Le Thorium : la révolution énergétique et nous ?
par politzer
mardi 10 juin 2025
Le Thorium et Nous
Dans un monde en quête d’énergies propres, le thorium, ce métal radioactif abondant, suscite un regain d’intérêt. Ses promesses – sécurité, faible production de déchets, durabilité – pourraient redéfinir notre avenir énergétique. Pourtant, alors que la Chine avance à grands pas, la France, jadis leader du nucléaire, semble à la traîne. Pourquoi ? La réponse réside non seulement dans des choix stratégiques, mais aussi dans les limites d’une société capitaliste qui peine à s’engager dans des projets nécessitant une intervention massive de l’État.
Le Thorium : un potentiel freiné par le marché
Le thorium, trois à quatre fois plus abondant que l’uranium, peut alimenter des réacteurs nucléaires, notamment les réacteurs à sels fondus (RSF). Ces derniers offrent des avantages majeurs :
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Sécurité : Leur conception à basse pression réduit les risques d’accidents graves.
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Déchets réduits : Les sous-produits radioactifs ont une durée de vie plus courte.
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Abondance : Les réserves mondiales pourraient fournir de l’énergie pendant des millénaires.
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Non-prolifération : Le thorium est peu propice à un usage militaire.
Mais le thorium reste marginal. Développer cette filière exige des investissements colossaux et une vision à long terme, deux éléments que le capitalisme, contraint par la rentabilité à court terme, peine à mobiliser. Les marchés favorisent les technologies établies, comme l’uranium ou les renouvelables, au détriment d’innovations disruptives nécessitant des décennies de recherche et des fonds publics massifs.
La Chine : l’État au service de l’ambition
En 2023, la Chine a franchi une étape décisive avec un réacteur expérimental à thorium de 2 MW dans le Gobi, visant un modèle commercial de 10 MW d’ici 2030. Ce succès s’appuie sur une stratégie où l’État joue un rôle central :
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Investissements publics : Depuis 2011, Pékin a injecté 444 millions de dollars dans le thorium, via l’Académie chinoise des sciences.
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Ressources : Les vastes gisements de Bayan Obo garantissent l’autonomie.
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Planification : Libre des pressions électorales ou des lobbies, la Chine capitalise sur les recherches américaines des années 1960, abandonnées pour des raisons stratégiques.
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Mobilisation : Des milliers d’ingénieurs et une capacité industrielle inégalée accélèrent les progrès.
Ce modèle, où l’État pilote l’innovation, contraste avec les "démocraties" capitalistes, où les priorités sont dictées par les actionnaires et les cycles électoraux. La Chine, en contournant ces contraintes, s’impose comme leader.
La France : victime de la logique capitaliste
Il y a trente ans, la France dominait le nucléaire grâce à son parc de réacteurs à eau pressurisée et son expertise (CEA, EDF). Le thorium, étudié marginalement, n’a jamais décollé. Pourquoi ?
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Choix de l’uranium : La filière uranium, rentable et standardisée, était un actif sûr pour EDF et Areva (aujourd’hui Orano). Le thorium, nécessitant de nouvelles infrastructures, était un pari trop risqué pour des entreprises tournées vers le profit immédiat.
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Manque de gisements : Sans réserves significatives, la France n’avait pas d’incitation stratégique à investir.
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Désengagement de l’État : À partir des années 1990, les gouvernements, sous pression des marchés et des mouvements anti-nucléaires ( merci les écolos !), ont réduit les financements pour la recherche nucléaire, privilégiant des solutions à court terme.
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Logique de marché : La libéralisation du secteur énergétique et la privatisation partielle d’EDF ont détourné les ressources vers la maintenance des réacteurs existants ou des projets comme l’EPR, jugés plus « vendables ».
Cette inertie illustre les limites du capitalisme : sans intervention étatique forte, les projets à long terme, comme le thorium, sont sacrifiés au profit de la rentabilité immédiate. Les actionnaires d’EDF n’ont aucun intérêt à financer des décennies de recherche sans retour rapide, et les gouvernements, soumis aux cycles électoraux, hésitent à s’engager dans des projets impopulaires ou coûteux. Résultat : la France a cédé son leadership à la Chine, où l’État impose une vision stratégique.
Vers une société du thorium ?
Une « société du thorium » est-elle à portée de main ? Pas encore. Les obstacles techniques (corrosion, gestion des déchets) et économiques (coûts d’industrialisation) persistent. Surtout, le capitalisme mondial, dominé par l’uranium et les renouvelables, résiste au changement. Les réglementations internationales, lentes à évoluer, et la frilosité des investisseurs privés freinent l’adoption du thorium.
Pourtant, son potentiel reste immense. À moyen terme (2030-2050), il pourrait compléter le mix énergétique. Pour la France, revenir dans la course exigerait un sursaut :
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Rôle de l’État : Des financements publics massifs, comme ceux des grands programmes nucléaires des années 1970, seraient nécessaires.
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Partenariats : Collaborer avec l’Inde ou des entreprises américaines pourrait accélérer les progrès.
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Volonté politique : Surmonter les réticences anti-nucléaires et les pressions des marchés pour imposer une vision à long terme.
Et nous, dans ce système ?
Le thorium nous oblige à questionner notre modèle de société. Le capitalisme, avec sa focalisation sur le court terme, est-il compatible avec les défis énergétiques de demain ? Pouvons-nous confier notre avenir à des marchés qui négligent les investissements publics au profit des dividendes ? La Chine, avec son approche dirigiste, nous montre qu’une alternative est possible.
Le thorium, sous nos pieds, attend. Mais sans une rupture avec la logique capitaliste dominante, il risque de rester une promesse inachevée.