Présidentielles 2007 : désormais une compétition politique de second ordre

par Franck Biancheri
mardi 31 janvier 2006

Impensable, n’est-ce pas ? Comment peut-on, ne serait-ce qu’une seconde, s’égarer au point d’imaginer que l’élection présidentielle française ne serait plus l’alpha et l’oméga de la vie politique hexagonale, sinon européenne, voire mondiale ? Pourtant quand un président de la République n’arrive même plus à changer un taux de TVA, il faut bien constater que cette fonction n’est plus que l’ombre d’elle-même. Et, au-delà de la France, cela a des conséquences majeures sur les modes futurs de légitimation démocratique de l’UE.

Et d’ailleurs, en quoi cela peut-il intéresser Newropeans et les Européens ?

D’abord, précisons que cela concerne très directement l’UE, car si l’impensable est vrai, alors cela traduit une crise grave du processus de légitimité démocratique du projet européen en France, dont le président de la République est une pièce maîtresse. Cela peut impliquer qu’un processus identique affecte les autres exécutifs nationaux dans leur statut d’intermédiaires entre leurs peuples et l’UE. Et enfin, cela peut constituer la preuve qu’il est urgent de repenser les piliers de la légitimité démocratique de l’UE.

Ensuite, n’oublions pas qu’il y a de très mauvaises raisons pour qu’une telle réalité soit escamotée dans la presse ou par la classe politique française. En effet, pour ce « si petit monde » qui croit encore faire l’opinion en France et sur la France, et qui débite à longueur de discours, d’opuscules et d’articles, sa mélopée « politiquement correcte » sur l’affaiblissement inéluctable du pays, toutes les choses importantes en ce bas monde se décident autour de l’élection du président de ce pays : des choses essentielles comme les emplois, les grands contrats, les privilèges, les prébendes ou les médailles.

En effet, ce dernier est bien le chef de l’Etat.

Or, pour les « petits marquis » français de la politique, des médias et de l’administration, « l’Etat, c’est tout , car l’Etat, c’est nous » !

Leur cohérence intellectuelle ayant été depuis longtemps sacrifiée au profit de la seule poursuite de leurs intérêts directs, il ne faut pas attendre de leur part qu’ils tirent de leurs analyses à propos de la « fin de la France » la moindre conséquence sur la réduction connexe du pouvoir présidentiel français. Loin de là !

Et d’ailleurs, du point de vue de leurs intérêts propres, ils n’ont pas entièrement tort : peu importe que l’influence de la France se réduise, comme une peau de chagrin, à condition que l’influence du président français reste entière sur les arrondissements centraux de la capitale, là où se situent les « fromages » de la République les plus intéressants.

Par ailleurs, n’attendons pas d’eux non plus qu’ils distinguent entre l’influence de la France et celle des Français, qu’ils proposent des visions d’avenir distinguant, dans une Europe qui s’intègre, les modalités d’influence d’un Etat et celles d’un peuple et des citoyens qui le composent. Surtout pas !

Car le peuple, les citoyens, ça n’est pas eux ; c’est même plutôt quelque chose qui les inquiète, voire qu’ils trouvent menaçant. Alors il est essentiel de maintenir l’illusion que l’influence d’un pays, d’une culture, d’un peuple doit absolument passer par le vecteur de son Etat, donc par eux ; d’où l’importance de continuer à maintenir le « mythe » de l’importance fondamentale du rôle du président français.

Car il s’agit bien désormais d’un « mythe ». Pour s’en convaincre, il suffit d’analyser deux paramètres essentiels qui déterminent l’importance de cette élection, à savoir la qualité des compétiteurs, et ce qu’elle peut vraiment changer.

Il s’agit bien ici de regarder la réalité, et non pas de faire un cours de droit constitutionnel pour étudiants de Sciences-Po[1], et donc de briser l’apparence du discours politique ou la « mystique présidentielle » issue de l’époque gaullienne.

Commençons par le second paramètre, l’importance des enjeux. Chacun peut constater que depuis une décennie, la capacité d’action d’un président français sur les enjeux majeurs constitués par l’économie, les relations extérieures et la société s’est considérablement réduite.

L’euro et le marché intérieur font que son gouvernement (celui du Premier ministre qu’il nomme) dépend essentiellement de Bruxelles et de Francfort pour déterminer le cadre de sa politique économique. Un président français n’arrive même plus à faire baisser un taux de TVA !

L’exemple de la crise irakienne a montré qu’il n’est plus possible à la France d’agir ou de réagir seule. Il lui faut désormais être associée à au moins un autre grand Etat, comme l’Allemagne, pour pouvoir espérer peser sur les évènements. Et en matière militaire, de l’Afrique aux Balkans ou à l’Afghanistan, c’est au sein soit de l’UE, soit de l’Otan qu’elle est in fine obligée d’agir (du fait notamment des contraintes financières et logistiques). Et les récentes gesticulations nucléaires du président français en exercice prouve son impuissance dans la crise iranienne.

Enfin, en terme de société, entre l’espace ouvert européen qui fait que ce qui existe dans l’un des 25 Etats-membres est rapidement importé en France (ou l’utilisateur français s’exporte vers ce pays)[2], et la globalisation des modes et des idées, on voit mal sur quoi désormais le président de la République française peut réellement influer, à part lancer des pistes de réflexion, ou, et ce sera certainement l’un des rares succès des deux mandats de Jacques Chirac, faire baisser le nombre de tués sur la route[3].

En résumé, l’influence réelle du président français qui sera élu en 2007 ne sera que l’ombre de celle du président de la République créé par de Gaulle et dont Mitterrand fut certainement la dernière incarnation (et encore essentiellement dans les années 1980)[4]. Je n’ai ni regret, ni satisfaction à le constater. C’est seulement un diagnostic que je crois utile à la compréhension des futurs enjeux politiques européens et à la définition de nouveaux processus démocratiques de décision pour l’UE.

Alors tournons-nous maintenant vers les compétiteurs. Qu’ils soient partis politiques intervenant en soutien aux candidats, ou ces candidats potentiels eux-mêmes, de nombreuses différences avec les élections présidentielles précédentes concourent toutes à renforcer/signaler cet affaiblissement structurel de la présidence française.

D’une part, les partis des candidats potentiellement éligibles[5] (en fait les partis dits de gouvernement) représentent collectivement une part décroissante de l’électorat. L’arrivée de Le Pen au second tour des présidentielles en 2002 comme l’échec récent du référendum sur le projet de constitution européenne illustrent bien l’incapacité croissante de l’ensemble de ces partis à parvenir à rassembler, tous ensemble, une majorité de citoyens[6]. Ce qui montre que le futur président aura une base électorale très réduite, autour de 15 à 20% maximum de l’électorat (ce qui était déjà le cas de Jacques Chirac en 2002). Il aura donc une légitimité politique très faible. Et je n’envisage même pas ici le cas d’une « cohabitation » qui dans le nouveau cadre du quinquennat aboutirait à l’effacement pur et simple du président.

D’autre part, les personnalités en lice ont pour caractéristique d’avoir surtout une dimension politique essentiellement médiatique, et plus précisément parisienne (télévision et presse écrite nationale). Or, on a pu voir à l’occasion des présidentielles de 2002 comme lors du référendum de mai dernier, que la mobilisation massive du pôle médiatique parisien n’a servi à rien pour empêcher des résultats contraire au choix de ce même pôle. En clair, pour un politique, avoir la cote à TF1 ou au Monde non seulement n’assure plus automatiquement la victoire, mais semble même pouvoir être un indice de défaite.

Ainsi, les candidats potentiels à la présidentielle française de 2007 semblent tous appartenir à la race des politiques qui croient leurs propres communiqués de presse, phénomène typique des « enfants d’appareil », des « apparatchiks », ayant fait toute leur carrière au sein des appareils de partis pré-existants ou/et de l’appareil d’Etat ; et non pas en imprimant leur marque dans la réalité politique de la société[7]. Les candidats des partis de gouvernement ont tous une logique d’héritiers et non pas de fondateurs, de pionniers ou de créateurs. Ils ont fait leur carrière en grimpant les barreaux des échelles de leur parti, et non pas en répondant de manière innovante aux défis de la société ou aux attentes des électeurs.

Ils (ou elles) sont donc en grande partie des phénomènes médiatiques[8], à un moment où ces mêmes médias qui les promeuvent sont en perte de vitesse et de crédibilité, comme le montre, par exemple, l’effondrement de la presse écrite parisienne. L’Internet est le vrai média qui monte, et sur ce média-là, pourtant, ils ne sont au mieux que des figurants de second ordre.

Ils appartiennent également à une génération politique qui sans jamais avoir rien construit elle-même, n’aspire depuis une quinzaine d’années qu’à une seule chose : prendre le contrôle des partis existants, pour ensuite essayer de prendre le contrôle de l’appareil d’Etat et ensuite remercier les forces qui les ont aidés à le faire. On est ici très loin de la moindre vision politique de long terme !

Pour bien comprendre la différence que cette situation introduit, il suffit de faire une comparaison avec le sport auquel les compétitions électorales sont souvent comparées. N’avoir que des « héritiers » ou des « apparatchiks » en lice, c’est comme si la participation des sportifs aux Jeux olympiques n’était pas le fruit d’une sélection basée sur les résultats individuels des athlètes dans les mois qui précèdent la compétition, mais seulement due à leur désignation par les responsables de leurs fédérations nationales respectives ou par les journalistes sportifs. On aurait donc des compétitions, non pas entre les meilleurs spécialistes du moment dans chaque discipline, mais entre les lobbyistes les plus efficaces de chaque fédération nationale, ou les meilleurs copains des médias. Vous imaginez aisément la qualité sportive de telles compétitions ! Et pourtant, il y aurait bien à chaque fois un gagnant qui recevrait la médaille d’or. C’est exactement la situation qui prévaut désormais dans les élections présidentielles françaises.

Leurs divergences politiques sont ainsi nécessairement limitées, puisqu’ils sont choisis par d’autres forces que celles censées concourir à une élection démocratique, et la réalité européenne les contraint à se positionner sur des thèmes à portée restreinte. On risque ainsi de voir se dégager pour 2007 deux grandes écuries de candidats potentiellement éligibles :

. ceux dont le contenu se réduira essentiellement à la question sécuritaire, et qui seront attaqués comme des menaces pour les libertés publiques

. ceux dont le contenu se réduira à une défense des acquis sociaux et qui seront attaqués comme des menaces pour l’économie du pays.

Cependant, l’abaissement à un rôle d’ « acteur-président » de la fonction présidentielle française a une conséquence bien réelle, dont on a vu l’effet au premier tour des élections de 2002 : puisque les « vrais candidats » semblent de plus en plus manquer de projet politique sérieux, alors pourquoi l’électeur se priverait-il du choix de candidats dits « moins sérieux », comme les extrémistes en tout genre ? Ainsi, rien ne permet d’affirmer aujourd’hui que des candidatures dites marginales ou irréalistes, c’est-à-dire, issues d’autres origines que les partis de gouvernement et l’appareil d’Etat, ne viendront pas bousculer cet affrontement programmé.

Ainsi, l’effet « référendum 2005 » pourrait se traduire par une surprise à la droite de la droite, avec de Villiers récupérant les bénéfices électoraux des campagnes Le Pen et Sarkozy. Tout est donc très ouvert, dans un jeu de second ordre, puisque de toute façon l’enjeu de l’élection présidentielle ne peut plus être l’avenir du pays qui est désormais (et c’est une chance) arrimé à celui de l’ensemble européen, mais seulement celle d’un clan et de sa clientèle pour le contrôle de l’appareil d’Etat et de ses prébendes.

Pour l’avenir de la France et des Français, comme pour celui de leurs 440 millions de concitoyens européens, ce sera donc en juin 2009 que les choses se joueront, car c’est alors que les mêmes forces, qui limitent désormais l’influence du plus puissant (potentiellement) chef d’exécutif des 25, seront en fait soumises à un débat à leur taille, celle du continent.

Dans un but de pédagogie européenne[9], Newropeans appliquera donc à chaque candidat et à chaque parti sa grille d’ « eurocompatibilité », pour que chaque électeur puisse se faire une idée de la pertinence des programmes des uns et des autres à l’aune de l’intérêt collectif européen. Si depuis 25 ans les classes politiques nationales abusent des élections européennes, pour les détourner au profit de leurs enjeux nationaux, il n’est pas mauvais que désormais la classe politique trans-européenne émergente utilise les élections nationales pour faire de la pédagogie européenne.



[1] Etant un ancien de Sciences-Po, loin de moi l’idée de jeter la pierre à mes congénères, même si l’on doit reconnaître que Sciences-Po depuis une décennie semble avoir complètement raté sa modernisation en tentant de copier piteusement les formules MBA à l’américaine, alors qu’elle avait un destin européen tout tracé. La baisse de qualité de Sciences-Po, et son formatage intellectuel croissant mêlant « politiquement correct » et conformisme intellectuel, sont même devenus un thème abordé dans les milieux diplomatiques à Paris, pourtant peu portés au non-conformisme. C’est dire !

[2] Que ce soit la drogue en vente libre chez certains de nos voisins, le mariage homosexuel, les produits moins chers, les images en tout genre, ... le concept même de contrôle des frontières, au sein de l’UE, n’existe plus que dans la rhétorique illusoire de MM. Le Pen, De Villiers et Sarkozy.

[3] Ce qui est une bonne chose en soi mais relativise fortement le mythe du président français, « monarque élu ». On est loin du Roi Soleil. Mais c’est bien la tendance, puisque les candidats potentiels semblent centrer leurs futurs programmes sur des idées du même ordre : faire baisser le taux de criminalité, accroître le montant du RMI ou du SMIC, faire respecter des quotas d’immigration. Ce sont des positionnements de technocrates, pas de politiques.

[4] Sauf bien entendu sur les aspects provinciaux de ses prérogatives (nominations, médailles...).

[5] Quoique depuis 2002, l’électorat nous ait appris à être surpris par les résultats de qui est in fine « éligible ».

[6] Et ce n’est pas la course ridicule au nombre de membres, à laquelle se livrent actuellement les partis français, qui va changer la donne fondamentale : ils sont en panne d’électeurs. Le « bon » nombre de membres d’un parti politique, c’est le nombre qui lui permet à un moment donné d’atteindre ses objectifs. Sinon, il transforme ses membres en clients passifs uniquement destinés à faire nombre dans les meetings ou dans des indicateurs chiffrés, et rien d’autre. Ce qui est faire peu de cas du rôle citoyen d’une personne engagée dans un mouvement politique.

[7] Ce que n’étaient pas d’ailleurs les présidents que les Français semblent juger les plus importants de la Ve République, à savoir de Gaulle et Mitterrand.

[8] La dernière en date étant Ségolène Royal.

[9] Comme Newropeans commencera à le faire dès la mi 2006 lors de toutes les élections nationales dans l’UE, d’ici 2009. Le fait que Newropeans ne se présente pas aux élections nationales et locales n’implique pas que Newropeans restera passif lors de ces scrutins. Sans choisir aucun parti ou candidat, Newropeans développera un outil simple d’analyse permettant à chaque citoyen de se faire une idée sur le degré de compatibilité entre les programmes nationaux en lice et la vision européenne d’avenir de Newropeans. Comme l’Europe est devenue un élément central de l’avenir de chacun de nos pays, il est en effet important de pouvoir la faire entrer, de gré ou de force, dans les débats des politiciens professionnels nationaux, et il est probable que, dans chaque Etat membre, 10% de l’électorat soit intéressé par cette mesure de l’ « eurocompatibilité ».


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