Carnet de route. Thaïlande 3. Les étoiles sont des lucioles

par Ariane Walter
vendredi 4 mars 2011

Doit-on accabler le tourisme de masse ?

Tant de gens partis en vacances qui ne seraient jamais partis…

Tant de pays qui vivent grâce au tourisme..

Mais aussi… tant de côtes sublimes dévastées.

Tant de peuples envahis, privés de leur identité, roulés dans le folklore.

 Entre les deux…

Il était peut-être possible d’offrir des vacances à tous sans bétonner l’espace et la beauté ? Sans imposer des architectures ou des modes de vie qui n’ont rien à voir avec ce que des peuples autochtones auraient pu inventer ?

 Le camping après tout n’était pas une mauvaise idée…

Je me souviens de mon premier départ en camping. Mes parents avaient une voiture depuis peu. On avait acheté tout le matériel. C’était tellement excitant. Et puis dormir dans la nature, quelle merveille !

Puis à nouveau le tourisme de masse…Des campings bourrés…

Il y eut alors les beaux apparts sur la Costa Brava.

La mal vient de cette idée, pourtant simple : que chacun ait son balcon sur la mer. Pendant des siècles, dans les villes, les pauvres ont rêvé aux balcons des riches et tout à coup tout le monde a le sien. Même dans les HLM. « Balcon avec vue ». Le voilà le cancer de l’architecture populaire et moderne. Mais pour voir quoi ?

 Aurons-nous droit à un nouveau monde quand il faudra tout détruire et reconstruire ? Respectueusement ? Discrètement ?

De mes quelques voyages, je dois reconnaître que Les Seychelles, qui ont choisi le « tourisme chic » sont, et de loin, mon île préférée. L’île intacte. Aucun hôtel au-dessus des palmiers et vu le prix du billet d’avion une sélection qui évite la marabunda des touristes.

 Les Seychelles sont aussi immenses que Venise. Où que l’on tourne la tête, tout est beau.

Je préfère ne plus jamais les revoir plutôt que de les savoir massacrées et offertes à tous.

Il y avait beaucoup d’Italiens aux Seychelles quand j’y étais. La Mafia qui venait se reposer après quelques bons coups ?

Qui constitue la clientèle de ces hôtels de luxe ? De quoi vivent-ils ? De la drogue, de la prostitution, du commerce carnassier, des lobbies venimeux ? Des hold- up légaux de banques ?

Mais revenons en Thaïlande :

Koh Tao, Koh Phangan, Koh Samui, trois jolies îles du golfe de Thaïlande, ont été sacrifiés sur l’autel des vacances pas chères. Elles appartiennent à cette ceinture tropicale qui fait rêver les Européens transis. Ah ! Quand on se caille dans le métro voir l’affiche d’une pin-up au bord de la mer ! Se baigner et bronzer en janvier et en février ! En profiter vite tant que le prix du gas oil le permet ! Un rêve !

Je signale cependant qu’il y a deux situations tout aussi détestables l’une que l’autre : se geler à Paris en février et se faire tirer dessus au bazooka par le soleil dans les îles ! 38° sous les tropiques, ça fait aussi suer le burnous !

Pauvre humanité toujours victime des extrêmes !

Quand on débarque à Koh-Tao, sur un quai bondé de touristes, valises à la main, au milieu des cris des taxis qui appellent le chaland, dans une sorte d’Ibiza des tropiques, l’amoureux de la nature se sent mal.

 Il y a pourtant sur ces trois îles des coins tranquilles où l’on peut se réfugier. Pour atteindre notre hôtel le « Point View Resort », recommandé par un livre que je recommande « The natural guide » (Pages du Monde), il nous faut affronter les montagnes russes d’une piste plus défoncée que celle d’un Paris-Dakar. Puis c’est la découverte d’un hôtel familial très sympa.

 Quand on arrive, ni groom, ni hall spacieux, on débarque dans un espace qui sert pour tout : c’est l’ère d’arrivée mais aussi la cuisine en plein air, le lieu de repos du personnel qui épluche des légumes en bavardant, pendant que d’autres pouponnent d’adorables bébés. Les toits sont de tôle, la maison de bambous et de bois, mais à l’écart du bruit et de la foule.

Avec sa petite anse Seychelloise marquée de gros granites, le lieu est sublime. La salle à manger sur la mer, un endroit de rêve. La chambre avec ventilateur et moustiquaire sans moustic, avec sa terrasse en bois face à la baie, une arrivée qui émerveille. Bon plan « The Natural guide » Merci !

Notre chambre, magnifique, vaut 36 euros la nuit.

Il y a aussi, dans cet hôtel, des « villa pool » à 200 ou 300 euros. Je les ai visitées. Elles sont incroyables avec leur piscine à débordement, leur immense salle de bains dans la nature et leur vue sur la baie.

Mais je ne peux m’empêcher d’imaginer la tête des voyageurs qui ont réservé ce petit paradis quand ils découvrent l’aire d’arrivée qui fait très « bonne franquette », avec vue directe sur la cuisine, bordel assumé de tuyaux et de câbles. Ils doivent avoir un choc. Et soudain au sommet de la colline, la beauté dont on rêve et que l’on peut toucher.

A mon avis, vu le prix, ils ne doivent plus sortir.

Nous passons trois jours à Koh-Tao à nous baigner, à nous faire masser et à manger. Tout est délicieux sauf…

Lors d’une sortie snorkelling, cette plongée du pauvre, sans rapport avec ces aristocrates des mers que sont les plongeurs à bouteille, je manque servir de friskies à un gros poisson.

Pourtant dieu sait si l’affaire paraît sans danger. Nous sommes trois sur un petit bateau. Seul risque : le soleil qui vous repasse les épaules comme un fer puissance 12. On nous indique un des rares endroits où les coraux ont des airs de survivants et nous découvrons une sorte de chandelle absolument éblouissante avec des papillons de couleurs, des poissons étonnants. Je crois toujours en Dieu quand je découvre l’immense variété des oiseaux et des poissons. Il y a de l’Art dans l’air ! Et si la seule évolution invente ces merveilles, Dieu s’appelle Evolution, tout simplement !

Comme je fais du snorkelling une fois tous les dix ans, ma dose d’émerveillement est intacte. Quelle beauté le ciel de l’eau, si proche, alors que le nôtre est si lointain. Ils en ont de la chance les poissons de pouvoir sauter, de leur vivant, dans l’autre monde !

Ah ! Les dessous de la mer, cette exquise féminité bleutée, ces variations de ciel ondulant, cette impression d’un monde calme et beau. Hum…hum… Moi et ma poésie à deux balles, nous allons souffrir.

Dès que je mets le nez sous l’eau je remarque un gros poisson tout rond, bien plus gros que les autres avec de jolies couleurs qui me tourne autour. Je lui ai fait signe, je lui souris, pauvre idiote, puis je vais nager ailleurs. C’est quand je rentre qu’il attaque. Un grand choc dans les jambes et comme je me demande si j’ai heurté un rocher, il me saute sur le gros orteil qu’il tente de gober d’un grand coup de dent. Oui ! Les poissons aussi aiment les sushis !

Je vais me battre vaillamment car l’animal m’attaque à cinq ou six reprises. Les dents de la mer ! Je saigne comme un goret.

De retour sur terre, je suis l’objet des attentions et des commentaires. Qui est le bandit ? Ce serait un « Titan », qui défend son territoire. Alors, s’il défend son territoire, il est tout de suite plus sympathique ! A la pharmacie nous avons droit au récit de toutes les attaques ignominieuses de ces Titans. Aux uns ils explosent les lunettes, aux autres ils mordent les joues ou la bouche, l’amour vache, au plus heureux ils dévorent les palmes…

Encore un problème de l’immigration. Ils en ont ras les ouïes, ces pauvres poissons de voir ces grosses bestioles pâlichonnes, même pas de jolies écailles, qui viennent leur empoisonner la vie ! Pas un jour tranquille sur leur joli rocher ! Sans compter ceux qui les flinguent. Alors de temps en temps, ils font péter un coup d’autorité. J’ai été la victime, mais pas que moi ce jour-là, de cette révolte à l’arabe contre les Tout Puissants qui gâchent tout !

J’accepte mon destin de victime expiatoire !

 « Laissez vivre en paix les poissons ! »

 

Trois jours après nous repartons. A nouveau le fameux port de Koh-Tao. La foule des vacanciers bouffés par les Titans, la bière et le hasch. Dur, dur d’être un touriste. Comme personne n’a l’air bien réveillé, les uns allant à Koh- Phangan, les autres à Koh-Samui, les autres à Sura-Tanit, la société des transports a mis au point un sytème de tri des touristes qui vaut celui des poulets dans les fermes . Dès qu’on arrive on vous colle une pastille sur la poitrine selon votre île de destination. On sent bien qu’ils ont compris le niveau du touriste après quelques jours ici. Il ne faut pas compter sur lui pour réfléchir. Même chose pour les valises et pendant tout le voyage on parque les jaunes avec les jaunes, les roses avec les roses et un temps avec les mauves. Où que l’on aille, quelqu’un regarde votre couleur et vous dirige vers le bateau ou le car qui vous est destiné. C’est un exode remarquablement organisé. Tente-t-on de s’échapper il y a aussitôt un gardien qui vous rabroue et vous indique votre lieu de parking.

 

Vers six heures du soir nous sommes arrivés à Suratanit, ville qui ressemble à toutes les villes vilaines de la planète. Et il y en a beaucoup. Notre hôtel, recommandé par « The Natural Guide » a une piscine « naturelle » qui pour 30 euros la chambre pour trois n’est pas mal.

Quelle pilule, cette journée de transfert, d’odeurs d’essence, de bateaux qui vous fichent la gerbe !

N’y aura-t-il pas un petit dessert sympa pour oublier tout ce Macdo ?

Si, justement ! Merci à toi Ô Dieu des touristes épuisés !

Ma fille a remarqué une excursion : « A la découverte des lucioles ». Ma foi. Pourquoi pas. C’est un Thaïlandais qui tente de créer une activité. Nous sommes partants.

L’hôtel téléphone pour nous et il se trouve que c’est possible pour le soir même. Parfait.

Je ne sais pourquoi avec mon imagination débordante, j’imagine un bateau qui se promène le long des canaux avec des voiles de tulle. (Ne me demandez pas pourquoi. Dans mon esprit le mot « luciole « ne peut être qu’accompagné de grâce et de légèreté.) Une excursion pour gens romanesques…

A sept heures un tuk-tuk doit venir nous prendre mais niet. L’hôtel a oublié de le commander. Qu’à cela ne tienne, ils passent de l’autre côté de la rue. Ou plutôt du périph. Car même à Surathani, il y a un périph. C’est une ville moderne qui a pour ambition d’imiter toutes les tares de l’Occident. Sans limitation de vitesse. On voit même, curiosité, un élephant qui se traîne au milieu de ce tohu-bohu avec des feux rouges accrochés à sa queue ! J’aurai vu un éléphant à warning !

Quand nous avons traversé, l’émerveillement continue. Nous sommes sur le parking d’un supermarché genre Auchan. Les gens ont l’air heureux avec leurs caddies. Pas autant que nous lorsque nous découvrons la station de tuk-tuk. Le chauffeur à qui nous montrons l’adresse des « Lucioles » a l’air perplexe. Ce n’est pas, visiblement, une grande attraction internationale. Il discute pendant cinq minutes avec ses potes puis nous partons, pétaradants, sur ce fameux périph, un peu inquiets tout de même. Où va-t-il nous amener ??? Trente minutes de tuk-tuk dans une ville surchauffée et commerçante qui déborde de marchés et de grands magasins. C’est fou ce qu’ils ont besoin de matelas et de lavabos. Certaines rues comme dans certains faubourgs d’Athènes sont vouées à telle marchandise, des lustres par exemple ou des divans. Oh ! Découverte de l’étrange !

Lorsque le tuk-tuk s’arrête, mama mia, nous sommes près d’un fleuve noir dans un endroit désert qui ressemble à ce genre de décor qui sent, dans les films taïwanais, l’attaque des héros par une triade féroce. Quelques vagues lumières qui n’ont rien de lucioles, et moi qui n’aime pas le tourisme de masse, je suis servie : pas un touriste !!

On nous fait descendre près du fleuve sur un ponton en fer qui tient par miracle et sort alors de l’obscurité, un de ces fameux long-tails, ces bateaux de pêcheurs qui servent aussi à pêcher le touriste. Je pense que c’est un long-tail qu’ils ont sorti exceptionnellement d’un musée de la marine antique d’Ayutayah. Il servait alors à transporter les poulets. Ou les cochons. Le conducteur de ce noble bâtiment est vérolé jusqu’à l’os, (un film, je vous dis) maigre comme un clou. Il doit vivre dans un tonneau, à quelques mètres de là.

Monter sur ce bateau, dans ce cadre, avec ce driver, est aussi audacieux que de braquer la banque d’Angleterre avec un pistolet à eau.

Mais bon, nous nous installons. Le bateau, noir, glisse sur le fleuve noir. Le ciel est noir. Ca ne peut que s’améliorer.

Je dois dire qu’au milieu d’une telle accumulation d’avatars, après une telle journée de transfert mazouté et étiqueté, je suis prise d’un fou rire nerveux. Je comprends soudain que notre tuk-tuker , ignorant tout de ces lucioles, nous a livré à un de ses potes qui va nous faire faire un tour d’une heure sur le fleuve puisque c’est ce que nous avons négocié. Une heure….

A un moment, tous trois, nous explosons de rire. Soudain le gondolier nous indique l’eau avec sa lampe..ce qui fait évidemment des jolis effets ! Sont-ce les lucioles ???Non ! Il veut simplement nous faire remarquer une corde qui court le long du bateau et à laquelle nous ne devons pas toucher car il en a besoin pour naviguer ! Tout ceci en Thaïlandais car notre guide ne parle pas un mot d’anglais même pas hello ! Ce qui est trop drôle, ce qui nous plie en deux, c’est que pendant un moment nous étions prêts à croire qu’il y avait des lucioles sous l’eau !

 Et soudain, incroyable mais vrai, nous découvrons les fameuses lucioles !

Il y en a au moins une vingtaine qui clignotent sur leur arbre ce qui nous saisit de l’admiration la plus absolue. Nous devons être assez ridicules avec nos cris d’extase pour vingt lucioles mais nous sommes surtout rassurés. C’est bien la fameuse attraction et nous n’allons pas être les lucioles de la farce !

Mais ce n’est qu’un début. L’apothéose approche ! Le souvenir des souvenirs qui, pour toujours , miroitera dans nos coeurs !

Le yin succède toujours au yang, c’est la loi de la vie !

Ce malheureux bateau percé fait un demi-tour, nous amène vers une île couverte d’arbres et là, magie absolue : les arbres croulent sous les lucioles. On se croirait à Noël sur les Champs ! Le bateau s’arrête et se plante dans la boue de la rive. Nous sommes couronnés de lucioles. Elles volent vers nous, se posent sur nous, s’envolent. On se croirait dans un film de Walt Dysney. C’est un moment d’enfance au-delà de la beauté.

Mais comment se fait-il que nous n’ayons plus de lucioles chez nous ? Et de vers luisants ? Alors quoi ? Plus d’abeilles, , plus de coccinelles, plus de papillons ? (Le lendemain dans la jungle je verrai des essaims de papillons en goguette.) C’est Monsanto qui a tué ces merveilles ? Ou c’est nous, l’espèce qui n’en finit pas de grossir et qui va finir par imploser et exploser, laissant enfin ce pauvre monde tranquille ?)

Le bateau fait demi-tour, nous sommes face à la ville, mais très lointaine… Ce n’est qu’une lueur qui offre la courbe du fleuve.

Un denier regard aux lucioles, les yeux levés

Et là, soudain, dans un déchirement de l’arbre, sous la galaxie des lucioles, les étoiles, les vrais scintillent elles aussi. Je pense à un extrait des « Nourritures terrestres » , où ayant assisté à un feu d’artifice, Gide découvre dans la chute des lumières, des éclats d’étoile dont il se demande si elles sont création du spectacle, promises à disparition, ou éternelles promises du ciel.

Oui, c’est pour de tels instants que l’on voyage. Pour savoir que l’on vit, ici et maintenant, dans le monde de l’Infini absolu ! Ces étoiles sont si brillantes dans un ciel si noir, fruit ultime d’un château de lucioles , et comme le bateau rejoint le fleuve, il fait naître une onde gonflée sur laquelle se reflète la nuit, parcourue par de grenouilles qui sautent, en jouant de leurs ricochets.

Mais ce n’est pas fini.

 Notre adorable guide, oui nous l’avons découvert car c’est un passionné de lucioles et dans l’obscurité nous avons échangé nos yeux brillants, donc notre Cicerone, rassuré parce qu’il a affaire à des touristes gentils et nous de même parce qu’il ne veut pas nous noyer dans la nuit, notre guide, donc qui nous a même offert des lucioles dans un sachet plastique, lesquelles ont été discrètement libérées, nous fait traverser un quartier populaire sur le fleuve.

Il n’y a que des ombres fantasmagoriques, des façades bizarres qui défient l’ordre et le désordre avec parfois, des gens sur leurs balcons. Comme on leur dit bonjour, ils répondent en riant. (Ils doivent se dire : « Mais quels fous ! ») Encore de beaux poissons dont on visite les rochers !

Soudain d’une maison, une femme qui porte un bébé nous voit et se précipite pour nous saluer faisant dire bonjour à l’enfant.

On ne lui a pas dit que nous étions la peste et le choléra ? Elle nous prend pour de riches sauveurs ?

Mais ce sont des pensées qui passent aussi vite que des herbes sur le fleuve.

Il ne reste que ce geste, ce salut, cette ombre gracieuse découpée sur une fenêtre, cette amitié d’une seconde qui dans le vaste ventre qui engendre les secondes, bonnes ou mauvaises, est le don qui tient la Vie en équilibre.

Peut-être sur un mot que je dirai, un jour, toute vie disparaîtra.

C’est une légende.

Le Bien porte le monde et chacun de nos actes lui permet de flotter ou de couler.

 

Demain la jungle à Kao-Sok !

 

(Je ne suis pas exactement notre itinéraire qui a été :

Bangkok-Ayatayah-Kantchanaburi, Sanklaburi-Chumphon- Koh-tao. Surat-Thani (son périph et ses lucioles) et demain la jungle de Kao-Sok !)


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