Dominique de Villepin se positionne

par Argoul
vendredi 27 janvier 2006

Le Nouvel Observateur de cette semaine livre une entrevue de trois journalistes avec le Premier ministre. Bien qu’à mon sens mal cadrée, cette entrevue permet à M. de Villepin de se situer dans le débat politique, et son ton percutant la rend intéressante.

Le travers journalistique est de résumer, le travers supplémentaire "de gauche" est d’opposer. L’entrevue n’y échappe pas, et nous voici embringués dans les alternatives simplistes à la mode : social ou libéral, partisan ou réaliste, dirigiste ou démocrate. A croire, in fine, que seule la droite serait libérale, réaliste et démocrate, tandis que la gauche resterait sociale, partisane et dirigiste (ou l’inverse) ! Dans les têtes, peut-être, dans les fantasmes imagés des caricaturistes des médias, sans doute. Ils ne rendent pas service au débat politique, de réduire les actes à ces réflexes pavloviens. Même si Pavlov était « de gauche » en son temps...

Vous l’avez lu dans ce blog, je ne suis pas un partisan de M. Jacques Chirac. Si, en tant qu’homme, il a beaucoup de qualités, comme celle d’aimer les gens et de chérir le contact, comme président, il est resté durant dix longues années quasi immobile, se trouvant arrivé au sommet du pouvoir, ayant couronné sa vie d’homme politique bien remplie. Rappelons que Dominique de Villepin a été son conseiller depuis 1995, et qu’il est loin d’être nouveau dans la politique du président.

Aujourd’hui, cependant, il parle neuf. Et plutôt bien. Si François Hollande parlait comme lui, il serait probablement écouté. Je déplore que la gauche ne parvienne pas à tenir un discours cohérent sur les problèmes concrets des Français d’aujourd’hui. Les Grrrands Prrrincipppes, c’est bien dans les meetings ou les prétoires. Mais pour le citoyen lambda, dont un sur dix est exclu du travail, cette morale stratosphérique n’est que du vent. Seul compte, ici et maintenant, ce qui est fait pour améliorer son sort.

Le réalisme des politiciens est exigé par le 21 avril 2002. Partisan, Dominique de Villepin ? Sans doute. Il est aussi à la droite de l’Assemblée que Dominique Strauss-Kahn est à gauche. Et alors ? Peut-on reprocher à l’un d’être de son camp sans le reprocher à l’autre ? Ce n’est pas parce que l’un est « de droite » qu’il fait le Mal, tandis que l’autre « de gauche » ne ferait que le Bien. Ce serait trop facile, ça se saurait, avec le temps ! Qu’a donc fait la gauche contre le chômage, sinon diminuer l’activité par les fameuses « 35 heures » qui ont forcé les entreprises à tant de gains de productivité que l’emploi supplémentaire s’est évanoui en fumée, surtout dans les services, remplacé soit par des machines (l’organisation informatique), et par de l’externalisation, soit (pour l’industrie) par des délocalisations dont on n’a vu que le début. Belle réussite ! Cette mesure, certes « sociale » (et bénéfique comme telle, je l’ai dit ailleurs) a eu des conséquences économiques non prévues, tant l’enfer est pavé de bonnes intentions. Seuls des emplois postés ont été remplacés (à la chaîne, un maillon qui manque crée une équipe de plus), seuls les emplois publics ont dû être renforcés. Pour les autres, nous aurions moins de chômeurs si les « 35 heures » étaient LA mesure à prendre. C’est pourquoi, quand M. de Villepin déclare : « Pendant longtemps, on a cru qu’il n’y avait pas assez de travail pour tout le monde, qu’il fallait le partager. Moi, je crois au contraire à la dynamique de l’activité. L’emploi crée l’emploi, l’activité crée l’activité, on le constate chez nos voisins et partout dans le monde. La France a un des taux d’activité les plus faibles des grands pays développés », nous ne pouvons qu’être d’accord. Il se réfère à Keynes, pas à Malthus. A croire que la gauche est devenue conservatrice, crispée sur ses Zacquis (sacralisés par cette facétieuse majuscule médiatique).

« Nous sommes à un moment de l’histoire de notre pays où il faut éviter d’opposer des exigences qui, loin d’être contradictoires, sont souvent complémentaires : la liberté et la solidarité, le dynamisme économique et le progrès social, l’innovation et la fidélité à la tradition française. » Exemple : le chômage des jeunes. Dominique de Villepin déclare : « Quelle est la réalité ? 23% d’entre eux sont au chômage, 70% de leurs embauches se font en CDD, 50% de ces CDD durent moins d’un mois. Ce que le gouvernement propose, c’est exactement l’inverse de la précarité actuelle [...] l’accès au crédit, le droit à une formation dès la fin du premier mois, une indemnité de rupture en cas de séparation du salarié et de l’entreprise, une assurance-chômage. » N’est-ce pas un projet qu’il faut examiner (et critiquer à bon escient) plutôt que de dire aussitôt NON parce qu’on touche à un Grrrand Prrrincipppe ? Le temps court dans un seul sens, et bouger est nécessaire pour conserver le modèle. « En modernisant notre modèle sans remettre en question ses principes, je veux que les Français croient à nouveau en l’action politique. » Là, au moins, nous ne pouvons qu’acquiescer. Les manipulateurs des idéaux de la jeunesse sont malvenus de pousser aux manifs. Outre que ce n’est pas un débat démocratique que d’échanger des horions plutôt que des idées, c’est surtout la preuve de l’abyssale absence de propositions concrètes de la gauche dans ce domaine. Et c’est dommage, sans confrontation de propositions concrètes, il n’y a qu’une voie, unique.

Cependant, M. de Villepin nous laisse sur notre faim. Il joue à l’homme d’action, mais que n’a-t-il conseillé à son président de s’y atteler plus tôt ! Dix ans de perdus, il faut le reconnaître. Les journalistes, aveuglés par leurs idées binaires, ne lui ont pas même objecté cela. Tout ce qui leur importait a été de tenter de prouver que le Premier ministre est libéral, partisan et dirigiste. Quel haut niveau de la réflexion politique !

Dès lors, Dominique de Villepin a beau jeu d’enfiler la contrevoie évidente où il joue le beau rôle : « Qu’il faille plus d’explications et plus de pédagogie, c’est certain. Mais soyons sérieux dans les critiques : ne faisons pas prendre aux Français des vessies pour des lanternes. [...] Je crois en l’action et je me méfie des étiquettes. La France est un pays de dualité. L’exercice du pouvoir consiste à trouver le point d’équilibre, le point de réconciliation. Bien sûr, nous avons besoin de mouvement pour moderniser notre modèle. Mais bien sûr aussi, nous avons besoin de protection et de garanties pour avancer en confiance.[...] Que certains jugent cette concertation encore insuffisante, c’est leur droit. Mais mon devoir, c’est aussi de décider et d’avancer dans le sens de l’intérêt général. »

Avec cette conclusion, que la gauche ferait bien de méditer, si elle veut parvenir au pouvoir et s’y maintenir sans révolution : « Nous sommes au XXIe siècle. A bien des égards, nos querelles sont celles du XIXe siècle. Il y a un moment où il faut se poser les problèmes de son temps. Le temps des Français, c’est tout de suite. »

Les citations sont en bleu.


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