Benoît XVI : gaffeur ou clairvoyant ?
par Capreolus
mardi 19 septembre 2006
La violence des réactions du monde musulman au discours de Benoît XVI, le silence gêné de nos intellectuels... Pourquoi exige-t-on du pape des excuses que l’on n’a pas demandées à l’Iran après ses déclarations sur Israël ?
Le problème de fond me semble être le rapport à la rationalité. On entend souvent dire que la religion, ne relevant pas du rationnel, doit d’une part être confinée à la sphère privée, et d’autre part considérée comme irrationnelle, c’est-à-dire contraire à la raison. Le propos du pape est de montrer comment la confiance mutuelle entre la foi et la raison est au fondement de notre civilisation, ce qui exclut la légitimation de la violence par la foi.
Or, dans ce discours de Ratisbonne, il faut bien considérer deux éléments.Le premier est que le pape s’exprime dans une université, dont il dit qu’elle est le lieu d’une « expérience d’universitas [...] c’est-à-dire l’expérience du fait que nous tous, malgré toutes les spécialisations, qui parfois nous rendent incapables de communiquer entre nous, formons un tout et travaillons dans le tout de l’unique raison dans ses diverses dimensions, en étant ainsi ensemble également face à la responsabilité commune du juste usage de la raison ». Le discours du pape ne se veut pas ici d’abord religieux, c’est-à-dire soumis à une autorité religieuse. C’est au contraire la théologie, dont le rôle est de s’interroger « sur la dimension raisonnable de la foi » qui est présentée ici comme une oeuvre de la raison, la même raison qui s’exerce dans les autres savoirs.
La seconde chose à considérer est que la confiance envers la raison conduit à admettre la discussion rationnelle avec celui qui nie Dieu. Car avec l’athée lui-même, il doit être possible de faire cette expérience d’universitas. C’est reconnaître dans l’athéisme le même mouvement vers la rationalité que celui qui anime le théologien, ce qui rend possible le dialogue (dia-logos) et le respect mutuel.
Or, pour vrais qu’ils soient, ces propos seraient insuffisants si l’on ne posait pas le problème suivant : « La diffusion de la foi à travers la violence est-elle une chose contraire à la foi ? ».
Afin de répondre à cette question, Benoît XVI est obligé de faire la distinction entre la foi chrétienne et celle des autres religions.
Pour souligner la force avec laquelle la tradition chrétienne a toujours affirmé l’opposition entre foi et violence, il rapporte une conversation assez ancienne entre un empereur byzantin et un Persan.Ce qui va l’intéresser dans cette conversation, c’est l’argument qu’utilise l’empereur : la violence est en opposition avec la nature de Dieu et la nature de l’âme.
Si l’on pousse un peu l’analyse de la manière dont Benoît XVI utilise le passage, qui est en fait à l’origine du malentendu, on s’aperçoit qu’il faut n’être pas très fin pour s’en offusquer. Le faire dénote un manque de culture flagrant.Le pape, en effet, cite les propos de l’empereur, dont la lecture a été seulement pour lui l’occasion de la réflexion qu’il développe : « L’empereur, avec une rudesse assez surprenante qui nous étonne, s’adresse à son interlocuteur simplement avec la question centrale sur la relation entre religion et violence en général, en disant : ’’Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau, et tu y trouveras seulement des choses mauvaises et inhumaines, comme son mandat de diffuser par l’épée la foi qu’il prêchait’’. L’empereur, après s’être prononcé de manière si peu amène, explique ensuite minutieusement les raisons pour lesquelles la diffusion de la foi à travers la violence est une chose déraisonnable. » Le contexte de la citation suffit à montrer que le pape ne se l’approprie pas, mais situe seulement la discussion qui a eu lieu, et qui ne l’intéresse qu’à propos du rapport entre raison et foi. Nous sommes bien là dans un style universitaire.
Ce qui intéresse le pape dans cette discussion, c’est donc cet argument central : la violence est contraire à la foi parce qu’elle est contraire à Dieu. Suivent quelques remarques, empruntées à d’autres, sur le statut différent de la raison dans l’islam : « L’éditeur Théodore Khoury commente : pour l’empereur, un Byzantin qui a grandi dans la philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, en revanche, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n’est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle du raisonnable. Dans ce contexte, Khoury cite une œuvre du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui explique que Ibn Hazn va jusqu’à déclarer que Dieu ne serait pas même lié par sa propre parole et que rien ne l’obligerait à nous révéler la vérité. Si cela était sa volonté, l’homme devrait même pratiquer l’idolâtrie. »Benoît XVI parle ici en universitaire : il renvoie son lecteur aux travaux de spécialistes reconnus, sans d’ailleurs prendre partie explicitement. Le lecteur simplement intelligent aura compris que le pape ne répète pas ces paroles comme pour les affirmer à nouveau pour son propre compte, mais seulement pour présenter les visions du monde qui s’opposent. Il aura aussi compris que le pape se démarque de l’islam décrit par ces spécialistes, sans préjuger qu’il s’agit de l’islam réel.