« Les Raynaud de Raynaud » au MAMAC : un artiste contemporain trahi par son affiche.

par Paul Villach
vendredi 6 octobre 2006

L’exposition « Les Raynaud de Raynaud » a fermé ses portes, le 10 septembre dernier. Elle se tenait au MAMAC de Nice, qu’il ne faut pas confondre avec le MUMOK de Vienne (Autriche) ni avec un quelconque micmac. C’est par ces sigles que leurs fidèles nomment élégamment ces deux musées d’art moderne et contemporain.

L’exposition a dû avoir le succès que connaît habituellement cet artiste auprès des initiés. En revanche, pour le profane, il fallait une bonne dose de courage pour en pousser la porte, au vu de l’affiche qui en faisait la promotion.

« Approche, si tu oses ! »

D’ordinaire, une affiche vise à stimuler chez le client une pulsion d’adhésion ou d’achat. Celle-ci s’ingéniait à provoquer la répulsion. L’artiste lui-même posait en buste de face, pull noir sur fond rouge, à la façon d’une photo d’identité sommaire, de type photomaton. Selon le procédé de « l’image mise en abyme », il entrait, d’un regard fixe, dans un simulacre de relation avec le passant, la mine sévère, un rien menaçante, bouche pincée et le sourcil froncé sur des yeux bleus. « Approche, si tu oses ! », paraissait-il rugir intérieurement. Bref, le regard de Zidane avant son coup de boule ! Il ne manquait à côté qu’une seconde vue de profil, avec empreintes digitales, pour qu’on fût devant la photo anthropométrique d’un repris de justice. De quoi refroidir les ardeurs du profane le mieux disposé, tout heureux d’aller faire un tour au musée, puisqu’il pleut. Pourquoi l’artiste lui fait-il la gueule ? Le profane ne lui a rien fait ; au contraire, il vient lui rendre visite. Il devrait être content qu’on s’intéresse à son art !

Une tautologie à donner le tournis

Quel art, au juste ? L’affiche plongeait le profane dans un autre abîme, mais cette fois avec un accent circonflexe sur le « i » , comme ses sourcils sous ses yeux ronds : par une tautologie à donner le tournis, elle annonçait « Les Raynaud de Raynaud ». Le nom « Raynaud » tout seul ne suffisait pas à nommer avec assez de précision les œuvres de Raynaud, comme celles des autres artistes de moindre envergure, Giorgione, Le Titien, Véronèse, Vermeer, Goya et on en passe... A-t-on jamais eu idée de baptiser leurs expositions « Les Véronèse de Véronèse » ou les « Titien du Titien » ? Leurs affiches montrent en général une de leurs œuvres, ou un de leurs détails, mais non leur photo anthropométrique qui, c’est vrai, n’existait pas encore à leur époque. Ici, aucune œuvre de Raynaud n’avait été choisie. L’artiste seul envahissait l’affiche avec son air de Cerbère lugubre ; et, au cas où le profane n’aurait pas compris l’objet de l’exposition, on insistait sur la particularité des Reynaud qui l’attendaient derrière les portes : c’étaient ceux de Reynaud, et non de Tartempion. La tautologie est un peu comme la glu, on ne peut pas faire plus simple, mais ça colle aux doigts ; on n’en finit pas d’en tirer des sens en tout sens sans jamais pouvoir en détacher un qui vaille. Était-ce à dire qu’on allait trouver les Reynaud de la collection personnelle de Reynaud ? Ou voulait-on dire qu’il y avait des Reynaud qui n’étaient pas de Reynaud et qu’ici, pas de doute possible, les Reynaud étaient bien œuvres de Reynaud et non d’un faussaire ?

Un Reynaud tout court ?

Mais après tout, quelle différence ? Qu’était-ce un Reynaud tout court ? Et là, le profane se heurtait à une fin de non-recevoir, car l’affiche n’en disait rien ; elle renvoyait invariablement à cette tronche de videur de boîte de nuits campé contre un mur rouge, n’était la chevelure poivre et sel de jeune vieux beau qui pouvait encore se faire charmeur s’il le voulait. Mais ici, il n’en était pas question ! L’inquiétude prenait alors le profane : et si un Reynaud de Reynaud n’était autre que le Reynaud lui-même qu’il voyait sur l’affiche ? Mais alors de quelle œuvre pouvait-il se prévaloir en dehors de ce corps exhibé dont il n’était pas le seul créateur ? Une part de son mérite en revenait tout de même à sa maman et à son papa. En somme, au lieu de montrer une simple toile rouge, l’artiste se plantait devant pour qu’il y ait quelque chose à défaut de quelqu’un. N’était-ce pas une variante d’un de ces tableaux blancs, rouges ou bleus, tous ces monochromes qui enchantent les fidèles éclairés du MAMAC et du MUMOK, mais plongent d’abord dans la désolation les profanes qui, pour finir, s’en moquent ? On a encore dans l’oreille le fou rire qui secoue Marc (Pierre Vanneck), dans Art, la pièce de Yasmina Réza (1994), quand il entend Yvan (Pierre Arditi), qui ne veut faire de peine à personne, expliquer laborieusement, comme une leçon apprise par cœur, qu’il n’aime pas évidemment le tableau tout blanc acheté par leur ami commun Serge (Fabrice Luchini), épris d’art contemporain, mais qu’il ne le déteste pas non plus, que... ce n’est pas rien... qu’il y a une idée derrière, et que c’est même, conclut-il doctement, l’aboutissement d’un parcours ! Curieux parcours dont Marc, qui s’esclaffe, dispenserait bien l’artiste, si c’est pour arriver au néant d’une toile blanche et au néant plus grand encore de son exposition !

Mesure-t-on alors la panique qui a pu saisir les profanes les moins prévenus devant cette affiche qui soudain annonçait que « les Reynaud de Reynaud » n’étaient autres que cet énergumène qui les fusillait littéralement du regard et leur intimait quasiment l’ordre de ne surtout pas entrer, car derrière les portes, il n’y avait rien à voir ! Circulez ! On comprendra que, confrontés à ce néant, certains profanes aient senti monter une colère heureusement endiguée par l’ironie, qu’ils aient cherché sur eux ou auprès d’un passant le premier feutre noir venu, et qu’ils aient joyeusement mis des moustaches, des canines de vampire ou un bandeau de borgne à ce portrait sinistre, histoire d’égayer un peu la rue, avant de repartir dans un éclat de rire. Paul VILLACH

Documents joints à cet article


Lire l'article complet, et les commentaires