Ma mise en examen est programmée
par Denis Robert
lundi 27 novembre 2006
Ce qui n’était pas prévu est finalement arrivé. J’ai reçu une convocation de première comparution à mon domicile la semaine passée. Le Monde vient de l’annoncer. Cette nouvelle intervient au moment où AgoraVox titrait que j’étais à la merci d’un courant violent. On pouvait difficilement trouver meilleure illustration.
Les juges d’Huy et Pons, à la suite des plaintes déposées par Clearstream et le cabinet d’audit Barbier Frinault, et sur réquisitions du Parquet de Paris, m’invitent effectivement à passer les voir le 12 décembre prochain, pour me mettre en examen.
Cette comparution interviendra à la veille de mes procès en appel contre Clearstream.
On me reproche un recel d’abus de confiance sur lequel je me suis déjà expliqué ici.
Je répondrai sans aucune difficulté à toutes les questions qui me seront posées, comme je n’ai jamais manqué de le faire.
Depuis mars 2001, date de la sortie de mon premier livre Révélation$ et du film Les dissimulateurs, j’ai toujours œuvré dans l’unique but d’informer le plus grand nombre, sans jamais enfreindre la loi, sur les pratiques et dérives en cours dans ce milieu très opaque de l’hyperfinance. Je suis allé là où aucun juge n’avait jamais mis les pieds car dans les paradis fiscaux, les magistrats ont pour fonction indirecte mais bien réelle de protéger les criminels.
C’est particulièrement vrai au Luxembourg, siège de Clearstream, où malgré des statistiques souvent avantageuses, agitées par le ministre de la Justice (qui est aussi ministre du Trésor), jamais aucun gros poisson n’a été inquiété. La dernière affaire importante remonte au début des années 1990, où un trafiquant de drogue colombien appelé Jurado a essuyé des plâtres. Il n’y en a pas eu d’autre...
Mon travail, depuis l’appel de Genève, s’inscrit dans une démarche visant à expliciter le pillage organisé de nos économies par le crime organisé et l’aveuglement des politiques et des banquiers sur ces questions. Leur hypocrisie aussi, concernant les paradis fiscaux.
J’ai résisté à toutes les pressions et à tous les pièges qui m’ont été tendus.
J’ai persévéré dans ce travail avec la Boîte noire, puis avec l’affaire Clearstream racontée à un ouvrier de chez Daewoo, notre dernier film, le seul que Clearstream n’ait pas attaqué.
Mes révélations sur la multinationale luxembourgeoise ont d’abord permis de mieux comprendre le fonctionnement de la planète financière, en particulier en ce qui concerne la traçabilité des échanges transfrontaliers, la centralisation en des points stratégiques de l’information financière, l’autocontrôle des banques...
J’ai montré, sans l’ombre d’un doute, que Clearstream était un organisme de compensation formidablement efficace pour des milliers de clients -banques honorables comme sociétés off shore- cherchant à dissimuler des opérations immensément frauduleuses. Et ceci au moins jusqu’en 2002, date à laquelle mon enquête s’est achevée. Il suffit de consulter les annexes de mes livres pour voir que Clearstream a autorisé l’ouverture de comptes à la banque noire d’Elf, à des banques russes douteuses, à des officines blacklistées par l’administration Bush après le 11 septembre, à des banques italiennes impliquées dans des affaires mafieuses. J’en passe et des dizaines...
Ma volonté d’informer le plus grand nombre s’est ensuite concrétisée par la publication en juin dernier de mon livre Clearstream, l’enquête, où j’ai, le premier, révélé les turpitudes et les protections des acteurs de cette tragicomédie à la française. Cette histoire de corbeau est d’abord l’histoire du détournement de mon travail à des fins politiciennes, et en définitive, mercantiles.
Cette convocation judiciaire tombe après que mes téléphones ont été écoutés, mes e-mails piratés, et après que des policiers et un expert en informatique ont perquisitionné mon bureau, recopiant les disques durs de plusieurs de mes ordinateurs, détruisant au passage l’un d’eux.
Avec cette convocation pour ma mise en examen, on est monté d’un cran dans l’extravagance.
Les principaux dirigeants de ce pays - le premier ministre, les ministres de la Défense et de l’Intérieur, comme le président de la République- qui connaissaient bien avant moi les tenants et les aboutissants des manipulations ne sont, eux, pas inquiétés, et bénéficient d’une immunité que chacun pourra apprécier.
Quand on sait que les procès-verbaux d’auditions de témoins sont en ligne avant même que les avocats ne les aient eus entre les mains, on voit que c’est au plus haut niveau de l’Etat que les décisions se prennent, et que des manipulations s’opèrent.
Je suis aujourd’hui la victime non consentante d’une minable guerre politicienne entre sarkozystes et chiraquiens. La Justice est instrumentalisée en ce sens.
Si le nom de Sarkozy a été placé dans les listings, le président de l’UMP a compris très tôt que cette présence pouvait le servir. Et lui permettre d’évincer un rival. Machination contre machination... Fuite contre fuite... Utiliser la faiblesse de l’adversaire pour le mettre à terre. L’opération a d’ailleurs réussi. Sauf miracle, Dominique de Villepin n’a plus aucune chance pour l’Elysée. Et Sarkozy peut parader. L’affaire Clearstream est passée par là.
Aujourd’hui, le Parquet a obtenu ma mise en examen. Les juges ont obtempéré. Cela permet au moins de ne pas parler de l’implication des politiques et d’ouvrir une brèche sur un autre front. Là sont le cynisme et le calcul.
Jacques Chirac, Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin, mais aussi Nicolas Sarkozy étaient à coup sûr tous informés, au moins depuis juin 2004, du trafic des listings de Clearstream. C’est facilement démontrable.
Ce sont eux qui ont abusé et qui continuent à abuser de la confiance des magistrats instructeurs et des Français.
Moi, qui ai aidé la Justice et les enquêteurs en leur révélant l’ampleur et les éléments de la manipulation des corbeaux dans mon livre Clearstream, l’enquête, débloquant ainsi une instruction qui s’enlisait, je suis aujourd’hui sur le point d’être un receleur d’abus de confiance. Ce nouveau statut ne me soucie pas sur le fond, même si me voir mis en cause à intervalles réguliers dans la presse ne me fait pas particulièrement plaisir.
J’aimerais que cette presse, si réactive quand il s’agit de divulguer des procès-verbaux ou des mises en examen -Le Monde a encore fait fort ce week-end- soit plus curieuse sur le fonctionnement de Clearstream. Et plus solidaire concernant ce qui est en train d’arriver.
Après le retrait du livre des librairies en juin dernier (dans le silence) et les procès à répétition de Clearstream et des banques contre moi (dans le même silence), l’addition commence à s’alourdir en termes de censure et d’atteinte à la liberté d’écrire et d’informer.