L’immortelle du Zugzwang : quand chaque coup devient une faute

par Franck ABED
mardi 10 juin 2025


 

Dans l’histoire des échecs, certaines parties traversent le temps non pour la beauté des combinaisons tactiques ou le brio des sacrifices spectaculaires, mais pour leur rigueur stratégique implacable. C’est le cas de l’« Immortelle du Zugzwang », jouée en mars 1923 lors du tournoi de Copenhague. Elle opposa le maître allemand Friedrich Sämisch, avec les Blancs, au célèbre théoricien letton Aron Nimzowitsch, qui jouait les Noirs.

Cette partie est souvent citée comme un chef-d’œuvre de logique positionnelle, une leçon magistrale sur l’art d’étrangler progressivement l’adversaire jusqu’à le plonger dans une position de zugzwang, c’est-à-dire une situation où tout coup légal affaiblit irrémédiablement sa position.

Un chef-d’œuvre de stratégie

Nimzowitsch, figure emblématique de l’école hypermoderne, adopte dans cette partie un style méthodique et patient. Il accumule les petites pressions, contrôle les cases clés, limite la mobilité des pièces adverses, et prépare lentement un étau dont Sämisch ne parviendra jamais à se libérer.

Le génie de Nimzowitsch tient ici dans sa capacité à forcer un zugzwang en milieu de partie – une prouesse rarissime. Habituellement, ce type de contrainte apparaît dans les finales techniques. Or ici, c’est dès le 25e coup que Nimzowitsch paralyse complètement son adversaire. Un simple pion noir, avancé en h6, suffit à clore la partie. Les Blancs n’ont plus aucun coup utile : avancer aggraverait leur situation, reculer reviendrait à capituler.

Pourquoi cette partie est-elle « immortelle » ?

Elle l’est parce qu’elle incarne tout ce que Nimzowitsch a voulu enseigner dans ses écrits, notamment dans son ouvrage fondamental Mon système : la prophylaxie, le contrôle central indirect, le développement souple, et la pression constante plutôt que l’assaut brutal.

Le zugzwang ici n’est pas seulement une situation technique : c’est le fruit d’une stratégie construite sur vingt coups. Nimzowitsch n’a pas cherché la destruction rapide, il a visé l’asphyxie progressive. Cette approche exige sang-froid, anticipation, et une parfaite compréhension des faiblesses structurelles de l’adversaire.

Une leçon pour notre époque

Cette partie est plus qu’une prouesse échiquéenne. Elle est aussi, en un sens, une métaphore politique. Elle nous montre que la patience, la rigueur et la lucidité peuvent l’emporter sur l’agitation vaine ou les coups d’éclat précipités. Nimzowitsch gagne non pas parce qu’il frappe fort, mais parce qu’il frappe juste — et au moment décisif.

À méditer...

 

 


Lire l'article complet, et les commentaires