La chronique du blédard : Benoît XVI et notre ijtihad atrophié

par akram belkaïd
vendredi 29 septembre 2006

Et voilà que ça recommence ! Six mois à peine après l’affaire des caricatures voici que, de nouveau, une fièvre enflamme le monde musulman, aggrave le fossé qui le sépare de l’Occident et donne des arguments à tous ceux - et ils sont de plus en plus nombreux - qui nous affirment que nous vivons déjà le choc des civilisations tandis que le jour de l’Heure approche. Je n’oublie pas non plus ceux qui en profitent pour moquer (ont-ils totalement tort ?) des populations toujours disponibles pour d’affligeantes scènes d’hystérie collective (il faudra tout de même s’interroger un jour sur le fait que c’est dans le sous-continent indien que ces manifestations sont les plus importantes, mais ceci est une autre affaire...).

Quel était l’intérêt pour Benoît XVI de faire appel à un texte du quatorzième siècle pour « démontrer » que le christianisme est plus apte que l’islam à cohabiter avec la Raison ? En oubliant allègrement les croisades, la colonisation, l’évangélisation de l’Amérique du sud, l’Inquisition, les positions ambiguës de Rome vis-à-vis de l’esclavage ou, plus tard, du nazisme, le pape a conforté l’impression qu’il défendait l’idée selon laquelle la violence au nom de la foi est la caractéristique exclusive de l’islam. Cette controverse théologique fera certainement date, mais la façon dont elle a été initiée est déplorable. En citant un passage où il est question - de manière très négative - du prophète Mohammad, le pape ne pouvait ignorer qu’il allait déclencher une polémique.

Il ne pouvait ignorer que, dans un monde musulman où la rumeur et la propagande des régimes dictatoriaux rivalisent en surenchère, il se trouverait des milliers de gens pour lui attribuer la paternité de ces propos insultants avec les conséquences qu’il faut désormais craindre. Ce pape, qui cogne puis feint de se rétracter, aura bien du mal à nous convaincre qu’il estime que musulmans et chrétiens ont foi dans un Dieu commun. Est-ce grave ? Dans un monde apaisé, non. Mais dans celui dans lequel nous vivons, il faudrait être sot pour ne pas imaginer les dégâts futurs de cette provocation.

Je ne crois pas en effet qu’il s’agisse d’une maladresse surtout au lendemain de la commémoration des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis mais aussi à quelques jours du début du ramadan. Benoît XVI est un brillant théologien, et c’est aussi un homme de conviction. Il y a un an déjà, à Cologne, en marge des Journées mondiales de la jeunesse, il avait tancé les musulmans, leur enjoignant d’extirper de leurs cœurs le sentiment de rancœur et de s’opposer à toute forme d’intolérance et à toute manifestation de violence, ceci après avoir appelé juifs et chrétiens à combattre ensemble les « forces du mal » (suivez son regard...) (1).

Le successeur de Jean-Paul II se veut peut-être l’homme de la fermeté face à l’islam, voire d’une position plus radicale que la simple fermeté. Est-ce une volonté de confrontation avec laquelle les musulmans devront compter ? Est-ce aussi une stratégie marketing opportuniste - et en concurrence avec les sectes évangélistes - qui consiste à battre le rappel des fidèles en s’en prenant à un islam montré du doigt pour des crimes pourtant commis par une infime minorité ? Pense-t-il que la renaissance de l’Eglise catholique passe par un bras de fer - ne serait-ce que sémantique - avec le Croissant ? Dans ce dernier cas, Benoît XVI risque fort d’apprendre à ses dépens que l’on ne récupère pas ses anciens clients en insultant la maison d’en face...

On peut aussi se demander si tout cela n’est pas annonciateur d’un bouleversement plus important pour les catholiques, avec une remise en cause - discrète pour le moment - de Vatican II. La réconciliation du pape avec les intégristes.


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