Marchandisation de l’amour
par John MAC
jeudi 7 décembre 2006
Avec les sites de rencontre sur Internet, je trouve qu’un homme aujourd’hui postule à l’amour comme il pourrait postuler à un emploi, à un logement... D’où parfois les mêmes dérives, a priori et discriminations, conscientes ou insconcientes. Réflexion et perspectives sur les sites de rencontres, sans prétention.
Il écrit un e-mail ou une lettre de motivation, remplit une
fiche signalétique, un peu comme un CV, qui indique de manière
normative nos principales caractéristiques physiques, sociales. Cela le
réduit le plus souvent à un stéréotype, à une vision simplifiée et
forcément simpliste ou caricaturale de ce qu’il est vraiment. Un passé,
une personnalité, une culture, ne se réduisent pas à une vingtaine, à une
trentaine de mots d’une fiche.
Quand un homme voit un profil qui lui plaît, il essaie de convaincre
que c’est lui qui doit être l’heureux élu. La mise en concurrence
sauvage de dizaines de postulants, voire de centaines selon les
sites, rappelle les files d’attente pour visiter les locations les
plus intéressantes, ou les 42 candidatures qualifiées en moyenne
(donnée Apec) pour un poste de cadre en 2006.
Premier filtre : élimination évidente si l’on n’est pas, objectivement
et techniquement, « qualifié » pour l’offre : pas le bon diplôme
pour un poste, pas le bon salaire pour un logement ; trop vieux, trop
loin, pour une rencontre.
Deuxième étape : le subjectif. Et là, dans ce processif électif, nous ne sommes pas tous égaux. Ca a été prouvé pour le logement, pour l’emploi, ça reste à l’être lorsqu’on est réduit à être un produit dans les rayonnages d’un site de rencontre.
Car l’amour est désormais, et c’est nouveau, devenu une marchandise, objet d’un commerce : on paie pour rencontrer, pour aimer, éventuellement pour faire l’amour. Une entreprise réalise un chiffre d’affaires, éventuellement des bénéfices, sur cette quête d’amour. Ca existait avec les agences matrimoniales bien sûr. Mais c’est passé au stade industriel, à la consommation de masse, avec les sites Internet, puisque par exemple Meetic revendique cinq millions de profils enregistrés en France depuis ses débuts. Meetic est à l’amour ce que le fast food est à la cuisine.
Et devant cette avalanche de possibilités de candidats, les bailleurs comme les employeurs, pour les départager, appliquent consciemment ou inconsciemment des critères subjectifs. Et là c’est le règne des a priori et des idées préconçues, des conditionnements sociaux et culturels.
Bref, laissons parler les chiffres, l’Observatoire des discriminations en 2005 a relevé que six personnes à CV identique, expérience similaire, dans les mêmes entreprises, répondent à 325 offres d’emplois pour lesquelles elles sont qualifiées.
Le grand brun blanc reçoit 82 réponses positives, le noir antillais 56, le gros 28, la femme maghrébine 25, le « vieux » de cinquante ans 17 réponses positives. Tout cela à compétences, sérieux et professionnalisme équivalent. Les résultats sont sensiblement équivalents pour le logement. Alors qu’en est-il de la rencontre sur Internet ? L’amour est-il devenu plus discriminant sur le physique, l’âge, la couleur, aujourd’hui avec les sites de rencontres ? A mon avis, oui...
Mais dans cette marchandisation de l’amour, certains sites sont une alternative intéressante (par exemple poinscommuns.com ), et peuvent être à la rencontre sur Internet ce que le développement durable est à la mondialisation, c’est-à-dire une vision, plus équitable, plus vivable, plus respectueuse de l’humain.
Quelles tendances ? A mon avis, au même titre que la mondialisation a entraîné des délocalisations d’emploi et de productions, de l’immigration économique et des déplacements de personnes, je pense que la marchandisation de l’amour entraînera une immigration sentimentale et sexuelle, qui se profile déjà. Ceux qui en France n’arrivent plus à trouver leur compagne car le marché de l’amour les discrimine (agriculteurs, vieux ? etc.), vont aller chercher, dans le cas des hommes, des femmes issues de pays économiquement défavorisés : des Ukrainiennes, des Chinoises, des Thaïlandaises, etc. Sur ces marchés d’amour émergents, un candidat discriminé ici retrouve un succès inespéré : une belle femme souvent, dont les critères objectifs sont supérieurs à ce à quoi il aurait pu prétendre sur son « marché » d’origine, car le pouvoir d’achat/de séduction de cet homme a augmenté. Bref, quand on rame ici, quand on n’a plus les moyens de se faire aimer, on peut encore avoir du succès, mais en délocalisant sa recherche d’amour...
John
Pour les curieux, le rapport de l’Observatoire des discriminations :
http://cergors.univ-paris1.fr/docsatelecharger/Discriminationsenvoientretien.pdf