Un Fabius peut en cacher un autre

par Patrick Adam
vendredi 22 septembre 2006

 

Propre, net et sans bavure. L’interwiew de Laurent Fabius sur France Inter, ce jeudi matin, a remis les pendules à l’heure dans un PS déboussolé par l’aimantation médiatique de ceux ou de celles qui cherchent à tout prix à coller à l’air du temps, que ce soit en charentaises, en escarpins ou en gros sabots. En quelques minutes, face à Nicolas Demorand, journaliste transfuge de France Culture qui s’est laissé aller à un exercice des plus agressifs et des plus méprisants à son égard, Fabius a fait un discours sur la méthode particulièrement convaincant. En une phrase, il a rappelé ce que tout le monde semble avoir oublié depuis des mois : tout débat qui s’engage, à droite comme à gauche, a pour objectif de choisir celui ou celle qui sera président de la France, et non d’organiser un concours de prétendants ou de nomminés à la Star Ac.

Fabius joue à fond la carte de la raison des militants et il piétine avec talent celle des jolis coeurs ou des amateurs de littérature de gare. Personnage houspillé par les médias à cause d’un malheureux plat de carottes râpées, il fait figure d’Esaü rejeté dans le désert de la politique et obligé de céder, sous les sarcasmes, la place pour laquelle il s’est tant battu, à un Jacob ou plutôt une Jacobette plus rusée et plus manipulatrice que lui. Les Guignols de l’Info s’essuient les pieds sur lui régulièrement, en usant tant et plus d’une image ringarde et abêtissante qu’ils ont façonnée depuis plus de quinze ans, sans jamais en dévier d’un pouce. Traitement qui n’est pas sans rappeler celui qu’ils infligent à François Bayrou. Deux figures qui, manifestement, se rejoignent souvent pour faire honneur à un discours politique authentique ; ce qui a l’air de faire tache dans le monde ripoliné de la "compet" du mois de mai prochain.

En prenant soin de n’insulter personne, mais sans se priver de mettre le doigt là où ça fera forcément mal dans les couloirs de son parti, Laurent Fabius s’est affiché comme seul capable au PS d’endosser la rupture de gauche qu’il a commencée à dessiner de façon claire et nette avec son "non" catégorique à l’Europe des marchands. Arc-bouté contre la quasi-totalité de l’appareil de sa formation politique, sans parler de la pression médiatique subie durant toute la campagne du référendum, il avait alors tenu le cap sans dévier et l’histoire lui a donné raison... On peut comprendre l’amertume et la rancoeur des béni-oui-oui, caressés dans le sens du poil par les technocrates et les journalistes qui avaient voulu nous imposer, ni plus ni moins, que la fin de notre République laïque et indivisible, à travers un mensonge médiatique tout aussi crapuleux que celui des "armes de destruction massive" imaginées par la Maison Blanche pour envahir l’Irak. Depuis, tout le monde a compris que c’est ce "non" d’une gauche lucide et courageuse qui nous permet de pouvoir dire aujourd’hui, non sans un frisson rétroactif, que nous l’avons échappé belle. Quelle tête aurions-nous à présent d’avoir à reconnaître que seuls les extrêmes (de droite comme de gauche) auraient eu raison de combattre cette magouille boursico-corporatiste qui avait été maquillée en "traité constitutionnel" européen ? Sans oublier les dérives régionalistes et communauratistes que ce texte fourre-tout cachait maladroitement, véritable bombe à retardement.

Pourtant, personne n’a l’honnêteté de le reconnaître. Les médias ne font jamais leur mea culpa. Les technocrates et les experts non plus. Pas plus que les nouveaux penseurs. Seuls les hommes politiques déviants doivent passer en s’inclinant sous les fourches caudines de Claire Chazal ou de Pujadas qui agissent chaque soir, non en serviteurs, mais en propriétaires de l’information qu’ils nous "délivrent".

Contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire, nous ne revivons pas là un remake de la lutte entre Rocard et Mitterrand, à la fin des années 1980. Mitterrand avait la stature de vingt-cinq ans d’opposition sans faille à de Gaulle, une stratégie bien définie, et le parti. Rocard, juste une étiquette de "seconde gauche" et la faveur des médias dits progressistes. Cette fois, les militants socialistes auront trois options idéologiques à leur disposition. Le look de Ségolène. La conscience meurtrie de Lionel. L’architecture combative de Laurent. Les autres n’y croient plus vraiment (à l’exception de François Hollande). On voit bien qu’ils n’ont plus la gnaque nécessaire.

Royal se prend pour Léotard, au temps de sa splendeur de quadragénaire. On sait ce qu’il en est advenu. Elle ne va pas tarder à nous faire une overdose pour s’être trop shootée aux paradis articifiels de l’étranger (Bachelet - Blair - Zapatero - Prodi - la Suède) car cette propension à faire du hors-frontière commence sérieusement à taper sur les nerfs des Français qui en ont ras le béret ou la casquette d’entendre chaque jour que nous sommes des gros nuls et que c’est mieux ailleurs... Jospin a la défaite poisseuse. Elle lui colle encore et toujours à la peau et son remords est trop mortificateur. Mais le plus grave c’est qu’on ne peut pas dire qu’en politique étrangère, on pourrait lui faire confiance les yeux fermés, surtout s’il continue d’écouter son copain Kouchner ; ça sent déjà le caillassage en règle. Reste donc Fabius, seul à même de proposer aux socialistes une stratégie pour le présent ou, à défaut, de poser des jalons sérieux pour l’avenir.

Bien sûr, en vingt minutes sur France Inter, il n’a pas eu le temps de dessiner un programme, ni même d’énumérer une liste de propositions. Cependant, les sujets qu’il s’est efforcé d’aborder nous ont permis de nous faire une opinion plus affinée sur un homme aux idées claires, un homme dont chaque mot semble parcouru par un savant mélange d’expérience et de conviction qui n’est pas sans rappeler celui dont savait si bien user Mitterrand et qui lui avait valu, à deux reprises, d’obtenir la confiance des Français.

Logement, niveau de vie, éducation, carte scolaire, délinquance, prévention, place de la France dans le monde. Incontestablement, l’homme a beaucoup réfléchi et son discours n’est pas emprunté. Il n’en est pas (ou plus) à chercher les mots qui plaisent ou qui rassurent, ceux qui sont dictés par les différents staffs de l’ombre où l’on préfère désormais faire du profilage d’électeur plutôt que de la politique. Et même si je suis loin de partager son point de vue par trop compassionnel à propos des sans-papiers, ses réflexions sur le sujet méritent considération. Elles pourraient même refléter une certaine logique, à la condition expresse d’être suivies par la mise en place d’une politique drastique de rigueur et de contrôle des flux migratoires, tant en France qu’au niveau européen. Aura-t-il le courage d’annoncer la couleur et de lever le tabou sur la notion d’immigration "choisie" ? La question reste posée. D’autant les bobo-gaucho-besansno-balaskos seront toujours là pour agir en tant que pousse-au-crime.

En deux jours, Laurent Fabius a montré la valeur d’un homme d’Etat aguerri et rassurant. Ce n’est pas rien. Sorti vainqueur du "débat" inter-candidats à l’investiture organisé ce week-end à Lens, devant des militants socialistes ragaillardis, (ce que les médias ont été obligés de reconnaître du bout des lèvres), c’est à son avantage qu’il a su s’extraire, ce jeudi matin, de l’enfermement que représente le rapport à l’image qui tient lieu de précampagne pour les duettistes de l’audimat.

Aura-t-il le temps de tracer son sillon plus profondément... Rien n’est moins sûr. Alors une question vient naturellement à l’esprit : et si, au soir du second tour, l’histoire lui donnait raison, une fois de plus, au plus profond de la défaite... Quelle tête ferions-nous cette fois ?


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