut le cas lors des épidémies grippales majeures de 1957 et 1968.
Ce Tchernobyl viral s’est dessiné dès janvier 2020 comme une question sanitaire devenu hautement politique. Le vocabulaire guerrier, même s’il fut abusivement employé par le président Macron, traduit la nature politique de la gestion de cette crise pandémique et ce, dans tous les pays, sans exception. Si l’Union soviétique s’est effondrée à cause d’un problème économique et culturel devenu chronique, structurel si l’on veut, la crise sanitaire pourrait avoir des conséquences similaires pour ce conglomérat de nations qui n’a jamais trouvé ses marques, ses repères, et que l’on appelle la communauté européenne, qui s’est voulue empire mais qui est restée une grosse entreprise lourde à gérer, minée par la bureaucratie, l’inconsistance de ses dirigeants, les problèmes structurels, et dont le Royaume britannique a cru nécessaire de s’affranchir. Souvenons-nous que la fin de l’Union soviétique en 1991 fut précédée par le « décollement » de ses prolongements en Europe. Rappelons aussi que l’histoire ne se répète pas.
c) Entre 1945 et 1991, deux idéologies incompatibles se sont affrontées, le communisme et la démocratie plus ou moins sociale. Les deux blocs se constituèrent autour des deux grandes puissances militaires victorieuses contre l’Allemagne et le Japon. En 2021, la Chine affiche ses prétentions face à l’Occident. Elle propose son modèle sans l’imposer, avançant au coup par coup. Elle le fait en tirant sa légitimité d’une victoire, celle de la bataille contre le Covid. Et c’est la signature du monde qui arrive, avec sans doute deux blocs, l’Occident et l’Asie. Un Occident désuni, avec des Etats-Unis secoués par les violences, un Royaume-Uni en roue libre, une Amérique latine minée par la corruption puis le Covid et une Europe qui se cherche. L’Asie est plus unie, plus cohérente, menée par la Chine avec des pays gravitant autour, Corée, Japon, et plus si affinités. Etrange configuration géopolitique dans laquelle, parmi les nouveaux pays pressentis comme non alignés, figurent la Russie et la Turquie. Et l’Inde toujours indépendante et défendant sa spécificité culturelle héritée de millénaires. La Chine vient d’établir des partenariats avec un ensemble de pays longés par l’océan pacifique, sans oublier les têtes de pont en Asie centrale et en Europe. La Chine a les mains libres pour ainsi dire car elle déploie un dynamisme économique ininterrompu à part le bref épisode causé par le Covid dont la durée fut modeste, comparée à celle de la crise sanitaire affectant l’Occident depuis plus d’un an et amenée à durer au moins quelques années de plus, avec les dégâts sociaux et les pertes économiques en vue.
L’Europe se cherche depuis un bon moment. Elle est minée par sa bureaucraties, son obsession des normes, son idéal de vie pure, repris par Macron et son projet de vie paisible. Une vie marquée par les contraintes sanitaires s’additionnant aux contraintes climatiques, écologistes. La transition énergétique risque d’affecter la santé économique de ce pseudo-empire comme le communisme planifié signa la perte de l’Union soviétique. La question de la dette risque d’impacter fortement les relations entre les pays rigoureux, Allemagne en tête, et les cigales endettées, l’Italie et surtout la France. Une France qui lègue du reste à ses voisins le fardeau de deux engagements géopolitiques calamiteux, en Libye sous Sarkozy puis en Syrie sous Hollande. La Libye en décomposition, suivie par le Tchad en mauvaise posture après le décès de Dévy, représente un boulet pour l’Europe, au même titre que l’Afghanistan pour les Soviétiques. Le sociologue Jean Viard prédit la venue des dix glorieuses après la crise sanitaire. C’est peu probable, ni glorieuses, ni renaissance en vue sauf miracle. Le risque d’un effritement durable suivi d’un effondrement n’est pas à exclure. Le scénario privilégié pour l’Europe semble être la décennie molle, bref, un prolongement des trois précédentes décennies depuis 1990.
d) Pour résumer, un différentiel positif s’est accentué au bénéfice des économies asiatiques et/ou pacifiques organisées autour de la Chine, qui a installé un nouvel ordre régional avec progressivité et non pas de manière autoritaire comme lors de la constitution de l’URSS par annexions successives. La Chine installe un ordre de coopération dont elle est le premier bénéficiaire. Il faut regarder de près les deux années sismiques 2020 et 2021. La Chine a marqué deux points, elle a contenu le virus en menant une politique de dictature sanitaire et elle a repris sa croissance économique. Le bloc occidental a perdu sur les deux tableaux. Le virus circule et l’économie vacille à cause des mesures sanitaires adoptées pour freiner le virus. En plus, la bureaucratie écologiste ne peut qu’aggraver la situation. Sans oublier les tensions identitaires causées par des factions spécifiques à chaque pays, les Etats-Unis autant que l’Europe, avec le plus souvent des communautés ethnique, culturelles, religieux, parfois complotistes du genre Qanon ou alors les survivalistes, auxquels s’ajoutent les extrémistes du climat, du véganisme, du féminisme, de l’antiracisme, de l’anticapitalisme, de la droite identitaire.
L’ère des idéologies et des grands récits s’est achevée, laissant le champ libre à la compétition économique, technologique, sur fond de dissensions communautaires et d’intérêts nationaux. Néanmoins, cette concurrence engage deux modèles de société. Le modèle démocratique, occidental, plaçant la liberté comme horizon incontestable et le modèle chinois, sécuritaire, autoritaire, bref, le régime du contrôle social, de la gestion des populations comme si c’était une ferme industrielle. La mise en place d’un régime de contrôle en Occident est contraire à l’ADN de cette civilisation. Un régime hybride est possible. C’est une tragédie pour l’Occident et ses Lumières que de voir un bloc totalitaire sur le point de gagner la bataille économique.